Le problème avec « l’islamophobie »

Un jeune Malien, Aboubakar Cissé, a été sauvagement poignardé dans une mosquée du département du Gard, alors qu’il priait. L’agresseur, après s’être acharné, s’est filmé avec son téléphone en lui donnant une dernière série de coups et en insultant « Allah », alors que la victime agonisait.

Les réactions des personnalités politiques dénoncent un acte islamophobe et raciste. Le ministre de l’Intérieur, mais également ministre des cultes, Bruno Retailleau a finalement bousculé son agenda pour se rendre deux jours plus tard (!!!) à la sous-préfecture d’Alès, et non à la mosquée Khadidja où a eu lieu ce crime ignoble.

Sur BFMTV, Bruno Retailleau s’exprime ainsi : « J’ai tenu à dire ma compassion (…) Parce qu’on est train de tenter de retrouver les liens familiaux que Abouba…cet individu avait, cette personne avait donc notamment avec le Mali… ». On peut constater que l’expression de la compassion de Bruno Retailleau est très limitée puisqu’il se révèle incapable de citer le prénom ou le nom de la victime, et qu’il utilise le terme « individu », qualificatif utilisé lors des interpellations policières, avant de se reprendre pour paraître présentable et équitable dans son traitement des différentes victimes de crimes à caractère religieux.

Bruno Retailleau précise, lors de cet entretien, qu’il n’utilise pas le terme d’ »islamophobie « , car dit-il, « nos forces agissent sous l’autorité judiciaire et on fait très attention à utiliser les mêmes termes ». Cependant, le procureur, découvrant les faits et informé du fait que l’auteur de ce crime avait fait part de sa volonté de perpétrer son acte, avait déclaré que « la piste de l’acte antimusulman et islamophobe était privilégiée ». Mais cette idée que le terme « islamophobie » n’est pas utilisé dans le droit français est un argument également défendu par le journaliste Jean Quatremer du journal Libération sur le plateau d’Arte ce vendredi 2 mai.

Bruno Retailleau nous explique pourquoi il ne veut pas utiliser le terme « islamophobie » : « il y a une connotation idéologique du terme « islamophobie », notamment très marquée vis-à-vis des Frères musulmans, qui fait que dans notre ministère on prend une précaution à ne pas l’utiliser ».

Sans évoquer le premier ministre qui utilise cependant ce terme, et même Laurent Wauquiez son principal concurrent à la présidence du parti Les Républicains, on remarquera que de même Manuel Valls, ministre des Outre-mer conteste ce terme sur la radio RTL : « Non je ne parle jamais d’islamophobie, c’est un terme qui a été inventé il y a bien longtemps (…) ce terme il a été inventé il y a plus de 30 ans par les mollahs iraniens pour clouer au pilori… ».

Nous n’avons pas l’habitude de croire sur parole Manuel Valls, alors nous avons cherché l’origine de ce terme, afin de déterminer qui des mollahs iraniens il y a plus de 30 ans ou des Frères musulmans, société crée en 1928 en Egypte, est l’inventeur de ce terme. D’ailleurs, ce même Manuel Valls déclarait en 2013, alors ministre de l’Intérieur, que « l’islamophobie est le cheval de Troie des salafistes ».

Au cours de cette investigation, il est à noter que Caroline Fourest a écrit dans un article paru dans Libération le 17 novembre 2003 que « le mot « islamophobie » a été utilisé pour la première en 1979 par les mollahs iraniens qui souhaitaient faire passer les femmes qui refusaient de porter le voile pour de mauvaises musulmanes en les accusant d’être islamophobes. » et qu’au vu de l’histoire de ce mot, il ne fallait pas l’utiliser à la légère. Cependant, en septembre 2013, Caroline Fourest revenait sur sa tribune : « L’important ce n’est pas de savoir si quelqu’un a parlé d’islamophobie il y a un siècle dans sa salle de bain, c’est le sens de ce mot ». Donc retournement de veste pour Fourest, maintenant l’histoire de ce mot n’a plus autant d’importance.

Des sociologues rattachés au CNRS avaient écrit en 2013 que « on doit l’invention du néologisme « islamophobie » et ses premiers usagers à un groupe d’administrateurs-ethnologues spécialisés dans les études de l’islam ouest-africain ou sénégalais : Alain Quellien, Maurice Delafosse et Paul Marty ». Ainsi, en 1910, Maurice Delafosse dénonce « l’islamophobie féroce » des coutumes Bambara dans le livre L’âme d’un peuple africain : les Bambara, de l’Abbé Henry.

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6152175h.texteImage La politique musulmane dans l’Afrique occidentale française, Alain Quellien (1910)

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k49679w/f5.item.texteImage Les États d’Âme d’un Colonial, Maurice Delafosse (1909)

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k77474r.image Études sur l’Islam au Sénégal, Paul Marty (1917)

Maintenant que l’on sait que le terme « islamophobie » a été utilisé par la première fois, non pas par des mollahs iraniens, mais par des ethnologues français qui étudiaient les pratiques en Afrique de l’Ouest, intéressons-nous à l’usage de ce terme, et surtout pourquoi certains politiques et certains journalistes refusent de l’employer.

Le substantif –phobie, même si à l’origine, il définit une crainte angoissante et injustifiée d’une situation, désigne également la haine. On parle par exemple, d’homophobie, qui traduit non pas seulement une peur ou une crise de panique, mais un mépris ou un rejet d’une personne ou d’un groupe en fonction de son orientation sexuelle.

De plus, l’islamophobie est un phénomène à distinguer du racisme, la haine à l’égard des personnes ayant une couleur de peau différente, car des personnes qui se convertissent à la religion musulmane reçoivent des injures et des menaces qui visent précisément leur religion et non pas leur apparence.

Un des arguments utilisés par les politiques et les journalistes qui refusent d’utiliser ce terme est que des musulmans utiliseraient cette terminologie pour qualifier d’islamophobe toute critique envers cette religion. Or, la critique de la religion musulmane est, tout comme la critique de toute religion, un droit reconnu, mais nuancé par le fait que critiquer n’est pas répandre la haine et le rejet de toute une communauté.

Dans l’histoire, nous avons connu des périodes pendant lesquelles des journalistes et des politiques prétendaient que les personnes juives n’étaient pas de vrais « français ». Ceci n’est pas une critique de la religion juive, mais de la judéophobie. Climat où la droite et l’extrême droite parlaient des « judéo-bolchéviks ».

Aujourd’hui nous connaissons une période avec des commentaires sur des plateaux TV ou des discours distillant de la haine à l’encontre des personnes de confession musulmane, en qualifiant ceux qui se lèvent contre cette stigmatisation d’ »islamo-gauchistes ».

Notre position doit être claire à ce sujet. Nous ne défendons pas une religion lorsque nous luttons contre les discours de haine jetant l’opprobre sur une partie de la population, mais nous défendons la liberté pour toute personne de pouvoir pratiquer, si elle le souhaite, la religion de son choix, sans contrainte de qui que ce soit. Telle est la position que nous devons défendre en tant que communistes dans les débats dont le sujet est la religion en général, et l’islam en particulier.

Éric JOUEN

 

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