Après les atrocités du Hamas, Gaza « étranglée » par Netanyahu

Assiégée et bombardée, Gaza est désormais complètement « étranglée » par Israël, pour reprendre la formulation de l’ONU. Après les atrocités perpétrées en Israël par le Hamas, le gouvernement de Tel-Aviv a juré de complètement détruire l’organisation fondamentaliste. Mais pour l’heure, ce sont surtout les civils qui subissent les conséquences des actions punitives israéliennes. Entre le 7 et le 12 octobre, Israël a largué plus de 6000 bombes sur ce territoire densément peuplé. C’est l’équivalent du nombre total de frappes aériennes sur le territoire pendant les 50 jours du conflit Gaza-Israël de 2014. Selon les estimations de l’ONU (du 15 octobre), l’attaque israélienne aurait tué au moins 2 670 personnes et en a blessé plus de 9 600 autres. Près d’un million de Palestiniens de Gaza ont été forcés d’abandonner leur foyer. L’approvisionnement de la population en produits de première nécessité est bloqué par l’embargo israélien. L’unique centrale électrique de l’enclave – qui ne fournissait que 16% des besoins de l’enclave – a cessé de fonctionner depuis le 11 octobre. Sans électricité, sans carburants, sans eau et sans médicaments, la famine s’installe. La mort est omniprésente.

Interviewé le 12 octobre par Christiane Amanpour (CNN), le chirurgien anglo-palestinien Ghassan Abu-Sittah a dit que les enfants représenteraient « entre 30 et 40 % » de ceux qui ont été tués ou blessés sous frappes aériennes israéliennes. Tel-Aviv a effectivement ordonné l’évacuation du nord de Gaza, sommant la population de quitter « immédiatement » la zone et diriger vers le sud, sous peine d’anéantissement total. Mais pour aller où ? Par quels moyens ? Le seul point de sortie vers l’Égypte est toujours fermé. Des vidéos, géolocalisées et authentifiées par CNN, montrent des scènes d’horreur sur la route vers le sud : « Les vidéos montrent de nombreux cadavres au milieu d’une scène de destruction massive. Certains de ces corps se trouvent sur une remorque à plateau qui semble avoir été utilisée pour éloigner les gens de la ville de Gaza. Ils comprennent plusieurs enfants. Il y a aussi un certain nombre de voitures gravement brûlées et endommagées. On ne sait pas exactement ce qui a causé cette dévastation généralisée ; l’explosion s’est produite dans la rue Salah al-Deen, vendredi après-midi. » Ce qui se passe à Gaza est une catastrophe humaine massive et absolument terrifiante, sciemment organisée par l’État israélien, qui se prépare actuellement à une offensive militaire terrestre, aérienne et maritime contre Gaza.

La cause immédiate de cette guerre est bien connue. Le 7 octobre, le Hamas a tiré plusieurs milliers de roquettes vers des villes israéliennes, suivi du franchissement de la frontière d’un grand nombre de ses miliciens, qui ont froidement massacré plus de 1400 personnes, dont une large majorité de civils sans défense. Des familles entières ont été abattues dans leurs maisons. Des centaines de jeunes ont été massacrés sur le site d’un festival de musique et environ 200 otages ont été emmenés à Gaza, où les dirigeants du Hamas menacent de les exécuter. L’horreur indicible de cette opération rappelle les abominations commises par Daesh ou Al-Qaeda.

Si rien ne justifie le carnage perpétré par le Hamas, il ne faut pas oublier le contexte social et historique dans lequel il s’est produit, et notamment la politique répressive de l’État d’Israël à l’égard des Palestiniens. La Cisjordanie, sous occupation israélienne, est organisée d’une manière qui rappelle les bantoustans sous le régime d’apartheid en Afrique du Sud. Le territoire est une mosaïque de zones d’occupation israélienne, de colonies juives et d’enclaves palestiniennes, séparées par des checkpoints et des voies de passage ségrégées. Depuis des décennies, la vie quotidienne des Palestiniens est faite de harcèlements, d’humiliations et de violences souvent mortelles. En 30 mois, à partir de janvier 2021, selon l’ONU, plus de 400 civils palestiniens ont été tués en Cisjordanie par l’armée israélienne. Des groupes armés, composés de colons juifs, assassinent régulièrement des Palestiniens en pleine rue. Quant à la bande de Gaza, sa population a subi des bombardements massifs à répétition depuis 2007, tuant plus de 4000 personnes et détruisant près de 250 000 logements.

Le Hamas a pris le pouvoir à Gaza en 2006-2007. Victorieux dans les élections de 2006, le mouvement fondamentaliste s’est emparé de la totalité du pouvoir en 2007, au terme d’une guerre civile de courte durée contre une Autorité palestinienne fragilisée par la corruption, le clientélisme, et surtout par sa collaboration avec le Mossad et les forces d’occupation. Une fois au pouvoir, le Hamas a mis en place un régime de terreur pour éliminer toute forme d’opposition. Le peuple de Gaza vit sous la coupe d’une dictature intégriste, dont l’idéologie est proche de celle des talibans ou de Daesh. S’opposer à son régime, c’est risquer la persécution, l’incarcération, la torture ou la mort.

Lorsque les militants de gauche en France ou ailleurs dans le monde déclarent leur solidarité avec « les Palestiniens » ou avec « la Palestine », ils veulent affirmer leur solidarité avec les Palestiniens opprimés de la région. Cependant, de telles formulations ne sont pas très judicieuses, car elles tendent à dissimuler de forces ultra-réactionnaires parmi les Palestiniens et leur division en classes sociales antagoniques. Parmi les Palestiniens, il n’y a pas que des opprimés, il y a aussi des oppresseurs, comme le Hamas et sa branche armée, les Brigades Azzedine Al-Qassam. Nous devons soutenir l’aspiration à l’émancipation sociale et nationale palestinienne, mais expression de solidarité avec cette cause devrait systématiquement s’accompagner d’une opposition implacable au Hamas et d’autres organisations « jihadistes ». L’incursion meurtrière du 7 octobre a été organisée dans le but de massacrer le plus grand nombre possible de Juifs. C’était une action d’une cruauté abjecte. Elle n’a rien fait pour le peuple de Gaza. Au contraire, les représailles israéliennes porteront ses souffrances à un niveau encore plus insupportable qu’avant. Netanyahu prétend que la guerre vise à briser le Hamas. En réalité, elle inflige une punition collective d’une sévérité inimaginable à toute la population.

Dans un premier temps, devant l’horreur de l’attaque du 7 octobre, une majorité d’Israéliens va sans doute soutenir l’invasion de Gaza. Cependant, si la guerre dure trop longtemps, l’attitude de la population pourrait bien changer. Avant la guerre, déjà, des centaines de milliers d’Israéliens ont manifesté contre Netanyahu et son gouvernement d’extrême droite. Les services de renseignement israéliens ont déclaré qu’ils ont été surpris par l’incursion du Hamas. Ceci est peut-être vrai. Mais disons seulement que dans une région qui doit être parmi les plus surveillées de la planète, ce serait pour le moins surprenant que ni les Israéliens ni les Américains n’aient eu vent de ce qui se préparait. Quoiqu’il en soit, le comportement des services de renseignement et le manque de réactivité initiale de l’armée israélienne sont flagrantes. Les assassins du Hamas ont pu semer la terreur pendant des heures en toute impunité. Au Kibboutz Be’eri, les cadavres dénudés et ligotés de femmes ont été retirés des décombres.  Des groupes d’enfants, ligotés ensemble, ont été brûlés vifs, l’armée israélienne n’est arrivée que 9 heures après le début du massacre. De tels récits ne peuvent que fragiliser davantage la position du gouvernement Netanyahu.

L’ampleur de la catastrophe humanitaire aura un impact sur l’opinion publique israélienne, et risque de provoquer des mouvements insurrectionnels en Cisjordanie et ailleurs dans la région. Même si l’Égypte ouvre sa frontière, un exode de Palestiniens vers le Sinaï sera vécu comme une répétition du Nakba de 1948. Par ailleurs, l’invasion terrestre de Gaza pour « écraser et éliminer » le Hamas sera une opération extrêmement difficile. Certes, avec près de 400 000 soldats et des centaines de chars massés près de la frontière et des technologies militaires de pointe, l’armée israélienne possède une puissance destructrice beaucoup plus importante que celle du Hamas. Cependant, le milieu urbain va certainement réduire la portée de cet avantage. Les combats de rue, d’un bâtiment à l’autre, risquent d’être particulièrement meurtriers et seront sérieusement compliqués par l’existence du vaste réseau de galeries souterraines du Hamas.

Se pose ensuite la question de la finalité de cette invasion, car même si les combattants du Hamas sont complètement éradiqués, le déplacement forcé de plus d’un million d’habitants, la destruction massive de logements et d’infrastructures et les dizaines de milliers de civils qui seront tués ou blessés feront que pour chaque militant du Hamas tué, le chaos résultant de l’intervention israélienne pourrait bien créer des remplaçants en plus grand nombre. La question palestinienne ne peut pas être résolue militairement, ni pour les Palestiniens eux-mêmes ni pour l’État d’Israël.

Le nationalisme et le fondamentalisme sont une impasse pour les travailleurs de la région. La destruction d’Israël revendiquée par le Hamas est un projet réactionnaire et inacceptable. La classe ouvrière israélienne a le droit de vivre en paix et en sécurité. Cependant, sur la base du capitalisme et des ambitions impérialistes de la classe dirigeante israélienne, la paix et la sécurité n’existeront jamais. La concentration de richesse – et donc de pouvoir – entre les mains d’une petite minorité de la société israélienne se traduit par l’exploitation de la majorité des Israéliens et par une oppression brutale du peuple palestinien, sachant que le milieu des affairistes corrompus palestiniens s’accommode parfaitement de cette situation. Notons aussi que le puissant secteur industriel de l’armement en Israël tire profit de l’état de conflit perpétuel.

Il incombe aux travailleurs et leurs organisations d’offrir un programme permettant de rompre avec ce cycle infernal de guerres et d’oppression, de lutter pour unir les jeunes, les  travailleurs et les travailleuses autour d’un programme qui s’attaque au capitalisme et à l’impérialisme, et pour l’établissement d’une société nouvelle, libérée de l’emprise du profit et de l’exploitation, une société dans laquelle la propriété sociale et la gestion démocratique de l’économie permettront à tous les citoyens de vivre dignement et paisiblement ensemble. Le droit à l’autodétermination du peuple palestinien peut se réaliser que dans le cadre d’un renversement révolutionnaire de l’ordre établi. Dans l’immédiat, les mouvements ouvriers et toutes les forces de gauche à l’échelle internationale doivent s’opposer fermement au bombardement et à l’invasion de Gaza, comme à l’occupation israélienne de la Cisjordanie. Nous devons encourager le développement de luttes communes pour la défense des intérêts de tous les travailleurs, indépendamment de leurs origines ou de leurs croyances religieuses.

La Riposte

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