Crise économique et sociale au Royaume-Uni. Entretien avec John Pickard.

De longue date, le Royaume-Uni jouissait d’une réputation de stabilité gouvernementale. Et puis nous avons vu trois Premiers Ministres différents en l’espace de deux mois, sur fond de profondes divisions au sein du Parti Conservateur au pouvoir. Que s’est-il passé ?

Le Parti Conservateur est depuis longtemps l’un des partis de droite les plus solides en Europe.  C’est le “parti naturel du gouvernement” depuis 200 ans. Ses chefs étaient des représentants par excellence du capitalisme britannique. Cependant, en raison du déclin prolongé du capitalisme britannique par rapport à ses rivaux – un déclin qui a commencé dès avant la Première Guerre mondiale et qui s’est accéléré après 1945 – ses représentants sont devenus de plus en plus myopes. Par ailleurs, la classe capitaliste elle-même est divisée. L’aile la plus « traditionnelle », s’appuyant sur l’industrie manufacturière, a perdu le contrôle du parti au profit des spéculateurs financiers qui voient tout en termes de bénéfices rapides et faciles. C’est cette partie de la classe dirigeante qui a soutenu la stratégie du Brexit, dont les conséquences économiques sont désastreuses. La Grande-Bretagne est désormais « le malade de l’Europe ». Dans un sens, on peut dire que la classe capitaliste a perdu le contrôle de son propre parti, qui est tombé entre les mains de charlatans politiques.

Que fera le gouvernement de Rushi Sunak ?

Il imposera de sérieuses réductions dans les dépenses publiques, entraînant une dégradation des services publics aux niveaux national, régional et municipal. Il augmentera certaines taxes, y compris des « taxes exceptionnelles » sur les entreprises réalisant des superprofits. C’est qu’il doit à tout prix stabiliser l’appareil gouvernemental et empêcher un effondrement complet de la base électorale du Parti Conservateur. À un moment donné, le Parti Travailliste avait 26 points d’avance dans les sondages. Sunak voudrait réduire cet écart avant les prochaines élections. Il aura du mal à remettre le gouvernement sur des bases plus solides. Déjà, l’un de ses ministres a été contraint de démissionner pour avoir harcelé et menacé des hauts fonctionnaires. L’administration va de crise en crise.

L’ensemble de l’Europe glisse progressivement dans une situation de « stagflation ». L’économie du Royaume-Uni semble être plus durement touchée que l’Europe continentale. Quelle est la profondeur de la crise économique et quelles en sont les conséquences pour les travailleurs ?

La stagflation est un phénomène international, mais selon la plupart des indicateurs économiques, le Royaume-Uni est plus touché que tous les pays du G7 et la plupart des pays du G20. Son économie est en récession et la Banque d’Angleterre prévoit au moins deux années de croissance négative. C’est en partie à cause de la folie du Brexit – ce qui est maintenant reconnue même par des journaux de droite anciennement pro-Brexit – et en partie à cause de la corruption et de la myopie des gouvernants. Depuis de nombreuses années, le patronat a misé sur une main-d’œuvre bon marché et un faible niveau d’investissements pour s’en sortir. Ce modèle est en train de s’effondrer actuellement.

Le mouvement syndical réagit en conséquence. Près de 2 millions de syndiqués ont voté ou sont sur le point de voter pour une action de grève, car l’inflation, qui frappe surtout les ménages à faible revenu, est supérieure à 10 %. Les loyers augmentent. Les taux d’intérêt augmentent. De tous les pays européens, c’est au Royaume-Uni que nous avons connu la plus forte augmentation du prix de l’énergie. Récemment, même l’association des infirmières, le Royal College of Nurses, qui n’est pas vraiment un syndicat et qui s’est toujours opposé aux actions militantes, a voté majoritairement en faveur d’une grève. Des professeurs d’université, des cheminots, des postiers et des dockers ont tous annoncé des grèves. Un demi-million d’enseignants vont se prononcer prochainement. La mobilisation actuelle des travailleurs est d’une ampleur inconnue dans le pays depuis les années 70.

Quelles devraient être les principales revendications du mouvement ouvrier britannique à l’heure actuelle ?

L’ensemble du mouvement ouvrier a exigé une élection générale immédiate. Cette exigence est juste. Nous avons eu deux nouveaux premiers ministres sans mandat. Il faut également revendiquer :

  1. Une augmentation des salaires au moins égale à la hausse des prix depuis 12 mois et l’indexation de tous les salaires sur l’évolution future des prix.
  2. Le gel de tous les loyers et l’interdiction des expulsions des familles en difficulté.
  3. La remise dans le domaine public de tous les services publics qui ont été sous-traités à des entreprises privées : chemins de fer, services postaux, distribution d’énergie, etc.
  4. Annulation de toutes les réductions programmées des dépenses sociales. Remise à niveau des budgets de l’éducation et des services de santé.
  5. Pour un service national de santé entièrement public.

Si le Parti travailliste remporte les prochaines élections législatives, que devons-nous attendre de lui ?

La gauche du Parti exigera des mesures sérieuses dans l’intérêt des travailleurs, dans le sens des revendications listées ci-dessus. Le parti devrait défendre les travailleurs, pas les patrons. Cependant, ce programme ne serait pas réalisable sans remettre en cause le pouvoir des grands groupes capitalistes qui dominent l’économie. Il faut développer un plan de production démocratique pour mener à bien une politique radicale dans l’intérêt des travailleurs. C’est évident qu’un gouvernement travailliste serait soumis à une énorme pression de la part de la classe capitaliste pour imposer l’abandon des réformes sociales. La pression des grands groupes capitalistes et de l’ensemble de la classe dirigeante serait implacable. Le prochain gouvernement travailliste sera d’emblée un gouvernement de crise, sous la pression de forces sociales contradictoires. La seule façon de résister au sabotage capitaliste serait de mobiliser les travailleurs en masse.

Entretien avec John Pickard, Left Horizons / Parti Travailliste

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