Les causes de l’inflation

Depuis le milieu de l’année 2021, l’inflation, c’est-à-dire la hausse des prix, ne cesse de grimper de façon « incontrôlée ».  Cette augmentation a des conséquences très sérieuses sur la stabilité du monde et surtout pour les pays qui ont de faibles moyens de subsistance. La hausse des prix des aliments et de l’énergie est une menace directe pour les conditions d’existence pour les peuples dans les pays pauvres et, de manière générale, mine le niveau de vie de l’ensemble de la population mondiale sans distinction.

La guerre en Ukraine a aggravé le problème. Les importations de gaz russe représentent 40 % de la consommation totale des pays de l’Europe. D’un côté, Poutine et les capitalistes russes exercent des pressions sur l’approvisionnement en gaz. Depuis peu, ils ont fermé les robinets pour la Pologne, la Bulgarie, la Finlande, la Lettonie et la France, et réduit considérablement les exportations vers l’Allemagne, l’Autriche et l’Italie. De l’autre côté, les Occidentaux ont cherché des sources d’approvisionnement alternatives comme les États-Unis avec GNL (gaz naturel liquéfié) ou le gaz de schiste. Les capitalistes du secteur de l’énergie profitent de cette déstabilisation pour spéculer sur les prix. Il en résulte que le prix de l’énergie indispensable pour la production et le transport des marchandises alimente l’inflation.

Le secteur alimentaire est sous pression également. L’Ukraine est la quatrième exportatrice de céréales au monde. La guerre et le contrôle russe des principaux ports maritimes de la Mer Noire provoquent un effondrement des exportations dont certains pays sont largement ou totalement dépendants. C’est le cas de l’Égypte, la Tunisie, l’Algérie, le Maroc ou la Syrie. Les producteurs de céréales profitent de la situation pour spéculer sur les prix jusqu’à mettre en péril une partie de la population mondiale. Les capitalistes augmentent leurs profits au détriment des conditions de vie de la masse de la population. Mais si le prix de l’énergie et la guerre russo-ukrainienne participent à l’inflation, ils ne sont pas les seuls facteurs en jeu.

En temps normal, l’objectif d’inflation fixé par les banques centrales est de 2%. Ce taux, considéré comme idéal, permet de favoriser la consommation par rapport à la thésaurisation. Une thésaurisation trop importante provoquerait une diminution des investissements et, par conséquent, du taux de croissance. L’épargne deviendrait plus rentable que l’investissement. Le problème survient lorsque l’inflation dépasse largement les augmentations de salaire. Ce cas de figure risque de provoquer une montée du mécontentement général, des grèves et des révoltes. Pour les pays où le niveau de vie est le plus faible, des émeutes de la faim peuvent survenir. Or, la stabilité sociale et économique est plus commode pour les classes dirigeantes et leurs gouvernements. Les périodes d’instabilité économique ouvrent la possibilité d’une remise en cause de la domination économique et politique des capitalistes. En général, des périodes de croissance de stabilité économique sont plus confortables pour les exploiteurs, leur offrant non seulement des profits, mais aussi la paix sociale.

Selon l’école à laquelle ils appartiennent, les économistes n’analysent pas les causes de l’inflation de la même façon. Il en découle des préconisations différentes concernant les mesures d’endiguement possibles. Pour les keynésiens orthodoxes, l’explication classique de l’augmentation des prix résulterait de deux facteurs : une forte hausse de la demande et le plein emploi. Cette analyse domine très largement et est adoptée comme modèle théorique de référence par une grande majorité des partis politiques, y compris les réformistes de gauche. La période de covid aurait contraint les entreprises et les ménages à modérer leur consommation et ensuite à la compenser par une forte hausse de la demande lors de la sortie de la « crise ». Les chaînes d’approvisionnement n’auraient pas été capables de répondre immédiatement à cette hausse soudaine de la demande. D’autre part, le soi-disant « plein emploi » engendrerait une pression sur les employeurs pour l’augmentation des salaires qui serait répercutée sur le prix des marchandises. Si bien que si l’on adopte pleinement la théorie keynésienne, alors il faudrait appeler à la « modération salariale ». Ce sont bien les préconisations qui ont été appliquées depuis 1982 en France sous la présidence Mitterrand avec la désindexation des salaires sur l’inflation.

Cependant, cette thèse est réfutée par les faits. Après la période de confinement, s’il y a eu une certaine reprise de la demande, c’est surtout l’offre qui a fait défaut. Nous avions démontré dans un précédent texte sur la question de la dette publique que le ralentissement économique de la période pré-covid était lié aux taux de profit insuffisamment élevé dans le secteur productif. En d’autres termes, les investissements ne génèrent pas suffisamment de profits en retour. De ce fait, les entreprises limitent leurs investissements même si la demande existe, car c’est le taux de profit principalement qui tracte l’investissement. Nous étions précisément dans cette situation avant 2020, mais la crise du covid l’a plus ou moins masqué. Aujourd’hui, nous avons repris le cours « normal » des choses, c’est-à-dire qu’on observe un déséquilibre entre offre et demande au détriment de la première, qui a pour conséquence une augmentation des prix. En ce qui concerne le lien supposé entre plein emploi (augmentation des salaires) et inflation générale, celui-ci n’est pas démontré par la réalité historique du capitalisme. Dans les années 70, par exemple, nous avons observé une situation à l’opposé. Malgré une hausse constante du chômage et une dépression des salaires, l’inflation était très élevée (voir figure 2).

Déjà en 1865, dans Salaire, prix et profitMarx essayait de tordre le cou à l’idée avancée par Thomas Weston (membre de la première internationale) selon laquelle on ne pouvait pas faire pression pour une augmentation conséquente des salaires sans que cela entraîne une augmentation des prix des marchandises. Marx démontrait que la valeur d’échange d’une marchandise dépend non pas du niveau des salaires, mais du temps du travail socialement nécessaire à sa production. La concurrence entre les capitalistes fait que le prix d’une marchandise oscille nécessairement autour de cette valeur d’échange. La lutte pour l’augmentation des salaires en régime capitaliste est une lutte pour la répartition de la plus-value entre capital et travail. Un changement dans cette répartition qui serait plus favorable aux travailleurs n’entraîne pas une hausse des prix que la concurrence n’autorise pas, mais seulement une baisse des profits.

Pour tenter de contrecarrer la montée de l’inflation, la BCE et la FED s’inscrivent typiquement dans la vision keynésienne. Après la crise financière de 2008 – 2009, elles avaient baissé leurs taux directeurs pour favoriser l’investissement et la consommation. À cette époque, le niveau d’inflation était très bas. Aujourd’hui, les taux directeurs sont revus à la hausse dans l’objectif de freiner la demande pour revenir à un niveau d’inflation plus supportable. Or, comme nous l’avons montré, l’inflation est le résultat d’une situation endogène à l’économie et non exogène (politique économique, comportement des consommateurs…). Cette politique n’aura alors aucune influence sur l’inflation. Cependant, elle aura pour effet de miner la demande et d’accentuer la stagnation économique.

Aux États-Unis, entre 2012 et 2019, le bénéfice des entreprises relativement constant était de 3 081 $ par an et par salarié. En 2021, ce bénéfice a atteint 5 207 $. Cette hausse des bénéfices représente 44% de la hausse des prix américaine. En France, 2021 est une année record en matière de profits. La spéculation sur l’énergie a permis à Total d’engranger 14 milliards d’euros de bénéfice, soit 24% de plus qu’en 2019. Les profits des entreprises du CAC40 ont atteint 137 milliards d‘euros soit une hausse de 71% par rapport à 2019. Selon un rapport d’Oxfam  publié en janvier 2022, les 5 familles les plus riches de France ont vu leur capital augmenter de 173 milliards d’euros, ce qui est l’équivalent des dépenses supplémentaires de l’État liées au covid (voir tableau 1) et 231 milliards supplémentaires pour les milliardaires français.

Soit dit en passant qu’il est assez aisé de comprendre que toute la politique d’aide aux entreprises du gouvernement Macron, pratiquement sans conditions, a contribué à ce saut vertigineux, tout en faisant passer ces aides comme un moyen de sauver l’emploi. Pendant que les plus gros capitalistes se sont davantage enrichis par le biais des aides de l’État, la situation des travailleurs plus précaires s’est aggravée.

L’inflation est la conséquence de deux phénomènes. D’une part, le goulet d’étranglement des chaînes d’approvisionnement a provoqué un choc de l’offre. D’autre part, la spéculation abusive pour maximiser les profits ont fait grimper les prix. Les entreprises qui avaient constitué des stocks avant l’inflation galopante ont revendu leurs marchandises par la suite et ont contribué à la montée des prix. Mais cette politique a ses limites. Premièrement, tôt ou tard l’inflation rattrape tous les secteurs et, par conséquent, ce que les capitalistes gagnent en tant que vendeurs, ils risquent de le perdre en tant qu’acheteurs. Deuxièmement, la concurrence féroce exerce une pression sur les prix qui baisseront à un moment ou un autre. Ces opérations spéculatives sont parfaitement visibles dans les secteurs de l’énergie notamment le pétrole et l’alimentaire, en particulier les céréales ou les producteurs en usent et abusent. Ce sont particulièrement ces deux secteurs qui sont sous tension actuellement.

La rapacité des capitalistes est sans limites. Le mode de production capitaliste est anarchique. Il est fait de brusques montées et descentes et entraîne les peuples dans une précarité insupportable. La collectivisation des moyens de production et la planification économique mettraient fin aux opérations spéculatives et permettraient d’avoir un mode de production plus harmonieux et en adéquation avec les grands enjeux de l’humanité. Cela nécessite de briser la mainmise des capitalistes sur l’économie.

Gauthier Hordel

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