L’héritage juif révolutionnaire, ou les fils de la Révolution !

En voilà un titre qui pose une problématique politique…

J’avais lu la vie de Pierre Goldman, égérie du gauchisme dans les années 70, l’histoire du Bund, le ghetto de Varsovie, des biographies et « vies » des dirigeants bolchéviks comme Radek, comme Rosenfeld dit Kamenev, ou Apfelbaum dit Zinoviev, ou encore Uritsky, Volodarski, Sverdlov (Yankel) et Nakhamkes (Steklov) et bien sûr Lev Davinovitch Bronstein, connu du monde sous le nom de Léon Trotsky.  Avec l’histoire les résistants de la MOI, de nombreux dirigeants et militants du PCF, et la sordide vérité des camps nazis racontée à travers des témoignages terribles et émouvants, une question surgissait : pourquoi tant de juifs dans le mouvement révolutionnaire ?

Alors, je prends la problématique par un petit bout de la question posée. Léon Trotsky écrivait en avril 1939, au seuil de la Guerre Mondiale : « Les juifs, par exemple, sont souvent à moitié étrangers, pas tout à fait assimilés : ils adhèrent volontiers à toute tendance nouvelle, critique, révolutionnaire ou à moitié révolutionnaire, que ce soit en politique, en art ou en littérature. Une tendance révolutionnaire nouvelle, qui va contre le courant général dominant de l’histoire à un moment donné, se cristallise d’abord autour d’hommes qui sont plus ou moins coupés de la vie nationale, dans quelque pays que ce soit : et c’est précisément pour eux qu’il est le plus difficile de pénétrer dans les masses. Bien entendu, nous devons critiquer la composition sociale de notre organisation et la modifier, mais nous devons aussi comprendre qu’elle n’est pas tombée du ciel, qu’elle est déterminée, au contraire, aussi bien par la situation objective que par le caractère de notre mission historique en cette période. »

Dans l’histoire du « trotskisme » en France – et cela vaut aussi pour l’ensemble du mouvement communiste issu de la Révolution d’Octobre, dont le « trotskisme » fait partie intégrante – un fait est à relever : à savoir la place importante des Juifs dans le mouvement. Âmes damnées des « pogroms » de l’Est, ils furent des cadres solides, des internationalistes sincères.

« Maman » s’appelait Luxemburg. Elle était cousine à la grande Rosa en Allemagne, mais avez-vous entendu parler d’elle ? Maurice et Charly Najman, anciens leaders « pablistes » intimes de Michel Raptis, autrement dit « Pablo », étudiants et lycéens de 1968 à 1978, engagés dans les Comités Vietnam, racontaient que leur mère Solange leur chantait avec un certain accent yiddish. À Lodz, en Pologne, elle faisait la grève, et sa grande amie de l’époque était une cousine de Léon Trotsky.

Les parents de Daniel Gluckstein (responsable du POID, ex-membre de la Ligue Communiste passé aux “Lambertistes”) ont croisé ceux des frères Najman dans les ghettos de Lotz et Radom. Ce sont des militants du Bund, le Parti Socialiste Révolutionnaire juif. Henri Weber, sénateur socialiste, est cofondateur de la LCR (devenu le NPA). Ses parents, horlogers juifs, étaient de Czanow en Haute Silésie. La famille Krivine, Alain, Hubert, Jean-Marie, est arrivée en France au début du siècle, fuyant les pogroms de Russie. « Barta », de son vrai nom David Korner, est né en 1914, à Buhuşi en Roumanie, dans une famille de petits commerçants juifs. Il sera le fondateur de ce que sera un jour le journal Lutte Ouvrière, et d’une organisation, l’Union Communiste. Il a dit dans une interview : « J’ai eu cet énorme avantage d’être né dans un pays où les révolutionnaires peuvent exister psychologiquement (…) Une société avec une véritable haine des possédants… ». Il s’est plus tard éloigné plus d’« Hardy », (Robert Barcia), le vrai fondateur de Lutte Ouvrière.

Pierre Frank, fondateur, avec Ernest Mandel le dirigeant belge de la IVe Internationale, (israélite lui aussi) du PCI (précurseur de la LCR), est né à Paris en 1905. Ses parents, venant de Vilnius en Lituanie, étaient des artisans tailleurs juifs. Après la Révolution de 1917, ils l’emmènent aux meetings du Parti Communiste. Puis il y ira seul, pour convaincre ses camarades…

Pierre Lambert de son vrai nom Pierre Boussel, est né le 20 juin 1920, à Paris, de parents juifs russes fraîchement débarqués, dans une misère noire. Il vivait à Montreuil. Ses copains adhéraient à Hachomer Hatzaïr, « la jeune garde ». Lui préféra les Jeunesses Communistes.

Ces exemples pourraient se multiplier, ils sortent tous du « monde juif révolutionnaire ». Dans les années 70, l’humour résumait bien cette situation : « pourquoi ne parle-t-on pas Yiddish au Bureau Politique de la Ligue communiste ? » Parce qu’à part Michaloux, Weber, Krivine,.. Frank… Daniel Bensaïd lui, est séfarade.

Il est vrai qu’à part Alain Krivine, beaucoup sont passés par Hachomer Hatzaïr. C’est l’une des racines de LO, forgée au « kibboutzisme ». Cela se voit par exemple dans l’itinéraire de Michel Rodinson, directeur de l’hebdomadaire de LO.Ils y faisaient de l’entrisme en force et recrutaient à tout va… L’Hachomer, une sorte de scoutisme sioniste de gauche avait une atmosphère « militaro » qui séduisait beaucoup…

Pour Charly Najman : « Le messianisme trotskiste est le fruit d’une rencontre entre la mystique juive et la mystique révolutionnaire ». Daniel Bensaïd disait que « l’idée révolutionnaire se rattache à une tradition. »

Mais avons-nous oublié qu’aux origines du PCF, à son congrès fondateur de Tours, que c’est le camarade Boris Souvarine qui sera l’un des tenants majeurs du ralliement au Komintern et à la création de la SFIC (Section Française de l’Internationale Communiste) en 1920. De son nom Boris Lifschitz, né le 5 novembre 1895 à Kiev, issu d’une famille juive, il est le fils de Kalman Lifschitz, ouvrier joaillier, et de Mina Steinberg. En 1897, la famille Lifschitz quitte la Russie pour la France. Elle obtient la nationalité française par naturalisation en 1906. Militant communiste, exclu du PCF en 1924, Souvarine est dès les années 1920 l’un des plus grands critiques du stalinisme, auteur en 1935 d’une biographie pionnière de Staline.

En France, dans les années 30, la communauté juive est dominée par le PCF, « des chorales, un théâtre juif, des écoles en langue yiddish, une université populaire, des conférences, un club sportif » … Tout cela disparaîtra tragiquement dans les camps de concentration fascistes.

Les animateurs de la Kulturliga travaillaient avec la MOE qui deviendra la MOI en 1932… En 1937, le PCF organise un congrès mondial de la culture juive où défilèrent figures culturelles et artistes de premier plan.

N’oublions pas Thomas Elek, né à Budapest et fusillé par les nazis, et dont “L’Affiche Rouge”, collée en 15000 exemplaires sur les murs de Paris, porte un bien triste témoignage, à côté de Manouchian. Ce sont donc les enfants de la Shoah, qui en France ont largement structuré le mouvement communiste, y compris sa composante « trotskiste ». Parmi ces milliers de jeunes qui se sont tournés vers l’extrême gauche dans les années 60, et qui précédemment, plus nombreux encore ont rejoint les PCF, il y avait un nombre important de camarades juifs. En Israël, on retrouvait la trace de cette tradition révolutionnaire, comme en témoignent certains scores du Parti Communiste israélien.

Je pense à d’autres camarades d’origine juive, qui s’appellent Chorowitz, Cyroulnik, Glichtzman et Feldhandler. Leurs familles, d’origine juive, avaient émigré en France dans les années 1920 et 1930 pour fuir la misère et l’antisémitisme. Elles venaient de Pologne, de Russie, de Lituanie. Elles ont été plongées dans l’horreur de la Shoah. Nés dans la France de l’après-guerre, ils ont nourri une profonde colère et, pour certains, une soif de vengeance. Qu’est-ce qu’on fait de toute cette colère, quand on a vingt ans, dans les années 1960-70, et qu’on a envie de changer le monde ? Eux aussi sont devenus des militants marxistes révolutionnaires.

Ici, pour montrer que ce phénomène n’est pas que français, je citerai, bien sûr, notre cher camarade, Edward « Ted » Grant, de son vrai nom Isaac Blank, né le 9 juillet 1913 dans une famille anglophone et juive, en Afrique du Sud. Ted Grant est mort le 20 juillet 2006, en Grande-Bretagne.

Pour conclure, je voudrais rappeler la chanson révolutionnaire Zog nit keynmol (Ne dis jamais), écrite en yiddish en 1943 par Hirsh Glick, ce jeune juif détenu au ghetto de Vilnius où il apprend le soulèvement du ghetto de Varsovie contre les nazis. La mélodie est du russe Dmitry Pokrass écrite en 1935… Traduite du Yiddish !

Ne dis jamais que c’est ton dernier chemin
Bien que les cieux de plomb cachent le bleu du jour
Car sonnera pour nous l’heure tant attendue
Nos pas feront retentir ce cri : nous sommes là !
Du vert pays des palmiers jusqu’au pays des neiges blanches
Nous arrivons avec nos souffrances et nos douleurs
Et là où est tombée la plus petite goutte de sang
Jailliront notre héroïsme et notre courage
Le soleil illuminera notre présent
Les nuits noires disparaîtront avec l’ennemi
Et si le soleil devait tarder à l’horizon
Ce chant se transmettra comme un appel
Ce chant n’a pas été écrit avec un crayon, mais avec du sang
Ce n’est pas le chant d’un oiseau en liberté :
Un peuple entouré de murs qui s’écroulent l’a chanté, l’arme à la main
Aussi ne dis jamais que c’est ton dernier chemin
Bien que les cieux de plomb cachent le bleu du jour
Car sonnera pour nous l’heure tant attendue
Nos pas feront retentir ce cri : nous sommes là !

La chanson en ligne – Chava Alberstein – ZOG NIT KAYN’MOL (Jewish Partisan’s Anthem)

Fraternellement,

Laurent Gutierrez, PCF 21/La Riposte en Côte d’Or 

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One thought on “L’héritage juif révolutionnaire, ou les fils de la Révolution !

  1. Vous oubliez (volontairement ?) tous les noms de ceux qui, zélés, furent à la tête de l’appareil de répression et des camps dés le lendemain de la révolution (création de la Tchéka en décembre 1917), très souvent majoritaires, et sanguinaires, aux côtés des lettons, et ce jusqu’aux années 50…

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