Israël, Territoires Occupés : le coronavirus n’arrête ni l’oppression ni la discrimination, il les intensifie.

Les crises sanitaires, les pandémies, les crises humanitaires, mettent en lumière partout dans le monde les inégalités, les dysfonctionnements et les discriminations qui structurent les sociétés, au sein d’un territoire ou d’une population. La pandémie de Covid-19 exacerbe les vulnérabilités liées à la pauvreté, partout dans le monde. En Palestine elle exacerbe également la précarité liée à la discrimination et à l’occupation. Le peuple palestinien souffre de la pandémie elle-même, comme tout autre peuple. Mais il en souffre particulièrement en tant que population appauvrie, comme toute autre population pauvre et dépourvue face à une maladie onéreuse à guérir et contre laquelle il est difficile de se prémunir. S’ajoutent à cela les souffrances qu’il subit en tant que peuple colonisé, discriminé et abandonné.

La crise du coronavirus met en évidence le régime de discrimination raciale institutionnalisé, la domination et l’oppression qu’exerce Israël sur le peuple palestinien. Elle montre comment, pour des raisons politiques et idéologiques, l’État israélien lutte de façon différente en fonction des territoires, des communautés et des nationalités.  

Émilie & William

Des politiques discriminatoires depuis 53 ans, la souffrance de tout un peuple

En 1967, Israël envahit la Cisjordanie, Gaza et Jérusalem-Est. L’armée émet alors des ordres pour suspendre les droits civils et politiques des palestiniens. Depuis 53 ans, les Palestiniens vivent sous l’occupation israélienne. Depuis lors, Israël maintient un système de discrimination institutionnalisé envers les Palestiniens vivant dans les territoires occupés. Ces derniers subissent répressions et oppressions permanentes, ainsi qu’une violation systématique des droits humains. De fait, plusieurs générations de palestiniens sont nées sous ce système discriminatoire et oppressif, qui les prive de droits civils et humains.

L’État d’Israël établit une différence de traitements des populations de la Cisjordanie où il exerce un contrôle (Jérusalem-Est et 60% de la Cisjordanie), selon qu’elle soit palestinienne ou israélienne. Ainsi, le droit civil israélien qui offre protections, droits et avantages juridiques s’applique aux 580 000 colons israéliens (vivant dans les 237 colonies – chiffre de 2017), alors que les 3 millions de Palestiniens présents sur le même territoire, eux, sont soumis au droit militaire israélien leur offrant entre autres, brimades discriminatoires, punitions collectives et détentions administratives prolongées sans inculpation ni procès1,2.

En 2010, Caroll Bogert, alors présidente de Human Rights Watch déclarait que « les enfants palestiniens dans les zones sous contrôle israélien étudient aux chandelles et voient les fenêtres des colons éclairées à l’électricité »3. Les Palestiniens sont victimes d’un système ségrégationniste qui les exproprie et vole leur terre, limite leur liberté de déplacement par la mise en place de check-points ou l’interdiction d’accès à certaines routes menant à leurs terres agricoles, et leur refuse ou restreint l’accès à l’eau courante et à l’électricité2. A l’opposé, Israël encourage l’expansion coloniale sioniste dans les territoires occupés, en offrant des aides au logement, à l’éducation, un accès aux services d’éducation, de santé, d’eau courante et d’électricité, en fournissant des subventions pour la construction d’infrastructures et de routes réservées à la population israélienne, conduisant à une expansion continue des colonies de peuplement, comme en témoigne l’augmentation du nombre d’habitants au sein des colonies, ayant doublé en à peine 8 ans1. S’il est facile pour les Israéliens d’obtenir des permis de construire sur ces terres, les demandes de permis de construire pour des logements, des écoles ou des cliniques palestiniennes sont très régulièrement refusées, pour ne pas dire systématiquement. Les infrastructures et logements de la population palestinienne sont également détruits à des fins de colonisation.  Ainsi, des milliers de personnes ont été forcés de se déplacer suite à la destruction de 931 habitations entre 2017 et 20194. Les colons saisissent les terrains appartenant aux Palestiniens pour y établir des colonies, toujours implantées à des endroits stratégiques les privant de leurs ressources.

Les Palestiniens sont victimes d’un système ségrégationniste qui les exproprie et vole leur terre, limite leur liberté de déplacement par la mise en place de check-points ou l’interdiction d’accès à certaines routes menant à leurs terres agricoles, et leur refuse ou restreint l’accès à l’eau courante et à l’électricité.

Selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaire de l’ONU (BCAH), plus de 180 communautés rurales de Cisjordanie et plus de 56 000 personnes des villages non reconnus (par les autorités israéliennes) n’ont pas accès à l’eau courante5. En 1967, les autorités Israéliennes ont pris le contrôle des réserves d’eau souterraines de la côte et des montagnes. Ce contrôle oblige des dizaines de milliers de Palestiniens à acheter l’eau, notamment à la compagnie des Eaux Mekorot, propriété de l’État d’Israël, à des prix exorbitants, trois fois plus cher que ce que ne payent les colons6. Selon Amnesty international, les dépenses pour l’eau peuvent constituer jusqu’à la moitié du revenu mensuel d’une famille au sein des communautés les plus pauvres, alors que le colon Israélien moyen consomme jusqu’à huit fois plus d’eau qu’un Palestinien5. Alors qu’Israël exploite les ressources en eau qu’il s’est approprié, qu’il confisque et détruit les infrastructures permettant aux villageois palestiniens de puiser l’eau, qu’il dévie l’eau pour alimenter certaines de ses colonies, il établit aussi des restrictions d’accès à l’eau à destination des Palestiniens. Ce système de contrôle rend impossible à la classe ouvrière palestinienne et aux familles les plus pauvres de se garantir des conditions d’hygiène élémentaire. L’eau, utilisée comme un véritable moyen de contrôle des populations palestiniennes, devient une arme de guerre, un puissant moyen de domination.

Les colons attaquent régulièrement les communautés palestiniennes : harcèlements, coups, lapidation, tirs d’armes à feu, destruction des habitations, destructions des cultures… sont le lot commun des villageois. Perpétrées en toute impunité, ces attaques ont significativement augmenté au cours des dernières années4. Médecins du monde (MDM) recense chaque semaine au moins un incident critique – menaces de mort, blessures graves ou assassinats – dans les zones que couvre l’association7. Outre la violence physique, la domination qu’exercent les colons sur les Palestiniens et l’impunité de leurs actes conduit à des aberrations comme brûler une école simplement parce que le chant des écoliers dérange les colons7

De nombreux organismes dénoncent ces politiques âprement discriminatoires qui génèrent pour certains de nombreux avantages financiers et un soutien généreux aux travaux d’infrastructures pour encourager la migration des colons, leur permettant de jouir d’un confort de luxe, alors même qu’il réduit l’accès aux services de base des communautés palestiniennes, entravant délibérément leur croissance et les contraignant à subir des conditions de vie difficiles, voire indignes. Le mur de séparation entre la Cisjordanie et Israël, symbolise à lui tout seul le clivage entre ces deux populations partageant le même territoire. En plus d’entraver leur liberté de circulation, il isole les populations palestiniennes et leur rappelle au quotidien la domination qu’exerce Israël sur leur territoire et leur peuple.

L’autorité palestinienne coopère avec l’autorité israélienne, elles coordonnent ensembles certaines opérations de sécurité. Les Palestiniens se retrouvent alors exposés à un double risque d’être détenus, venant des deux autorités qui pratiquent toutes deux dans leurs prisons respectives la menace, la violence, l’humiliation et la torture1.

Si en Cisjordanie, les palestiniens sont soumis à l’occupation israélienne et à l’autorité palestinienne, les Palestiniens de la bande de Gaza sont, eux, soumis d’une part au blocus israélien mais également aux tensions politiques entre l’autorité palestinienne, et le Hamas, qui fait figure d’autorité sur ce petit territoire enclavé. En effet, à Gaza, violences, humiliations et violations des droits de l’Homme, se doublent d’un blocus terrestre, aérien et maritime, qui depuis 13 ans provoque une « lente asphyxie du territoire et de sa population ». Le blocus prive ses habitants de soins, de matières premières, de matériaux de construction, de télécommunications et de libertés. Avec un prix des denrées alimentaire élevé, un faible accès aux soins et une restriction de fourniture d’électricité limitée à 8h/jour, (voire parfois à seulement 4h selon le bon vouloir d’Israël), il est  impossible de mener une vie normale7. Ainsi, 70 à 80% des 2 millions de Gazaouis dépendent de l’aide humanitaire pour leur survie2, 8. Des ressources sont pourtant présentes sur ce territoire, dans les secteurs proches de la frontière, interdits d’accès par Israël de manière unilatérale (i.e. uniquement aux Palestiniens), pour des raisons de « sécurité ». Bien que des milliers de paysans et pécheurs aient besoin de s’y rendre pour travailler et obtenir un revenu de subsistance, Israël s’octroie le droit d’intervenir et de recourir à ses forces armées pour faire « respecter cette interdiction », se caractérisant par des tirs réguliers7.

(…) à Gaza, violences, humiliations et violations des droits de l’Homme, se doublent d’un blocus terrestre, aérien et maritime, qui depuis 13 ans provoque une « lente asphyxie du territoire et de sa population »

Après plusieurs années de guerre et de division politique, c’est tout un peuple qui souffre de ces décennies d’occupation et de siège. Ce sont des femmes, des hommes et des enfants qui sont privés de toute perspective d’avenir, de leur dignité et de leur liberté. Ces temps de pandémie mondiale sont l’occasion de mettre en avant la privation de leur droit d’accès à la santé.

Des politiques ségrégationnistes qui affaiblissent le système de santé palestinien

Les services de santé des territoires occupés de Palestine ont entre autres été mis à mal successivement par les retenues sur les taxes prélevées au nom de l’autorité palestinienne et de Gaza, les coupes dans les financements américains, et par les mesures d’austérité imposées à l’autorité palestinienne par la banque mondiale et le FMI5, 9.

Les palestiniens représentent 20% de la population totale d’Israël10. La majorité d’entre eux vivent dans des villes ou villages peu intégrés au reste du pays, ils disposent d’un moindre accès à l’information, aux services publics et services de soins. Le quartier de Kurf Aqab, officiellement quartier de Jérusalem-Est, situé de l’autre côté du mur de séparation, est relié à Jérusalem par le check-point Qalandia, seul point d’entrée et de sortie du quartier. Les résidents paient leurs impôts à la municipalité de Jérusalem mais ne bénéficient pas des mêmes services publics que les résidents de l’autre côté du mur. Il n’y a par exemple pas d’eau courante dans ce quartier. Une distribution d’eau est organisée seulement deux fois par semaine. Pas de ramassage des ordures non plus dans ce quartier, conduisant les habitants à incinérer eux-mêmes les ordures, dégageant des fumées toxiques et dangereuses pour la santé des habitants11.

Le camp de Shuafat est le seul camp de réfugiés palestiniens situé dans la ville de Jérusalem-Est, à sa périphérie. Y vivent 60 000 palestiniens qui ont le statut de résidents de la ville12. Eux aussi paient leurs taxes aux autorités israéliennes et cotisent auprès des services sociaux israéliens. Le camp ne dispose d’aucun hôpital, et d’une seule clinique. Les hôpitaux les plus proches sont tous israéliens. Mais sur ordre de la police et de l’armée, les ambulances israéliennes n’entrent pas dans le camp de Shuafat ni dans ses quartiers environnants. Les habitants ont été forcés de mettre en place un système de relai : les ambulances du croissant rouge palestinien (i.e. Croix-Rouge) apportent les patients jusqu’au check-point, pour que des ambulances israéliennes puissent les prendre en charge et les transporter jusqu’à l’hôpital12. Les prix de l’immobilier, les difficultés pour obtenir un permis de construire à Jérusalem et les démolitions des maisons sont autant de raisons qui poussent les familles palestiniennes résidentes de Jérusalem à s’exiler dans ces quartiers périphériques abandonnés, aux services municipaux défaillants voire inexistants.

Dans toute la Cisjordanie occupée, de nombreux palestiniens sont privés d’accès aux services de santé élémentaires à cause de la confiscation des terres et de la limitation de leurs déplacements. Les communautés palestiniennes de la Zone C, équivalente à 60 % de la Cisjordanie, sont particulièrement en danger. Dans la région du Naqab (Negev) par exemple, plus de 80 000 palestiniens n’ont pas accès aux soins de santé d’urgence5.

En bord de Méditerranée, le blocus a de lourdes répercussions sur le système de santé de Gaza. Tout d’abord il induit des problèmes matériels. Comme Israël restreint l’accès à l’électricité, le matériel médical tel que le matériel radiographique ou les respirateurs, est soumis à de fréquentes coupures, le forçant à fonctionner seulement par intermittence4, 7. La pénurie de médicaments, de consommables et d’équipements y est permanente : en juillet 2019, plus de 50% des médicaments essentiels étaient indisponibles sur ce territoire selon MDM4. Les interdictions de sortie du territoire de la bande de Gaza limitent également la formation des médecins. Gaza manque aussi d’ambulances, et de centre de santé et d’urgence correctement équipés. Ainsi, les patients qui nécessitent des soins d’urgence, ou des soins spécifiques, comme des chimiothérapies ou des traitements de maladies chroniques, indisponibles à Gaza, doivent être transférées dans d’autres hôpitaux, à Jérusalem-Est par exemple, sous conditions d’en obtenir l’autorisation des autorités israéliennes. Le fait de soumettre les soins à une autorisation de sortie bafoue clairement le droit international d’accès aux soins. Selon MDM le nombre de permis de sortie accordés aux patients nécessitant des soins urgents n’a de cesse de diminuer : il est passé de 76,6% en 2015 à seulement 44% en 20174, mettant ainsi des centaines de personnes en danger. Par exemple, ces permis ne sont pas accordés quand une personne de l’entourage du patient est ou a été « reconnue » comme un activiste politique, ou lorsque des femmes refusent de céder aux pressions d’Israël et de devenir leurs informatrices. Ainsi, seules 50% des femmes Gazaouites souffrant d’un cancer du sein guérissent, contre 80% en Israël7. Chaque année des personnes meurent parce que leur permis de sortie pour raisons médicales a été refusé ou est arrivé trop tardivement7. En 2018, 52 personnes sont décédées en attente de cette autorisation4, 8. Les inégalités sociales entre Gazaouis et Israéliens sont telles que les moyens financiers font aussi obstacle aux soins malgré l’autorisation de sortie du territoire. Ainsi, le coût de transport vers les hôpitaux israéliens et celui de l’hébergement pour le patient et/ou l’accompagnateur, étant à la charge du patient, sont également un frein à l’accès aux soins. En effet, le taux de pauvreté dans la bande de Gaza y atteint 86% de la population, dont 33% sont en situation d’extrême pauvreté4, 13. Les inégalités sociales et médicales entre Gazaouis et Israéliens sont illustrées par la mortalité infantile qui est sept fois plus élevée à Gaza qu’en Israël, et l’espérance de vie qui y est inférieure de 10 ans9.

(…) seules 50% des femmes Gazaouites souffrant d’un cancer du sein guérissent, contre 80% en Israël

Un rapport dénonce l’impunité chronique des attaques contre le personnel médical et paramédical palestinien14. Entre mars 2018 et décembre 2019, à Gaza, ce sont au moins 3 travailleurs de la santé qui ont été tués, et 845 blessés, ainsi que 112 ambulances et 7 centres de soins qui ont été détruits15. En 2014, les frappes israéliennes avaient détruit 17 hôpitaux et dispensaires de la bande de Gaza8.

En 2019, MDM présentait un rapport sur les conséquences du blocus et de l’économie de Gaza sur le système de santé16. Une douzaine d’institutions privées ou gouvernementales et ONG sont présentes sur ce petit territoire et tentent d’apporter une aide sanitaire et médicales aux 2 millions de palestiniens qui y vivent. Malheureusement cette aide concerne trop souvent des projets d’urgence, à court-terme, en réponse à une offensive israélienne ou une catastrophe, et ne répond pas aux besoins à long-terme. Elle ne permet pas d’assurer la durabilité du système de santé de Gaza, pris au piège d’un conflit prolongé. Ainsi, si de nouveaux centres de soins peuvent ouvrir, les forces d’occupation israéliennes restreignent leur équipement, leur approvisionnement en médicaments et en moyens humains, les empêchant alors de fonctionner correctement16. En 2009, un rapport de l’OMS accusait Israël de limiter délibérément l’accès des approvisionnements en matériel médical et en pièces détachées pour réparer le matériel défectueux, laissant ainsi Gaza dépourvu de matériel en état de marche8.

L’accès aux soins pour les Gazaouis est inévitablement soumis au bon vouloir israélien délivrant ou non les autorisations de sorties, gardant ainsi la main mise sur la santé de toute une population fragilisée. Le système de santé s’est, au fil des années de siège, détérioré pour se retrouver dans un état de délabrement, aggravé par une pénurie d’électricité, de médicaments de base et de personnel soignant. Les conditions sanitaires et d’hygiène y sont également déplorables, comme le montre ce chiffre alarmant : 90% de l’eau « potable » est tout simplement considéré comme impropre à la consommation humaine17, 18. Ainsi, les palestiniens de Gaza font face à des obstacles restreignant leur accès aux soins, que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur de la zone sous blocus.

Ces restrictions d’accès aux soins en territoire occupé, qui sont depuis des décennies préoccupantes semblent maintenant inquiéter la communauté internationale plus fortement qu’à l’accoutumée. En effet, ce système de soin défaillant et peu robuste pourrait avoir des conséquences catastrophiques sur la population palestinienne en cas de percée de l’épidémie de coronavirus sur les territoires occupés, de par son incapacité à apporter les soins nécessaires aux malades.

Un système de santé trop affaibli pour faire face à une vague de Covid-19

Le premier cas de COVID-19 en Israël a été diagnostiqué le 21 février. Le virus est apparu en territoire palestinien occupé deux semaines après. Un mois plus tard, alors que l’OMS recensait un peu plus de 8 000 cas en Israël et 227 sur les territoires occupés, les premiers ministres israélien et palestinien encourageaient les gens à se confiner chez eux, et imposaient des réglementations strictes pour limiter les mouvements12. Au 22 mai, les territoires occupés palestiniens comptent 781 cas positif au COVID-19 et 4 morts20.

Les habitants de certains quartiers et camps de réfugiés de Jérusalem-Est, comme à Shuafat et Kufr Aqab, ne comptent pas sur les autorités israéliennes pour les informer ou les protéger. Ils redoutent surtout une chose : que le gouvernement ne finisse par fermer le seul check-point qui relie leur quartier surpeuplé au reste de la ville, les isolant et les fragilisant encore plus en les coupant des services de santé les plus proches12. La crainte d’une propagation rapide du virus à Jérusalem-Est n’est pas sans fondements. Les quartiers palestiniens sont surpeuplés, souvent délabrés et les services publics sont largement insuffisants12, 5. Les hôpitaux de Jérusalem-Est ne possèdent que 22 respirateurs pour environ 350 000 personnes. La Cisjordanie n’en possède que 256 pour une population de près de 3 millions de palestiniens, dont 90% sont déjà utilisés5.

Même en temps de pandémie mondiale, où la raison serait tentée de privilégier les questions de santé publique au moins pour protéger la population coloniale, l’État, en dépit de tout bon sens, continue de pratiquer cette discrimination déjà trop institutionnalisée. Des tests de dépistage ont été mis à disposition des communautés palestiniennes seulement plusieurs semaines après leur mise à disposition des communautés israéliennes et plusieurs semaines ont également été nécessaires au Ministère de la Santé avant qu’il ne traduise en arabe les informations concernant le coronavirus publiées sur son site10. Il a fallu attendre par exemple, un mois plus tard, que la Cour suprême soit saisie pour qu’un centre de dépistage soit ouvert à Jérusalem-Est21. A défaut de tests de dépistage et de traitements, l’autorité palestinienne a quant à elle mis en place des mesures de sécurité pour prévenir la prolifération de l’épidémie dans les zones dont elle a le contrôle. Comme beaucoup d’autres gouvernements, elle a mis en place une société de contrôle via un couvre-feu, des contrôles policiers et employé un discours culpabilisant et paternaliste pour éviter toute forme de contestation. Mais, selon Abaher El-Sakka, sociologue à l’université de Birzeit, les palestiniens respectent ces mesures de confinement, non par peur de l’autorité palestinienne, mais par manque de confiance dans ses structures sanitaires22.

La crainte d’une propagation rapide du virus à Jérusalem-Est n’est pas sans fondements. Les quartiers palestiniens sont surpeuplés, souvent délabrés et les services publics sont largement insuffisants.

Alors que rien ne sort ni n’entre dans la bande de Gaza sans une autorisation Israélienne, le coronavirus, lui, a réussi ce tour de force. Début avril, il se serait sournoisement introduit, porté par deux palestiniens de retour du Pakistan et se serait propagé au moins à une douzaine de personnes, fin avril9. Le matériel de dépistage disponible était alors déjà épuisé, les médecins ne peuvent en réalité avoir une idée précise de l’étendue de la contagion. Une personne infectée pourrait contaminer 2 à 2,5 personnes. La densité de population à Gaza est telle que les experts du monde entier craignent une catastrophe, une contagion massive, aggravée par la faiblesse des infrastructures sanitaires et médicales23. Gaza est l’une des zones les plus pauvres et les plus densément peuplée au monde. La distanciation physique semble impossible à mettre en place. Les statistiques officielles israéliennes, comme palestiniennes, indiquent que la bande de Gaza compte environ 2 millions d’habitants (dont 1,3 millions de réfugiés) pour une superficie de 365 km² 4, 8,16. Ce qui correspond à une densité de population avoisinant les 6 000 habitants au km². Mais, selon les géographes palestiniens, les zones habités ne couvrent que 40 km² du territoire, rapportant alors la densité de population à 50 000 habitants au km², alors supérieure à celle de Manille ou de Bombay8. A titre de comparaison, la densité en Israël ne dépasse pas les 500 habitants au km² 25. Le surpeuplement de la bande de Gaza est encore plus impressionnant dans les camps de réfugiés, bidonvilles misérables, où des familles entières de 10 personnes s’entassent dans à peine quelques mètres carrés8. Par exemple à Jabālīyah, un des 8 camps de réfugiés de cette enclave, où est née la première intifada en 1987, 115 000 à 140 000 personnes s’entassent sur une superficie de 1,4 km², donnant une densité de population moyenne comprise entre 82 000 et 100 000 habitant au km² 9,21,24.

Outre cette promiscuité de chaque instant, les conditions sanitaires désastreuses de ce territoire, comme l’absence de système d’assainissement, le manque d’eau potable et les coupures de courant, constituent autant de facteurs aggravant le risque de transmission du virus, d’une prolifération explosive du nombre de contaminations. Elles rendent impossible l’application des mesures d’hygiène et de protection contre cette pandémie. À cela s’ajoute la pénurie de matériel nécessaire à la lutte et au traitement du COVID-19. Dans ses rares hôpitaux et cliniques, Gaza ne dispose actuellement que de 2895 lits, soit 1,3 lits pour 1000 personnes; 60 lits en soins intensifs, dont la plupart sont actuellement occupés et moins de 60  respirateurs, dont la pluparts sont déjà en service pour des affections pulmonaires classiques8,9,17,23,24. Elle ne dispose que de très peu d’équipements de protection individuels et les stocks de médicaments étaient déjà presque épuisés avant même que le virus ne pénètre dans l’enclave palestinienne9.

Selon les estimations du Ministère de la Santé et d’experts, 400 médecins supplémentaires seraient nécessaires pour faire face à cette crise sanitaire, ainsi que 100 000 lits et 150 respirateurs en cas de propagation massive du virus8, 24. Les médecins locaux redoutent un scénario de « contagion massive incontrôlable » qui pourrait tuer 50 000 personnes en seulement quelques jours8. A Gaza, « tout manque, depuis les simples blouses jusqu’aux respirateurs, en passant par les kits de tests de dépistage et les concentrateurs d’oxygène», selon Ely Sok, coordinateur local de Médecins sans frontières8.

Gaza est totalement dépendante de l’aide de la communauté internationale, déjà occupée à lutter contre le virus sur ses propres territoires, mais également soumise au bon vouloir d’Israël. Ainsi, certains craignent que même si les autorités sanitaires arrivent à se procurer des respirateurs et des équipements de protection, leur entrée dans l’enclave soit soumise à la décision d’Israël, voire qu’Israël s’en empare pour son propre usage9, 25. D’autres craignent que les cas les plus graves n’obtiennent pas d’autorisation de sortie du territoire pour pouvoir rejoindre un hôpital mieux équipé25. Début mars, seulement 200 kits de dépistages ont été acheminés à Gaza et l’OMS en a fait parvenir 50025. L’autorité palestinienne a fait parvenir des médicaments et le Qatar, 150 millions de dollars pour le gouvernement de Gaza. Mais cela parait bien insuffisant pour cette région à fort risque de contagion. Les autorités palestiniennes, loin de se réconcilier avec le Hamas, se coordonnent tout de même pour faire parvenir des kits de dépistage et des antibiotiques à Gaza13. Près de la frontière égyptienne, le Hamas a construit 1000 chambres d’isolement24.

A ce jour seuls 55 cas de COVID-19 ont été enregistrés dans la bande de Gaza20. Mais le secteur de la santé y est dans une telle difficulté que la pandémie pourrait très rapidement surcharger les infrastructures de Gaza, sous-équipées et fragilisées par ces 13 années de blocus. Ainsi, la situation sanitaire et sociale dans la bande de Gaza fait craindre une catastrophe, un cauchemar, un désastre, aux experts et acteurs médicaux locaux. Cet alarmisme vient du fait que la bande de Gaza cumule tous les facteurs de risque aggravants qu’une collectivité peut présenter face à n’importe quelle épidémie : un territoire surpeuplé et une extrême promiscuité, de mauvaises conditions d’hygiène, un déficit d’eau potable, des services de soins sous-équipés, soumis à de fréquentes coupures électriques, un manque d’installation de soins intensifs, une pénurie d’équipements de protection, d’ambulances, de médicaments essentiels, de respirateurs, de tests et de personnels.

Face à ce risque accru, le blocus est doublé, à l’instar des mesures prises par la quasi-totalité des pays, d’un confinement, et d’une fermeture des lieux de rassemblements, écoles, universités, bars, lieux de cultes… La solidarité se renforce et les Gazaouis s’organisent. Les commerçants baissent les prix de leur produits pour faciliter leur accès aux plus démunis, d’autres proposent d’apporter les achats gratuitement chez les habitants confinés, des habitants organisent des campagnes citoyennes de sensibilisation à l’épidémie et des opérations de stérilisation quotidienne des lieux publics18. Mais ces initiatives ont malheureusement l’effet d’une goutte d’eau sur le feu de forêt qu’est la domination israélienne ayant conduit à l’effondrement du système de santé de Gaza.

Le virus n’arrête ni le projet colonial, ni la violence

Si l’épidémie de coronavirus et les mesures de confinement qui en découlent ont arrêté le temps dans bon nombres de pays, les opérations militaires israéliennes en Cisjordanie, raids, démolitions d’infrastructures et de logements palestiniens, arrestations et détentions, et confiscations de terres,  se poursuivent, même si celles-ci contribuent a un risque accru de propagation du virus5,19,26. Les rapports du BCAH montrent qu’elles ont augmenté de près de 80% en Cisjordanie en comparaison à la moyenne du début d’année 202027. Alors même que le monde entier demande à ses citoyens de rester confinés chez eux, y compris Israël, l’État israélien met des palestiniens à la rue. Le BCAH des Nations Unies a dénombré 61 démolitions de logements et d’infrastructures palestiniennes depuis le début de la crise27. Les familles touchées sont contraintes d’emménager avec des proches, augmentant ainsi leur risque d’exposition au virus, ou deviennent sans-abri. Courant du mois de mars, les autorités israéliennes ont pris la décision de suspendre les démolitions d’habitation pendant la crise sanitaire du COVID-19. Mais les autres infrastructures, notamment les structures relatives à l’hygiène et à l’eau continuent d’être la cible des bulldozers israéliens28.

En dépit de tout bon sens, l’État israélien, au lieu d’aider le peuple palestinien à faire face à l’épidémie, sabote systématiquement les efforts et tentatives de protection contre le coronavirus mis en place par les communautés palestiniennes, ou par l’autorité palestinienne. Ainsi, les forces d’occupation israéliennes ont fait arrêter des volontaires palestiniens qui désinfectaient les espaces publics ou distribuaient des colis solidaires aux plus démunis5, 19. Le 30 mars, elles ont pris d’assaut le siège des comités publics d’urgence dans le village de Hizma, empêchant les bénévoles de continuer leurs activités de sensibilisation19. Le 15 avril, la police israélienne a fait fermer un dispensaire de dépistage à Silwan, un quartier populaire de Jérusalem-Est et fait arrêter ses organisateurs, sous prétexte que ces tests étaient menés sous la supervision de l’autorité palestinienne5, 29. Le 26 mars, l’armée israélienne a confisqué les six pulvérisateurs de désinfectant dorsaux ainsi que huit tentes prévus pour la construction d’un dispensaire de campagne et d’un hébergement d’urgence pour les familles ayant subi la démolition de leur logement, fournis par « première urgence internationale » au village bédouin de Khirbet Ibziq, dans la vallée du Jourdain5,19,28.

Parallèlement, les violences des colons israéliens envers le peuple palestinien et leurs biens ont redoublé. En augmentation ces dernières années, elles atteignent un nouveau pic depuis le début de cette crise. Les colons profitent du confinement et de ses restrictions pour annexer davantage de terres et accroître leur violence. Avec une faible présence des villageois et des agences humanitaires et de protection, les colons ont plus de facilité à attaquer les Palestiniens, vandaliser ou saisir leurs biens et raser des terres pour y construire des routes desservants leurs colonies19,30. Les Palestiniens se retrouvent confrontés à un choix crucial : protéger leur santé ou protéger leurs terres. D’après Mahmoud Zawahreh, militant et habitant Khallet al-Nahleh, les Palestiniens « sont coincés entre le marteau de l’occupation et l’enclume du coronavirus »30.

Les colons profitent du confinement et de ses restrictions pour annexer davantage de terres et accroître leur violence

Les agressions physiques de fermiers palestiniens, à coups de haches, de marteaux ou simplement de poings, les vandalismes et destructions de leurs oliveraies se sont intensifiées depuis le début de la crise sanitaire5, 31,32. Le BCAH a dénombré, au cours des deux premiers mois de cette crise sanitaire, 3 palestiniens tués et 160 blessés par les forces israéliennes, 59 agressions de palestiniens par les colons israéliens, et 311 arrestations en Cisjordanie27. Ces rapports montrent une augmentation de 78% des agressions physiques perpétrées par les colons sur les palestiniens depuis la proclamation de l’état d’urgence sanitaire, le 5 mars, comparé aux moyennes bihebdomadaires du début d’année. L’association de défense des droits de l’Homme « Yesh Din » montrent que 91% des plaintes déposées auprès de la police israélienne pour des crimes commis par les colons sont classées sans suite32.

A Gaza, l’occupation Israélienne continue aussi d’étouffer les palestiniens, malgré la pandémie de COVID19. Les forces d’occupation ciblent encore les moyens de subsistance des palestiniens, s’attaquant aux agriculteurs, bergers et pêcheurs33. Ainsi, à la fin du mois d’avril, des avions israéliens ont répandu un herbicide sur les récoltes des fermiers de Gaza, sous prétexte d’une politique de sécurité, afin de maintenir des lignes de visibilité dégagées9. Depuis le début de cette crise, on dénombre 13 raids israéliens sur la bande de Gaza, qui ont blessé au moins 3 paysans13.

Les ouvriers palestiniens « au service » de l’économie coloniale

Depuis 1967, la politique de colonisation, traduite par l’expropriation des terres cultivables et la saisie des ressources en eau, étouffe l’économie palestinienne. Elle a contraint de nombreux palestiniens à travailler, pour beaucoup en tant que journaliers, en Israël ou dans ses colonies illégales. Les palestiniens sont devenus une main d’œuvre bon marché, asservie, soumise, exploitable et corvéable à mercidont l’économie d’Israël est dépendante. Le nombre de palestiniens qui travaillent en Israël et dans ses colonies est estimé aux environs de 130 0005. Ce sont majoritairement des ouvriers du BTP, de l’agriculture ou qui travaillent dans des usines ou des carrières d’extraction de leurs propres ressources (mais pour le compte d’entreprises coloniales) 34. La loi israélienne interdit aux palestiniens de travailler dans certains secteurs comme celui des communications, allant de la téléphonie à l’aviation, ou celui des hautes technologies de la sécurité35. Les travailleurs palestiniens subissent les pratiques discriminatoires instaurées par la loi et les employeurs israéliens. Ils doivent obtenir des permis de travail pour traverser les check-points chaque jour. Après plusieurs heures de queues, des fouilles, et parfois des insultes de la part des gardes, une fois le check-point franchi, ils peuvent alors attendre l’employeur qui vient chercher le nombre d’ouvriers dont il a besoin. Ils louent leur force de travail à la journée, à la semaine ou au mois. Environ 80 000 d’entre eux possèdent un permis. Ces permis s’obtiennent sur demande des employeurs mais se vendent également au marché noir, pour une somme d’environ 800 dollars par mois, sans garantir pour autant l’obtention d’un emploi, et forcent les travailleurs à s’endetter dans l’espoir d’obtenir un revenu5. Les employeurs israéliens exploitent cette main-d’œuvre. Leurs salaires sont inférieurs à ceux de leurs homologues israéliens, ils ne bénéficient pas d’assurance santé, alors même qu’ils s’acquittent de leurs cotisations à l’assurance maladie israélienne, ils payent des frais de cotisations au syndicat des travailleurs israéliens, sans même y être représentés et leurs employeurs leur fournissent moins d’EPI (équipements de protection individuelle), lorsqu’ils daignent leur en fournir5, 33. Cette discrimination se perpétue même lors de cette pandémie. Les travailleurs israéliens présentant des symptômes sont systématiquement dépistés mais les autorités israéliennes ne font aucun dépistage s’il s’agit de travailleurs palestiniens36.

Les palestiniens sont une composante essentielle de la capacité du pays à faire face au coronavirus. En effet, le secteur de la construction, de la santé, de l’agriculture et de l’agroalimentaire ont été considérés comme secteurs essentiels à l’économie israélienne33, 37. Au moins 1 quart des ouvriers du BTP israélien sont palestiniens34. 17% des médecins, 24% des infirmiers et 47% des pharmaciens en Israël sont palestiniens10. Il y a quelques années, les palestiniens représentaient 25% de la main d’œuvre en agriculture, peu à peu remplacée par une main d’œuvre venue d’Asie. Ironie du sort, 11% des ouvriers agricole palestiniens travaillant dans les colonies, travaillent sur une terre qui appartenait originellement à leur famille. Ils travaillent sans protection contre les dangers des intrants chimiques, ni systèmes de sécurité lorsqu’il s’agit par exemple d’effectuer des travaux en hauteur. Les accidents de travail sont donc naturellement fréquents et ils sont parfois mortels35.

Au mois de mars, en réponse aux demandes du patronat Israélien et suite à un accord avec les autorités palestiniennes, les autorités israéliennes ont annoncé qu’elles laisseraient le choix aux travailleurs palestiniens de conserver leur emploi, à condition de rester une durée indéfinie en territoire israélien. Habituellement, les palestiniens n’ont pas le droit de passer la nuit en Israël, bien que certains prennent ce risque pour s’épargner les attentes et humiliations aux check-point et économiser sur les frais et temps de transports. Après 3 jours de réflexion, les frontières seraient fermées, et il deviendrait impossible de venir travailler en territoire israélien. N’ayant pas d’indemnités de chômage, une grande partie d’entre eux ont fait le choix de se séparer de leur famille au péril de leur santé5, 34, 36,37. D’autres qui ont fait le choix de rester chez eux, ont reçu des courriers de leur employeur les menaçant d’offrir leurs emplois à quelqu’un d’autre et donc de faire annuler leurs permis37. 40 000 à 50 000 palestiniens détenteurs d’un permis de travail ont eu un permis de séjourner en Israël jusqu’à la fin du ramadan. Les employeurs devaient, suivant cet accord, leur fournir des logements décents, et les autorités israéliennes devaient fournir des protections telles que des masques et des gants, ainsi qu’une assurance santé31. En guise de logement, des milliers de palestiniens se retrouvent à dormir dans les entrepôts de leurs usines, entassés à 15 ou 20 dans un même espace et partageant les douches et les toilettes36.

Cet accord a également donné lieu à une ségrégation entre les palestiniens. Le 11 mars, l’autorité israélienne a décidé d’octroyer ces permis de séjourner en Israël uniquement aux jeunes travailleurs, au détriment des plus vieux, interdisant aux travailleurs de plus de 50 ans de traverser les check-points5. Ainsi, entre 40 000 et 100 000 personnes auraient déjà perdu leur emploi, ne bénéficiant d’aucune assurance chômage, alors même que les salaires des travailleurs palestiniens en Israël font vivre un demi-million de palestiniens5, 13,34.

Finalement, les autorités israéliennes ont déclaré que les travailleurs palestiniens qui auraient développé des symptômes de la maladie, seraient mieux suivis par le système de santé palestinien et seraient donc transférés en Cisjordanie36. Des témoignages ont illustré ces « transferts » qui ont, semblerait-il, consisté à déposer les personnes malades et fébriles, sur la route de l’autre côté des check-points sans aucune coordination avec les systèmes de santé ou l’autorité palestinienne5, 33,36. Le gouvernement palestinien, à la suite de ces éléments incriminant le traitement raciste et inhumain infligé aux travailleurs palestiniens, leur a alors demandé de quitter les colonies israéliennes « devenues un foyer de l’épidémie et ne protégeant pas les travailleurs palestiniens », et de se mettre en quarantaine chez eux5, 34,36. Depuis le retour de 15 employés infectés, qui travaillaient dans un abattoir de Jérusalem-Est, le premier ministre palestinien réclame qu’Israël teste tous les ouvriers qui prévoyaient de rentrer en Cisjordanie, craignant une apparition de foyers de contamination dans les villages Cisjordaniens. Le Ministère de la Santé palestinien a constaté que la majorité des patients infectés par le coronavirus en Cisjordanie sont des travailleurs revenus d’Israël et/ou certains de et leurs proches33, 34. Les ouvriers se sentent maintenant pris dans un étau : d’un côté ils ont peur de tomber malade, loin de leur famille en restant en Israël, de l’autre, d’être tenu pour responsable de l’introduction du virus en Palestine et de subir les maltraitances de la police palestinienne34.

Dans le monde certaines voix se sont élevées pour dénoncer le fait que les gouvernements risquaient la santé de la classe ouvrière pour sauver leur économie, certains ne font aucun doute sur le fait qu’Israël, lui, pourrait sans scrupule sacrifier la main d’œuvre palestinienne dans ce but37.

 Un discours des instances internationales qui légitime le statut de « puissance occupante »

Le système de santé palestinien, mis à mal par ces longues décennies d’occupation en Cisjordanie et de blocus à Gaza, ne pourra pas, en cas de grosse vague de contagion, faire face à l’épidémie de coronavirus. Des millions de personnes se retrouvent démunies et seules face à cette possible catastrophe, crainte par de nombreux experts locaux et par la communauté internationale. Le virus n’arrête ni le projet colonial Israélien, ni sa politique discriminatoire. Cette épidémie permet de dénoncer une nouvelle fois la ségrégation issue du blocus et des mesures d’occupation. Mais elle permet également, comme le souligne Ziad Medhouk dans un entretien pour l’Iremmo, de dénoncer et mettre en lumière le comportement, l’inaction et le silence complice de la communauté internationale, face à ce racisme institutionnalisé.

Les palestiniens de Gaza, de nombreuses ONG et instances internationales demandent le levée du blocus et la réouverture des frontières pour augmenter les chances de survie des Gazaouis en cas de prolifération de l’épidémie. Mais la levée du blocus, qui doit être définitive et non temporaire, leur permettrait aussi et surtout de se libérer du contrôle Israélien, de sa domination et de son oppression.

Sous couvert de son retrait en 2005, l’État israélien conteste toute responsabilité sur ce qu’il se passe dans l’enclave palestinienne. Pourtant, les militaires postés tout autour de la zone, et le blocus permettant un contrôle total de ce qui entre et sort de la bande de Gaza, induisent un état de siège permanent, qui a de lourdes conséquences au quotidien sur la vie des Gazaouis, sur leur système de santé, leur système économique, leur liberté et leur droit.

De même, ONG et instances internationales, dont les Nations Unies, exhortent Israël de s’acquitter de ses obligations juridiques et morales en tant que puissance occupante. En vertu du droit international et selon la quatrième Convention de Genève, une puissance occupante doit au minimum assurer les conditions élémentaires de santé et d’hygiène au peuple colonisé. En ces temps de pandémie, l’urgence peut nécessiter un tel discours et la demande instantanée aux autorités israéliennes de prêter assistance au peuple palestinien qu’il opprime depuis bien trop longtemps, en l’aidant à lutter contre la pandémie et en soignant les patients malades38. Cependant, ce discours est dérangeant puisqu’il légitime de fait l’occupation israélienne et par conséquence sa domination et le pouvoir coercitif qu’il exerce, et n’en sera que plus complice une fois l’urgence sanitaire passée.

Le déni des droits des Palestiniens n’est pas nouveau, même s’il est mis en exergue par la pandémie de coronavirus, notamment par les entraves délibérées aux efforts visant à contrôler la propagation du virus et un accès inégal aux traitements et dépistages. Le silence et le laisser-faire historique de la communauté internationale est tout aussi responsable de la situation déplorable dans laquelle se trouve le système de santé palestinien, en Cisjordanie ou dans la bande de Gaza.

En 1920, Malatesta définissait la liberté en ces termes : « Quand on parle de liberté, on parle d’une société dans laquelle personne ne pourrait être violent avec les autres sans rencontrer une véritable résistance, dans laquelle surtout personne ne pourrait accaparer ni utiliser la force collective pour imposer sa propre volonté aux individus, y compris à ceux qui forment cette force collective»39. À l’heure où la Cour pénale internationale (après cinq années d’examen) vient d’émettre un avis positif sur l’ouverture d’une enquête pour crimes de guerre et crimes contre l’Humanité, Israël est loin de rencontrer une quelconque résistance de la part d’une communauté internationale qui ne semble s’émouvoir du sort du peuple palestinien qu’en cas de catastrophe le poussant au bord du précipice.

Force est de constater l’hypocrisie des instances internationales qui demandent timidement à l’Etat israélien de stopper sa politique coloniale, ses exactions, sa violence, son oppression, sa domination et sa discrimination, uniquement le temps de la crise pandémique, alors qu’elles devraient si ce n’est les rendre impossible, œuvrer, au moins dans les discours, à l’émancipation de ce peuple opprimé depuis plus de 50 ans.


Sources :

  1. Human Rights Watch. Separate and Unequal – Israël’s discriminatory treatment of Palestinians in the occupied Palestinian territories, 2010.
  2. Human Rights watch : https://www.hrw.org/fr/news/2017/06/04/israel-50-ans-doccupation-et-de-violations-repetees
  3. Human Rights Watch : https://www.hrw.org/fr/news/2010/12/19/israel/cisjordanie-deux-populations-separees-et-inegales
  4. Médecins du monde : https://www.medecinsdumonde.org/fr/pays/moyen-orient/palestine
  5. N. Nithya : « Entre l’enclume de l’occupation et le marteau du coronavirus » – Le coronavirus et la condition des travailleurs Palestiniens, 19 avril 2020. Agence média Palestine
  6. Politis : https://www.politis.fr/blogs/2016/09/israel-palestine-la-guerre-de-leau-34119/
  7. Médecins du monde : https://www.medecinsdumonde.org/fr/actualites/moyen-orient/2017/06/08/palestine-vivre-sous-occupation
  8. Mediapart:https://www.mediapart.fr/journal/international/060420/gaza-la-propagation-du-coronavirus-risque-d-etre-un-desastre-incontrolable
  9. Palestine13 : http://www.assopalestine13.org/Si-le-Coronavirus-submerge-Gaza-Israel-en-sera-seul-responsable.html
  10. AFPS: http://www.france-palestine.org/En-Israel-le-coronavirus-accentue-les-fractures-au-sein-de-la-societe
  11. Middleeasteye:https://www.middleeasteye.net/fr/reportages/kufr-aqab-langle-mort-de-la-ville-sainte
  12. AFPS:http://www.france-palestine.org/Les-gens-ont-tres-peur-de-l-autre-cote-du-mur-les-Palestiniens-de-Jerusalem
  13. IRemMo – entretien : Ziad Medhouk – Gaza face au COVID-19, avril 2020
  14. Le Centre pour les droits de l’homme Al Mezan, Medical aid for Palestinians, Lawyers for Palestinian human rights. Chronic impunity : Gaza’s health sector under repeated attack, mars 2020.
  15. AFPS : http://www.france-palestine.org/L-impunite-chronique-maintient-les-professionnels-de-sante-palestiniens-dans-la
  16. Médecins du monde Palestine. The labyrinths to health in Gaza, 2019. Médecins du monde.
  17. AFPS : http://www.france-palestine.org/Coronavirus-a-Gaza-voila-ce-qu-Israel-doit-faire-Maintenant
  18. L’Humanité : https://www.humanite.fr/gaza-face-au-coronavirus-le-temoignage-du-poete-palestinien-ziad-medoukh-687022
  19. AFPS : http://www.france-palestine.org/Face-au-COVID-19-les-violations-des-droits-humains-par-Israel-augmentent-la
  20. https://app.powerbi.com/view?r=eyJrIjoiODJlYWM1YTEtNDAxZS00OTFlLThkZjktNDA1ODY2OGQ3NGJkIiwidCI6ImY2MTBjMGI3LWJkMjQtNGIzOS04MTBiLTNkYzI4MGFmYjU5MCIsImMiOjh9 – consulté le 22/05/20
  21. Libération : https://www.liberation.fr/planete/2020/04/21/depistage-a-jerusalem-est-il-aura-fallu-saisir-la-cour-supreme_1785984
  22. IRemMo – entretien : Abaher El Sakka – Le Covid-19 en Palestine, avril 2020
  23. Physicians for Human Rights : https://www.phr.org.il/en/corona-in-the-gaza-strip-only-70-icu-beds-available/?utm_source=rss&utm_medium=rss&utm_campaign=corona-in-the-gaza-strip-only-70-icu-beds-available
  24. L’Humanité : https://www.humanite.fr/le-coronavirus-arrive-gaza-lonu-parle-dun-possible-desastre-686783
  25. AFPS : http://www.france-palestine.org/A-Gaza-on-n-a-pas-peur-du-corona-il-y-a-des-virus-bien-plus-grands
  26. Médecins sans frontières : https://www.doctorswithoutborders.org/what-we-do/news-stories/story/west-bank-covid-19-lockdown-exacerbating-mental-health-crisis
  27. OCHA: United Nations office for the coordination of humanitarian affairs. Protection of civilians reports 17-30 March 2020, 31 march – 13 april 2020, 14-27 april 2020, 28 april – 11 may 2020 AND United Nations office for the coordination of humanitarian affairs. Emergency situation reports 1 to 8, mars à mai 2020.
  28. OCHA: United Nations office for the coordination of humanitarian affairs. West Bank demolitions and displacement: an overwiew, mars 2020.
  29. AFPS: http://www.france-palestine.org/Quand-le-coronavirus-ravive-les-querelles-sur-le-statut-de-Jerusalem
  30. AFPS : http://www.france-palestine.org/En-Cisjordanie-les-colons-profitent-du-confinement-lie-au-coronavirus-pour
  31. OCHA: United Nations office for the coordination of humanitarian affairs. Emergency situation reports 7(28 april – 4 may 2020), mai 2020.
  32. Première urgence international : https://www.premiere-urgence.org/face-au-covid-19-les-violations-des-droits-humains-par-israel-augmentent-la-vulnerabilite-des-palestiniens/
  33. AFPS : https://www.france-palestine.org/Appel-a-signature-Lettre-ouverte-a-l-Organisation-Internationale-du-Travail-OIT
  34. Libération : https://www.liberation.fr/planete/2020/04/06/face-au-covid-19-la-double-peine-des-travailleurs-palestiniens_1784252
  35. OUessale El Assimi. Ouvriers agricoles Palestiniens et migrants en Israël et dans les colonies – Histoire d’une exploitation, Programme de travail de la Via Campesina.
  36. Palestine 13 : http://www.assopalestine13.org/Le-sort-des-travailleurs-palestiniens-en-Israel.html
  37. AFPS : http://www.france-palestine.org/Les-travailleurs-palestiniens-face-a-un-choix-difficile-gagner-leur-vie-ou-se
  38. Médecins du monde : https://www.medecinsdumonde.org/fr/actualites/moyen-orient/2020/04/08/face-au-coronavirus-israel-doit-lever-le-blocus-de-la-bande-de-gaza
  39. Errico Malatesta. Journal Umanita Nova, 24 septembre 1920 et revue Pensiero e Volonta, 15 janvier 1924.

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