LA CATASTROPHE INDUSTRIELLE DE LUBRIZOL

Par Chloé STEPHAN, PCF Rouen

Les faits

Le spectaculaire incendie qui s’est déclaré dans la nuit du mercredi 25 au jeudi 26 septembre 2019, au sein de l’usine Lubrizol de Rouen, classée Seveso haut seuil, est une véritable catastrophe industrielle et environnementale. Il a provoqué  un important panache de fumée de 22 km de long et de 6 km de large, qui a survolé Rouen et sa région jusqu’à la Belgique et les Pays-Bas.

Le feu a pris dans un stockage de produits conditionnés type additifs pour lubrifiants. Estimé à 5253 tonnes de produits partie en fumés sur le site de Lubrizol, ce chiffre a été récemment revu à la hausse en y ajoutant les 9050 tonnes situées sur une grande partie du site de l’entreprise mitoyenne, Normandie Logistique, non classée Seveso, qui a également été ravagée par les flammes. Parmi ces marchandises, près de la moitié, 4 157 tonnes exactement, appartiennent à Lubrizol et 139 tonnes au groupe Total. Normandie Logistique n’a pas été en mesure de produire l’inventaire des produits ayant effectivement brûlé. La Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal) a révélé que parmi ces produits figuraient vraisemblablement de la gomme arabique, de la bauxite et de l’asphalte.

“Dans la journée, le préfet avait pris la décision de fermer crèches, écoles, collèges, lycées et campus de l’université sur 13 communes avoisinantes.”

Parmi les 276 pompiers intervenus sur l’incendie, une partie d’entre eux ainsi que des policiers  témoignent au micro de France 3 Normandie d’une inquiétude pour leur santé après avoir été pris de maux de tête, de nausées ou de vomissement et de diarrhées et s’interrogent sur les risques qu’on leur a fait prendre. Notamment dû au fait qu’ils étaient sous équipés pour intervenir sur ce type d’incendie. Dans la journée, le préfet avait pris la décision de fermer crèches, écoles, collèges, lycées et campus de l’université sur 13 communes avoisinantes.

Depuis l’incident, des odeurs nauséabondes et anxiogènes de fioul et de pneu brûlé se dégagent du site, qui contient encore des nappes d’hydrocarbures à l’air libre et ce pour encore un moment, portées par les vents, qui provoquent chez certains habitants les mêmes symptômes décrits par les pompiers. Au total, 224 personnes se sont présentées aux urgences hospitalières pour une pathologie «en lien» avec l’incendie.

Dès le lendemain de l’événement, les habitants des communes des environs de Rouen ont  constaté une large pellicule de suie recouvrant les récupérateurs d’eau. 40 communes de l’Oise, 5 dans le Nord et le Pas de Calais, une centaines des Hauts de France ont été touchées par les retombées de suie du nuage provoqué par l’incendie et qui sont susceptibles de présenter un risque de santé publique. Les différentes préfectures conseillent aux habitants de ne pas consommer de légumes, de fruits ou autres produits présentant des traces de suie.

Face à l’ampleur de cet incendie « hors norme », la préfecture et les membres du gouvernement concernés sont intervenus pour déclarer, chacun à leur tour, avec des éléments de langage sélectionnés (le fait  «[qu’] il n’y avait pas de risque de toxicité aiguë », que les odeurs sont gênantes mais pas nocives… ) afin de rassurer la population. Mais la défiance envers l’État et la gestion calamiteuse de la communication ne fait qu’alimenter le brasier de l’inquiétude et de la colère des habitants. Plusieurs zones d’ombre et de contradictions persistent : la préfecture a tardé à rendre publique la liste des produits stockés, les résultats des analyses ne se concentrent uniquement que sur certaines molécules (hors, on ne trouve que ce que l’on cherche) et concernant le site de Normandie logistique, on ne sait toujours pas quels produits exactement ont brûlé une semaine après l’incendie. La gestion de crise de cette catastrophe industrielle a été non seulement lamentable concernant les mesures de confinements données et les conseils aux populations exposées aux risques de pollution de l’air et des sols mais elle dévoile également les attitudes discriminatoires qui sévissent selon la sociologie de la population. Pour exemple, l’aire des gens du voyage située à 500 mètres du lieu de l’incendie, malgré le classement à haut risque du site, n’a pas été évacuée et aucunes mesures de protection adaptées n’ont été prises pour mettre à l’abri de la pollution et protéger la santé des 25 familles appartenant à cette communauté totalement oubliée, aujourd’hui “victimes invisibles de Lubrizol”. Terrifiées par la peur devant la proximité des explosions et du brasier, les familles de l’aire ne disposent également d’aucun local de confinement, ce qui est en infraction à la réglementation Seveso.

Par ailleurs, concernant le risque de toxicité aiguë , il constitue par définition une probabilité de décès de 50 % après une exposition unique. Donc entre le risque aigu et l’annonce du préfet selon laquelle « il n’y a pas de risque de toxicité aiguë », il y a un gouffre. D’autant plus que l’absence de toxicité immédiate d’un produit n’empêche pas qu’il puisse avoir une toxicité différée . On sait d’ores et déjà que parmi les produits qui sont partis en fumée, il y a des composés corrosifs, dangereux pour l’environnement, qui peuvent provoquer de l’infertilité, des allergies cutanées ou respiratoires, qui sont néfastes pour les organismes aquatiques ou encore cancérogènes.

Des incertitudes demeurent autour des conséquences de la combustion des produits chimiques car  lors de la phase de combustion, les produits entrent en interaction et peuvent alors donner d’autres molécules potentiellement polluantes ou dangereuses. Des inquiétudes légitimes quand on sait qu’il y a seulement six mois, l’incendie de la toiture de Notre-Dame a dispersé des centaines de tonnes de plomb dans tout le centre de Paris, et que les autorités sont restées largement muettes et passives. Pour en revenir au cas rouennais, il faut savoir qu’en janvier 2013, une fuite de gaz de mercaptan qui avait déjà répandu une odeur pestilentielle sur la ville et présentant un danger pour les femmes enceintes, provenait également de la société Lubrizol qui avait réussi à réduire à seulement 4 000 euros l’amende initiale qui était de 75 000 euros !

Dans un communiqué de presse paru le 4 octobre, le syndicat national des ingénieurs de l’industrie et des mines (SNIIM) s’en est pris aux restructurations en cours dans la fonction publique portant atteinte à l’indépendance des inspecteurs environnement .

En 2009, l’administration a assoupli les règles de contrôle sur les installations classées et n’oblige plus depuis les entreprises à conduire des études d’impact avant le lancement de certaines activités. Par exemple, les seuils d’autorisation des entrepôts couverts ont été revus très nettement à la hausse en passant de 50 000 à 300 000 m3. Ce qui est proprement édifiant et gigantesque1 !

Mardi 1er octobre, la CGT a appelé à une manifestation unitaire composée de syndicats, d’associations et de partis politiques de gauche dont le PCF (et à l’exception du PS). Selon la CGT, pas moins de 5 000 personnes étaient présentes ce soir-là et le collectif signataire de cet appel a exigé une rencontre avec le Préfet. Celui-ci a dans un 1er temps voulu imposer ses propres conditions que le collectif a refusé. Cette rencontre a eu lieu mais n’a abouti à rien de concret.

Il est difficile d’évaluer les conséquences de cette catastrophe mais il existe des risques de dégâts importants à plus ou moins long terme sur l’environnement et la santé, notamment chez les personnes les plus fragiles. Il faut noter que la Seine est également impactée par la pollution de nappes d’hydrocarbures  pour lesquelles plusieurs semaines de pompage seront nécessaires pour en venir à bout et qui se propagent suivant les marées.

La conscience environnementale des capitalistes

Paradoxalement, cet incendie survient dans un contexte de mobilisation internationale pour lutter contre la dégradation de notre environnement et le réchauffement climatique  afin de dénoncer l’inaction des gouvernements partout dans le monde, incapables de mettre en place des mesures appropriées et rapides pour répondre aux enjeux du changement climatique.

Dans les faits, il apparaît que la préservation de l’environnement et la santé des populations est loin d’être une priorité pour les capitalistes (même si eux aussi manient très bien les éléments de langage et le greenwashing), empêtrés dans leur système de concurrence au sein du marché mondial, où le profit est le moteur principal de toute activité et où aujourd’hui la récession industrielle mondiale continue de s’étendre. 2

Dans cette affaire, il faut savoir que le groupe améric ain Lubrizol est la propriété, par le biais de son fonds d’investissement Berkshire Hathaway 3 , du milliardaire Warren Buffet, 4ème fortune mondiale, dont la motivation prioritaire est l’accroissement de son capital. Cela est incompatible avec une gestion rationnelle de l’environnement et des ressources. Warren Buffet disait d’ailleurs sur CNN en 2005 : « Il y a une guerre des classes, c’est un fait. Mais c’est ma classe, la classe des riches, qui mène cette guerre et qui est en train de la gagner» .

“Dans cette affaire, il faut savoir que le groupe américain Lubrizol est la propriété (…) du milliardaire Warren Buffet, 4ème fortune mondiale, dont la motivation prioritaire est l’accroissement de son capital”

Là est la source de cette catastrophe.

Et les gouvernements ne sont pas en reste puisqu’ils permettent à ces capitalistes, ces grands propriétaires, de se dégager des différentes contraintes liées à la production de ces produits dangereux (ex: loi sur le secret des affaires, ICPE, la fusion des CE, DP et CHSCT en CSE 4  avec des moyens toujours amoindris). D’autre part, les lois de la concurrence incitent les entreprises pour être compétitives sur le marché, à avoir toujours plus recours à la sous-traitance pour ses coûts mais qui engendre inévitablement des failles dans la sécurité. Il s’agit ici aussi d’une catastrophe sociale, avec la perte de 400 emplois directs et 2000 emplois indirects, sans compter l’impact sur les entreprises proches  de la zone d’incendie et des exploitations locales environnantes.

C’est bien la preuve que l’économie ne doit pas être entre les mains des capitalistes mais sous le contrôle démocratique des travailleurs afin d’assurer une sécurité maximum sur les entreprises Seveso haut seuil, en lien avec une planification de l’économie orientée vers une production rationnelle, basée sur les besoins réels des populations et non sur le profit. C’est ici l’idée même d’un changement de société, du communisme tel qu’il a été pensé par ses fondateurs Marx et Engels, qui devrait être avancée pour enrayer la situation désastreuse dans laquelle les capitalistes nous engagent.

La réunion du collectif qui est en train de se former, est l’occasion de mettre sur la table les revendications liées à l’urgence climatique, environnementale et sociale. Cependant, tant que la question de la propriété capitaliste ne sera pas posée, les problèmes ne pourront jamais être réglés de façon pérenne.


1 Pour le stockage de polymères (dont les caoutchoucs et matières plastiques), « le bond est encore plus spectaculaire : le seuil passe de 1 000 à 40 000 m3 (40 fois plus). Il en va de même pour les stockages de pneumatiques et les produits composés d’au moins 50 % de polymères : de 2 000 à 45 000 m»

2    Rexecode, synthèse du 10 septembre 2019 : “Alors que la récession industrielle mondiale s’étend, l’heure est à l’assouplissement des politiques monétaires. Le PMI manufacturier mondial est resté en août, comme les trois mois précédents, sous la barre des 50 signalant une contraction de l’activité (49,5). La récession industrielle se confirme aussi en Allemagne ou encore au Brésil. Elle s’étend désormais à des pays jusqu’ici épargnés comme les Etats-Unis. L’ISM manufacturier américain a fléchi à 49,1, ses composantes nouvelles commandes et nouvelles commandes à l’export passant au rouge (47,2 et 43,3 respectivement). Par contre, la contagion aux autres secteurs n’est pas manifeste même si la dynamique de l’emploi s’effrite un peu en zone euro comme aux Etats-Unis.”

3  Un des conglomérats les plus puissants du monde, puisqu’il réunit des sociétés de secteurs très différents, dans l’agroalimentaire (Coca-cola ou Heinz), dans l’industrie, ou encore dans le secteur bancaire, avec des parts dans des établissements financiers comme JP Morgan ou American Express.

4 En application du décret CSE du 29 décembre 2017, suite aux ordonnances Macron

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