Histoire du mot “race”

Par Gérard Amate, La Riposte section d’Alès

On prétend qu’Ésope était noir, car il s’agissait d’un esclave africain, mais on n’en a aucune certitude : l’Antiquité ne mentionnait pas ce genre de détail, nulle part il n’est dit qu’Ésope avait la peau noire, les Latins n’avaient pas de mot équivalant à celui de race pour désigner les groupes humains, la principale distinction qu’ils faisaient entre ceux-ci était d’ordre linguistique, entre eux-mêmes et les « barbares », terme onomatopéique qu’on pourrait traduire par « baragouineurs », c’est-à-dire ceux qui ne parlaient pas leur langue.

Aussi surprenant que cela puisse paraître, la race est une notion récente, née dans les temps modernes à l’éclosion du capitalisme industriel, probablement pas par hasard.

Le mot race ne fait son apparition en français qu’en 1480, orthographié rasse.

Il vient de l’italien razza, lui-même dérivé, par l’intermédiaire des Normands de Sicile, du vieux français haraz, ou haras, terme emprunté à l’arabe fars, qui veut dire cheval.

La race à l’origine sert à distinguer certaines chevaux sélectionnés, ce qui explique le double sens du mot en anglais, désignant à la fois la race dans l’acception que nous en avons, mais aussi la course ou la compétition.

On suit pas à pas l’évolution du mot vers son sens moderne.

Il n’a d’abord que le sens de famille, de lignée, particulièrement en ce qui concerne les nobles, puisque les roturiers n’ont pas d’ancêtres.

On parlera alors de la race des Bourbon, ou celle des Habsbourg, et ce sens se conservera jusqu’au 19ème siècle pour être à peu près abandonné de nos jours.

Bien qu’on puisse en remarquer des prémices chez Ibn Khaldoun au 14ème siècle ou chez Giordano Bruno au 16ème, le terme de race ne s’attacha à la couleur de peau qu’en 1684 avec la publication de Nouvelle division de la terre par les différentes espèces ou races qui l’habitent, du Français François Bernier.

Il y décrit la terre partagée entre 4 continents, l’Europe, l’Asie, l’Afrique et l’Amérique, respectivement associés aux couleurs blanche, jaune, noire et rouge, en fonction de la couleur supposée de leurs habitants.

Bien entendu, cette distinction est une pure fiction, les Chinois ne sont pas jaunes, leur taux de mélanine ne diffère pas de celui des Européens, bronzés au sud et pâles au nord, et il va de même des supposées peaux rouges.

Il s’agit pour Bernier de suivre la mode scientifique des classifications dont le 18ème siècle fera un usage généralisé, mais ça tombait bien, c’était justement l’époque de la colonisation et de la mise en servitude ou en esclavage des peuples conquis.

La distinction de l’humanité en races permettait de présenter comme un phénomène naturel, et un devoir sacré l’asservissement de ces populations par l’Europe.

Au paroxysme du racisme scientifique, on présentera la condition ouvrière comme une conséquence de l’infériorité biologique des pauvres par rapport aux riches. Avec moins d’indécence mais avec autant d’application à démontrer qu’il y a une justice à l’œuvre dans l’injustice sociale, cela continue au 21ème, où des tests de QI mesurent l’intelligence des catégories  sociales et des nations, et tombent eux aussi sur les mêmes résultats invraisemblables que leurs prédécesseurs pseudo-biologistes.

Le mépris attaché aux conditions serviles a fait tardivement dériver le mot race, qui désignait jusqu’alors des catégories nobles, chevaux, chiens ou hommes bien-nés, vers un sens péjoratif.

Un siècle après Bernier, le racisme scientifique effectua son aggiornamento avec l’Allemand Johann Friedrich Blumenbach et une classification qui voulait ignorer les colorisations farfelues de Bernier, et qui se fondait sur la forme des crânes.

En 1795, il avait défini cinq races, et sa classification est encore utilisée aux USA dans les descriptifs d’identité, il s’agissait des races caucasienne (à peu près les Blancs), mongolienne (les Jaunes), éthiopienne (les Noirs), américaine (les Rouges), et une petite nouvelle, la malaisienne, qui ne correspond à aucune des couleurs anciennes, mais qu’on a rajouté parce que venait d’arriver sur la scène de l’histoire un cinquième continent, le continent austral.

Bien que ce racisme ait abandonné l’insoutenable hypothèse d’un partage de l’humanité en quatre couleurs distinctes, il en a conservé la structure et, grosso modo le résultat, tout en le fondant sur une discipline scientifique un peu oubliée de nos jours, la phrénologie, qui prétendait trouver le caractère en étudiant la forme des crânes.

Cela a laissé dans notre langue l’expression « bosse des maths », mais on a cessé de présumer des performances mathématiques d’un individu par les méplats de son crâne, cette technique n’ayant jamais rien donné de concluant.

Exit la phrénologie, dont les nazis avaient fait grand cas.

La biologie actuelle effectue à nouveau une classification de l’espèce humaine selon les génotypes qui permettent de différencier les individus d’une même espèce, mais cette classification ne s’adapte plus à celle des races selon Bernier, comme cela avait eu lieu avec la classification de Blumenbach. La plupart de ces génotypes se trouvent distribués dans l’espèce humaine sans aucune relation avec le taux de mélanine des populations observées.

L’histoire du mot race nous apprend toutefois que ce n’est pas l’observation des différences biologiques entre groupes humains qui a fait concevoir le racisme, mais le racisme qui, pour justifier les inégalités politiques et économiques entre groupes humains, a inventé les races.

Les invalidations successives de ses différents argumentaires ne pourront pas faire disparaître le racisme tant que les inégalités sociales qui l’ont fait naître subsisteront.

Le racisme continuera d’inventer des arguments nouveaux au fur et à mesure que les anciens deviennent insoutenables.

C’est ce qui se passe aujourd’hui, quand des Eric Zemmour ou des Renaud Camus, tournant le dos à la biologie de pacotille, s’appuient maintenant sur la question de l’assimilation possible ou impossible des Africains par la nation française pour des raisons culturelles. Peu importe les raisons dont le racisme excipe, le principal est d’en trouver une de présentable à chaque époque où il se déploie.

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