RIC : avancée démocratique ou arme à double tranchant ?

Parmi les revendications mises en avant par les gilets jaunes, il y a celle du referendum d’initiative citoyenne (RIC). Elle cristallise la colère contre les pouvoirs publics et les « élites ». La constitution attribue l’initiative du référendum au président de la République et du gouvernement (articles 11 et 89). Le RIC est présenté comme un moyen de donner la parole et de nouveaux pouvoirs au peuple, de supprimer des lois injustes, de révoquer le mandat d’un élu, y compris celui du président de la République. Le détail de la proposition diffère selon ses protagonistes – qui incluent le Rassemblement National, l’UPR, le PCF et la France Insoumise – mais, au fond, il s’agit d’instaurer la possibilité d’organiser un referendum sans l’accord de l’Assemblée Nationale, du Sénat ou du président de la République, sur la base d’un certain nombre de signatures (de 500 000 à 1 500 000, selon les cas).

Mais le RIC serait-il vraiment une avancée démocratique importante ? Les problèmes sociaux, économiques et politiques et leurs ramifications sont souvent trop complexes pour être tranchées à bon escient par un simple « oui ou non », qui tend à confondre et à dissimuler les véritables motivations du vote. Ainsi, le résultat d’un referendum peut avoir des conséquences très différentes des intentions du camp qui l’emporte. L’illustration récente la plus flagrante de cette réalité est le vote en faveur du brexit, au Royaume-Uni. Pendant la campagne de 2016, les politiciens qui prônaient une rupture avec l’Union Européenne présentaient les choses sous une forme simpliste. L’Union Européenne est responsable de la politique d’austérité en vigueur depuis longtemps. Sortir de l’Europe y mettrait donc fin, rendrait au Royaume-Uni son indépendance, la maîtrise de sa propre économie et de sa propre législation, et la suppression des contributions au budget de l’UE permettraient de mieux financer l’éducation et le service national de santé (NHS). Le contrôle retrouvé des frontières empêcherait les ressortissants de l’UE de venir s’installer au Royaume-Uni, ce qui libérerait des places dans les écoles et les hôpitaux et réduirait le nombre de chômeurs britanniques.

Avec 51,9 % des suffrages exprimés, cette propagande nationaliste l’a emporté contre le choix de rester dans l’UE, ce qui signifiait, aux yeux de beaucoup de britanniques, refuser le changement et se résigner à continuer comme avant. Les problèmes économiques majeurs que poserait une rupture avec l’UE n’étaient pas bien compris. Ses implications pour l’Irlande n’était guère mentionnées, pas plus que la réaction inévitable des autres puissances européennes, qui ont leurs propres intérêts à défendre. L’échec des négociations avec l’UE et l’absence de débouchés commerciaux équivalents au volume du commerce entre le Royaume-Uni et le continent font que l’ économie britannique subira une forte contraction, avec des conséquences extrêmement graves pour tous les travailleurs du pays. Aujourd’hui, les politiciens pro-brexit expliquent que l’avenir du pays réside dans l’émulation de l’exemple de Singapour, avec des taux de fiscalité très bas pour les entreprises, moins de garanties pour les travailleurs et une réduction importante des dépenses publiques. En Irlande, le brexit implique l’imposition d’une frontière « dure » entre le Nord, qui fait partie du Royaume-Uni, et la République Irlandaise qui, elle, reste dans l’UE. La population des deux parties de l’Irlande y est massivement hostile. En Écosse, où la population a voté majoritairement pour rester dans l’UE, la sortie de l’UE reposera la question de sa séparation du Royaume-Uni, surtout si l’économie britannique entre en récession. Le pays est en proie à un effondrement économique et à une dislocation physique. Était-ce vraiment cela que voulaient ceux qui ont voté pour le brexit ?

Des dispositions de RIC existent déjà en Italie, en Suisse, où le dispositif donne aux électeurs un droit de veto sur des textes adoptés par le parlement, et sous une forme moins contraignante en Autriche et au Portugal. En Italie, les lois déjà en vigueur peuvent être abrogées de cette façon. Des dispositions constitutionnelles de ce genre ne modifient pas la nature des régimes en place et ne rendent certainement pas les peuples plus « souverains » que dans les pays où elles n’existent pas.

Notons aussi que lorsqu’un referendum – même à l’initiative d’un gouvernement – donne un résultat qui ne convient pas à la classe dirigeante, elle s’arrange, dans biens des cas, pour éviter sa concrétisation. Ce fut le cas avec le referendum sur le traité établissant une constitution européenne en 2005, qui a refait surface sous une forme légèrement différente en 2007, ou encore avec le referendum en Grèce sur l’ultimatum de l’Union Européenne en 2015. Malgré le rejet massif des exigences draconiennes de Merkel et de la « Troïka », le premier ministre, le gouvernement de Tsipras, qui ne s’attendait pas à ce résultat, a aussitôt accepté de les mettre en application. Ainsi, sous l’apparence d’une forme de démocratie plus directe et plus efficace que des scrutins électoraux, le moins que l’on puisse dire est que le RIC est une arme à double tranchant et ne devrait certainement pas être considéré comme un progrès démocratique majeur.

La défiance à l’égard des institutions capitalistes est légitime et la revendication du RIC traduit une aspiration à une forme de démocratie plus directe. Le problème est réel mais le RIC n’y est pas une réponse adéquate et pourrait même, loin de servir la cause du progrès social et de la démocratie, devenir l’instrument de forces politiques réactionnaires, surtout dans le contexte européen actuel, où les tendances nationalistes sont en progression dans presque tous les pays du continent. Historiquement, le referendum a toujours été l’outil par excellence de régimes bonapartistes et fascistes. Ce n’est pas pour rien que de nombreux politiciens de droite, dont notamment Marine Le Pen, sont favorables à cette forme de consultation. Ils y voient un outil qui leur ouvrirait des possibilités de manipulation politique intéressantes. Au lieu d’être un moyen de lutter contre la régression sociale et démocratique, il pourrait bien servir à en imposer davantage.

On pourrait dire que notre attitude circonspecte à l’égard du RIC trahit un manque de confiance en l’intelligence politique du peuple, mais le problème est ailleurs. L’histoire connaît toutes sortes de rebondissements, passant de révoltes à des périodes de réaction. Cela n’a rien à voir avec l’intelligence. Ordinairement – en dehors des périodes révolutionnaires – l’idéologie dominante chez un peuple est celle de la classe dominante et les éléments consciemment révolutionnaires ne sont qu’une petite minorité. La « volonté populaire » n’est pas nécessairement progressiste. Alors qu’on ne pourrait bien évidemment pas exclure qu’un referendum puisse trancher une question donnée de façon positive du point de vue de la lutte contre le capitalisme, il faut reconnaître qu’un peuple peut se tromper ou se laisser manipuler. Selon les circonstances, il peut être traversé par des sentiments et des idées politiques réactionnaires, comme le nationalisme et des réflexes xénophobes, et comme des réflexes anti-grèves ou anti-blocages ou le refus que certaines catégories professionnelles aient des acquis un peu plus favorables.

Il n’y a donc aucune raison d’idéaliser la « parole du peuple », comme si c’était le dernier mot de la démocratie. La progression des tendances nationalistes en Europe découle des conséquences sociales désastreuses de la « mondialisation » capitaliste, de l’exacerbation de la lutte pour s’emparer des ressources naturelles et des marchés et, par extension, de la concurrence plus brutale et plus directe entre les travailleurs. Le nationalisme est comme porté par un instinct de survie, surtout lorsque le programme du mouvement ouvrier ne propose aucune alternative au capitalisme. En France, la dilution réformiste du programme du mouvement ouvrier – notamment de la part du PCF et de la CGT – a grandement contribué au recul de la conscience de classe des travailleurs et nous a fait perdre du terrain dans la bataille idéologique.

La nature tronquée et trompeuse des institutions « démocratiques » s’explique par le fait que le vrai pouvoir est entre les mains de la classe capitaliste. Relativement faible en nombre et pourtant extrêmement puissante, c’est elle qui possède et contrôle les grands moyens de production, les banques et pratiquement tous les rouages de l’économie nationale. Il faudrait bien plus que des amendement constitutionnels pour faire reculer l’injustice sociale. Nous vivons dans une société où deux classes, celle des exploiteurs et celle des exploités, ont des intérêts fondamentalement opposés. Ceci est tout aussi vrai dans les pays qui permettent le RIC que dans ceux qui ne l’autorisent pas. Voilà le vrai problème auquel nous sommes confrontés.

Une lutte sérieuse contre l’injustice sociale doit impérativement s’attaquer à ses causes fondamentales. Tout gouvernement, de droite ou de gauche, qui ne veut pas briser le pouvoir des capitalistes finit inévitablement par adapter sa politique à leurs exigences. L’enlisement des partis de gauche dans la politique réformiste et institutionnelle, allant jusqu’à cautionner des mesures allant directement à l’encontre de leurs engagements, explique la méfiance des gilets jaunes envers les partis de gauche, la considérant comme faisant partie du système en place.

Ce qui préserve les intérêts de la classe dirigeante et lui permet de soumettre l’ensemble de la société, bien qu’elle ne soit qu’une petite minorité de la population, ce ne sont ni des agencements constitutionnels, ni l’appareil répressif, mais surtout la passivité de la masse de la population. La lutte contre l’ordre établi est tout d’abord une lutte pour la conscience des travailleurs, pour leur faire comprendre que leurs intérêts et aspirations sont incompatibles avec les intérêts des capitalistes. Cette lutte implique l’existence d’un parti dont le programme ne se limite pas à des revendications immédiates et partielles, mais qui relie celles-ci à la nécessité impérieuse de s’attaquer à la propriété capitaliste. L’absence d’un parti avec ce programme révolutionnaire est le problème fondamental de notre époque, avec un système capitaliste qui tire la société vers le bas mais qui restera en place tant qu’une majorité de la population n’aura pas pris conscience qu’il faut changer de système.

En ce qui concerne le programme du mouvement ouvrier, il doit comprendre non seulement des revendications mais aussi un projet de société. Il lui incombe de faire comprendre aux travailleurs que tous les problèmes de société qui pèsent sur leur vie quotidienne sont liés à la structure capitaliste de la société. Si nous voulons mettre fin au pillage des usagers par les banques, notamment par le biais des frais bancaires et des agios, si nous voulons mettre les ressources financières colossales du système bancaire au service de la société, il faut mettre fin à la propriété capitaliste de toutes les banques, des organismes de crédit et des assurances, pour que l’ensemble du secteur devienne un service public sous le contrôle et la gestion des usagers. De la même façon, la revendication pour la renationalisation des autoroutes est entièrement justifiée. Pourquoi les autoroutes devraient-elles être une source de profits immenses pour des capitalistes, au détriment des usagers ? L’industrie pétrolière et l’ensemble du secteur énergétique devraient être un service public, fournissant du pétrole, du gaz et de l’électricité aux tarifs les moins chers possibles. Comment tolérer le pillage de la sécurité sociale par l’industrie pharmaceutique dans le but d’enrichir une poignée de capitalistes ? Nous voulons des industries nationalisées, véritablement au service de la population et qui n’auront nullement besoin de PdG rémunérés à plusieurs centaines de millions d’euros par mois. Sans régler cette question de la propriété des « moyens de production », sans donner le pouvoir dans le domaine économique aux travailleurs qui les font vivre et qui produisent les richesses du pays, les problèmes économiques et sociales et les injustices terribles qui existent en France ne peuvent que s’aggraver.

Plus que jamais, nous avons besoin d’un programme révolutionnaire, porté par des organisations comme le PCF et la CGT. Oui, il faut renforcer la démocratie populaire face à la classe dominante. Commençons donc par son introduction dans le domaine économique, dans les banques, dans les entreprises ! Tous les secteurs clés de l’économie doivent être libérés de l’emprise des capitalistes, devenir la propriété d’un État au service de la majorité de la population et passer sous le contrôle et la gestion des salariés. L’émancipation sociale et politique de la masse de la population passe par là. Ce n’est que par cette extension de la démocratie que nous pourrons doter le pays d’un État où la « représentation nationale » et le gouvernement seront vraiment au service de la masse de la population.

Greg Oxley, PCF Paris 10

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