Jacques Lesne (1943-2017)

Né en pleine seconde guerre mondiale, dans une France occupée par les nazis, Jacques Lesne (1943-2017) était un militant de la CGT et du Parti Communiste. Il restera aussi, et jusqu’à sa mort, un adhérent de La Riposte. Pendant plusieurs années, il était membre de son Comité Central.

Jacques était un marxiste qui a consacré toute sa vie consciente à la défense des travailleurs, à la lutte contre le système capitaliste et contre toutes les formes d’oppression. Dans une manifestation, mais encore plus dans une grève, une occupation d’usine ou dans des situations « tendues » avec la police, il était vraiment dans son élément. Rien ne le rendait plus heureux que de voir des travailleurs prendre leurs affaires en main et se soulever contre l’exploitation. C’est sans doute pour cette raison que quand il parlait de ses activités militantes avec la CGT, on sentait sa combativité teintée d’une certaine joie. L’un de ses traits de caractère les plus frappants était sa confiance inébranlable dans la capacité des travailleurs à lutter et à comprendre les idées du socialisme.

Mais Jacques était bien plus qu’un militant « de terrain ». C’était un homme de réflexion, un homme profond, intense, qui visait plus haut et plus loin que l’immédiateté de la lutte quotidienne. Il voulait renverser l’ordre social existant. Il savait que cet objectif ne pouvait être atteint sans un mouvement révolutionnaire de masse et, dans cette perspective, voulait contribuer à la préparation politique et psychologique des travailleurs. Comprenant parfaitement que la lutte contre le capitalisme est aussi une lutte idéologique, il s’intéressait vivement aux questions historiques, théoriques et philosophiques.

Jacques écoutait beaucoup et parlait peu. Mais quand il parlait, chaque mot comptait, et il ne ratait pas sa cible. Il avait la précision et la puissance d’expression d’un homme aux convictions forgées et confirmées par de longues années d’expérience. Il n’éprouvait jamais le besoin de meubler ses interventions d’effets de style et d’allusions savantes. C’était le contenu, et non la forme, qui commandait l’attention de ses interlocuteurs. Typiquement, après avoir calmement formulé une idée d’une solidité incontestable, il ajouterait : « C’est ça, non ? Ou alors je me trompe, peut-être… » Ce mélange de modestie, d’un côté, et de fermeté implacable de l’autre, résumait bien sa personnalité.

Il nous grondait de temps en temps, surtout quand il pensait que nous passions à côté de l’essentiel. « Ne perdez pas trop de temps sur des polémiques contre les idées et les dérives pratiques des réformistes », disait-il. « La plupart des travailleurs ne leur prêtent pas beaucoup d’attention, de toute façon. Il faut surtout expliquer nos idées révolutionnaires et notre programme aux travailleurs. Tant qu’ils ne les auront pas compris, il n’y aura pas de socialisme. Il faut aller vers les luttes, sur les piquets de grève. Sinon, même si nous avons d’excellentes analyses, nous ne serons jamais écoutés. »

Il y a une étape dans le parcours militant de Jacques dont il ne parlait presque jamais. Dans les années 70, dans le nord du continent latino-américain, son internationalisme l’avait amené à participer à des actions armées. Cela n’avait rien à voir avec des attentats sporadiques, déconnectés du mouvement ouvrier et contre-productifs auxquels se livraient certains groupes de « révolutionnaires » latino-américains de l’époque. Il s’agissait de défendre les travailleurs et paysans contre les tueurs des propriétaires terriens capitalistes qui voulaient les chasser de leurs foyers et de leurs terres. Descendant dans les villages, des tueurs à gages semaient la terreur. Il fallait combattre le feu par le feu. Jacques et d’autres communistes se sont portés volontaires. « Je n’ai pas envie de m’expliquer là-dessus », me disait-il. « Des actions de ce type fascinent les gens ici en Europe. Mais cela n’a rien de fascinant. J’ai fait ce qu’il y avait à faire et c’est tout. Garde ça pour toi. Tu peux en parler plus tard, si tu veux. Mais il vaut mieux attendre que je ne sois plus là. »

Les idées communistes de Jacques ne lui laissaient pas d’autre choix que de s’inscrire dans l’opposition interne à la direction réformiste du PCF. Il avait vécu la période stalinienne du PCF, pendant laquelle ses chefs justifiaient les crimes de Staline et présentaient l’URSS et les régimes dictatoriaux de l’Europe centrale comme autant de modèles du socialisme. Ensuite, il a vu l’abandon de toute référence au socialisme et l’acceptation de l’« économie de marché » – c’est-à-dire le capitalisme – à l’époque de Robert Hue et depuis. Le rôle honteux des dirigeants du parti dans la mise en œuvre des privatisations sous le gouvernement de Lionel Jospin le révoltait. Il a retrouvé dans les idées et le programme de La Riposte l’expression de ses propres idées communistes et révolutionnaires.

Au Comité Central de La Riposte, son expérience et sa réflexion ont grandement contribué à façonner notre manière de travailler et de présenter nos idées. Mais quand Jacques sentait que sa maladie progressait, il ne voulait plus faire partie du CC. J’ai essayé de le convaincre de rester. Mais il considérait qu’il était inadmissible de faire partie d’une instance dirigeante sans être sérieusement impliqué dans ses travaux. Jacques était d’une très grande intégrité. Il ne cherchait ni places ni étiquettes. Seul comptait pour lui l’avancement de la lutte.

Ce n’est que très rarement que je rédige des textes publics à la première personne. Mais il m’est impossible de parler de Jacques Lesne de façon distante et neutre. Pour moi, il était non seulement un camarade de très grande valeur, mais aussi un ami et un confident comme je n’en ai pas connu beaucoup d’autres au cours de ma vie. Comme pour bien d’autres camarades, il était pour moi une source d’encouragement, de soutien moral et d’inspiration. Il y avait entre nous, pratiquement dès le départ, une grande complicité.

La dernière fois que nous avons pu passer plusieurs heures ensemble, nous avons, comme à chaque fois, parlé des livres que nous avions lu – je me souviens qu’il venait de finir Le Grand Jeu, de Léopold Trepper, qui lui avait fait une forte impression –, de questions politiques et de bien d’autres sujets. Mais puisque nous savions tous les deux, désormais, que sa vie tirait vers sa fin, nous avons parlé assez longuement de nos parcours respectifs, des événements et des expériences qui avaient fait de nous ce que nous étions. Nous avons également parlé de la mort, en nous disant qu’il n’y avait à craindre la mort que si on n’avait rien fait de sa vie. Jacques, justement, ne craignait pas de mourir. Il était, à juste titre, fier de son parcours, et d’avoir passé sa vie au service de la plus grande et la plus noble des causes. Il m’a parlé de la place qu’occupait sa compagne, Chantal, dans sa vie et dans son cœur. Il m’a dit aussi que quand il passait en revue les différentes étapes de sa vie, il se rendait compte qu’il ne s’était jamais senti aussi heureux et épanoui que lorsqu’il s’occupait de ses trois filles, Pauline, Eva et Laura, pendant leur enfance.

Nous avons perdu Jacques. Mais d’une certaine façon, même dans sa mort, il nous a apporté quelque chose. C’est ce que je ressens, personnellement, en tout cas. Je veux dire qu’en me faisant penser à lui et aux grandes aspirations sociales et humaines qu’il incarnait, sa mort a renforcé ma propre volonté révolutionnaire. Elle m’incite à vouloir être pleinement digne de lui, de son amitié. Par ce modeste écrit, et par les pensées de tous les camarades qui ont eu le privilège de le connaître, nous rendons hommage à Jacques Lesne, à l’homme qu’il était, au militant qu’il était. Mais pour ma part, le meilleur hommage que nous puissions lui rendre est de poursuivre la lutte révolutionnaire qui était la sienne et qui sera, pour toujours et jusqu’à la victoire, la nôtre.

Greg Oxley, PCF Paris 10. Rédaction de La Riposte.

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