L’ampleur cachée du massacre à Gaza

Le traitement médiatique de certaines informations nous rappelle l’hypocrisie sans fond des médias traditionnels. La dernière est l’hystérie sur ce que les artistes ont pu ou non dire au festival de Glastonbury en Angleterre, et qui a été diffusé en direct sur la BBC. Les rédacteurs du Daily Telegraph et du Daily Express étaient en ébullition pour exiger le limogeage du patron de la BBC qui a permis que des chants pro-palestiniens soient diffusés en direct depuis la scène à Glastonbury.

Ces mêmes journaux qui vocifèrent contre ces artistes restent muets face aux meurtres quotidiens à Gaza et en Cisjordanie, perpétrés par l’armée israélienne, à une échelle difficilement imaginable. Alors que la presse s’est déchaînée contre les chants pro-palestiniens à Glastonbury et que tous les amis de Netanyahou dans l’establishment britannique ont poursuivi leur vie « trépidante » mais bien confortable, aucune attention n’a été portée aux meurtres quotidiens de ces Palestiniens à Gaza qui se sont trouvés au mauvais endroit au mauvais moment dans les viseurs des soldats israéliens.

La soi-disant « aide humanitaire » à Gaza est organisée sur quatre points de distribution qui sont généralement ouverts seulement une heure par jour. Avec deux millions de Palestiniens à Gaza, en manque de nourriture, il est évident pour quiconque ayant une once d’humanité que les gens n’attendront pas patiemment dans les files pour leurs maigres rations. Malheureusement, certains sont arrivés trop tôt, trop tard ou au mauvais endroit. Selon des révélations dans le journal israélien, Haaretz, les soldats ont reçu l’ordre de tirer sur ces personnes. Le journal rapporte que près de 500 Palestiniens ont été tués entre le 11 mai et le 24 juin « dans les files d’attente de distribution de nourriture ».

Restreindre l’aide humanitaire comme arme de guerre

Utiliser l’aide « humanitaire » comme arme de guerre – la rationner au point que la plupart n’y ont pas accès – n’est que le dénouement d’un terrible massacre infligé au peuple de Gaza. Depuis le début, avec l’incursion du Hamas en Israël le 7 octobre 2023, l’État israélien inflige une punition collective en détruisant Gaza et ses habitants indistinctement. Le bilan officiel fait état, aujourd’hui, de 56 000 morts, ce qui, sur une population de 2,25 millions d’habitants, est un chiffre catastrophiquement élevé.

Fin juin, le ministère de la Santé à Gaza, ou ce qu’il en reste, a publié une liste à jour des victimes. L’armée israélienne, les ministres israéliens et les politiciens pro-israéliens en Occident ont essayé de jeter le doute sur leurs chiffres, et ne manquent jamais de mentionner que le ministère est « contrôlé par le Hamas », tout cela dans une tentative de « minimiser » un génocide. Mais des évaluations indépendantes des chiffres du ministère de la Santé de Gaza ont montré, dans le passé, qu’ils étaient toujours corrects.

La nouvelle liste du ministère de la santé, en arabe et sur un tableau de 1 227 pages, inclut les noms complets des défunts, les noms de leurs pères et grands-pères, leurs dates de naissance et leurs numéros d’identification. Au total, la liste comprend 55 202 morts – corrigés jusqu’à ce que la liste soit finalisée – dont 17 121 enfants de moins de 18 ans et 9 126 femmes.

Cependant, les experts internationaux en victimes de guerre pensent que la liste est une sous-estimation du nombre de décès réel. Michael Spagat, professeur d’économie à l’université de Londres, est un expert mondialement reconnu sur les chiffres de mortalité dans les conflits violents à travers le monde. Cette semaine, il a publié les résultats d’une étude sur les décès à Gaza, après que son équipe de chercheurs ait enquêté sur 2 000 ménages, comprenant 10 000 personnes.

Le nombre réel de décès est plus susceptible d’être proche de 100 000

Ils sont arrivés à la conclusion, en janvier – il y a six mois – qu’environ 75 000 personnes avaient été tuées violemment par des munitions israéliennes. Pourtant, à ce moment-là, le ministère de la Santé de Gaza avait un total de 45 660 décès. En d’autres termes, le nombre « officiel » de décès sous-estime d’environ 40 % le nombre de décès réel. C’est un chiffre similaire à une étude publiée dans The Lancet en février.

Cela signifie que si le chiffre officiel est aujourd’hui de 56 000 morts, le chiffre réel devrait désormais être plus proche de 100 000, la plupart des personnes non identifiées étant enterrées sous des dizaines de milliers de tonnes de décombres et de bâtiments effondrés. Certains décès seraient également non identifiés simplement parce qu’ils étaient si proches du centre des explosions de bombes et d’obus qu’il ne reste plus rien de leurs corps.

Les données révèlent qu’environ 56 % des personnes tuées étaient des femmes et des enfants de moins de 18 ans, ce qui est un chiffre exceptionnellement élevé par rapport à la Seconde Guerre mondiale ou à toute autre guerre depuis. « la proportion de femmes et d’enfants tués par une mort violente à Gaza est plus du double de celle de presque tous les autres conflits récents, y compris, par exemple, les guerres civiles au Kosovo (20%), dans le nord de l’Éthiopie (9%), en Syrie (20%), en Colombie (21%), Irak (17%) et Soudan (23%) ». (article de Haaretz)

Tout bien considéré, le rapport de Spagat a conclu : « la guerre à Gaza est l’un des conflits les plus sanglants du 21e siècle. Gaza occupe la première place en termes de ratio de combattants par rapport aux non-combattants tués, ainsi qu’en termes de taux de mortalité par rapport à la taille de la population. »

Décès par le froid, la faim et la maladie

Le mois dernier, une autre étude a été publiée, commandée par Action on Armed Violence, qui examinait les noms de 1 000 enfants sur 3 000 que le ministère de la Santé avait effacés de ses listes par erreur. L’étude a conclu que, bien que les noms aient été effacés soi-disant pour corriger des erreurs, il y avait « des preuves solides » que la plupart des enfants initialement listés avaient été tués. C’était parce que le ministère de la Santé ne comptait les décès que lorsqu’un corps était identifié. Cette étude concluait que les familles enterraient souvent leurs propres morts rapidement et ne signalaient pas le décès.

Un autre aspect horrifiant de l’enquête Spagat est qu’il y a un grand nombre de décès, appelés « surmortalité », attribuables aux effets indirects de la guerre : la faim, la maladie (dont les risques sont accrus par la malnutrition), le froid et l’échec d’un système de santé privé de ressources, de personnel et d’équipement. Spagat a constaté que, jusqu’en janvier, les décès excédentaires étaient d’environ 8 540 parmi ceux enregistrés.

Ces décès sont survenus spécifiquement parce que l’armée israélienne a utilisé l’aide humanitaire – c’est-à-dire en la bloquant – comme arme de guerre. Parce que les médecins ont été arrêtes par l’armée. Parce que les hôpitaux, les cliniques et les établissements de santé ont été ciblés par des bombes. Parce que les installations de l’UNRWA (Agence onusienne de secours et de travaux pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient) et le personnel expérimenté ont été interdits par Israël.

Il est important de noter également que ce que Spagat a appelé « le soutien communautaire » était disponible pour les malades et les blessés, par le biais du soutien familial et communautaire, au cours des premiers mois, mais qui a été complètement sapé par la destruction physique délibérée de Gaza par Israël.

Entassés dans des villes de tentes

Une population de réfugiés désespérés est principalement entassée dans des camps de tentes – pouvons-nous maintenant les appeler « camps de concentration » ? – où un nombre croissant d’entre eux sont vulnérables aux maladies, aux conditions sanitaires très dégradées et à la mort en raison du blocage de l’aide humanitaire. En raison des conditions dans lesquelles les Gazaouis sont maintenant forcés de vivre, dit Spagat, « je supposerais que le ratio des morts non violentes par rapport aux morts violentes ait augmenté depuis [l’étude de janvier] »

C’est la dure réalité de ce qui s’est passé à Gaza au cours des dix-neuf derniers mois et de ce qui  se passe encore aujourd’hui. A-t-elle beaucoup figuré dans les gros titres des médias dominants ? Pas que nous ayons remarqué. Mais certains chants pro-palestiniens sont entendus à Glastonbury, et soudainement les alertes d’« antisémitisme » retentissent.

Le « grand rabbin » du Royaume-Uni, Sir Ephraim Mirvis, a condamné l’« antisémitisme » à Glastonbury, comme d’habitude en faisant le travail de Benjamin Netanyahu pour lui, en amalgamant défense du peuple palestinien et « antisémitisme ».

John Pickard

Article original disponible sur le site Left Horizon

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *