Amélie Oudéa-Castera, ou les signes d’une classe sociale

La nouvelle ministre de l’Éducation nationale, Amélie Oudéa-Castéra, casse un peu le discours hypocrite habituel de la classe bourgeoise : « défendre l’école de la République », les gouvernants sont « les produits de l’école de la République et de la méritocratie », « combattre les inégalités à l’école est leur priorité », etc. Elle annonce, alors qu’elle connaissait à l’avance les questions qui allaient lui être posées, qu’elle et son mari Frédéric Oudéa, ancien conseiller de Sarkozy et actuel PDG de Sanofi avant d’avoir été PDG de la Société Générale, avaient retiré leurs enfants d’une école publique du 6ème arrondissement de Paris, arrondissement très favorisé, pour les inscrire dans un établissement catholique.

Cet épisode est comme une irruption sur le devant de la scène politique d’une arrogance bourgeoise assumée en décalage complet avec la réalité de la majorité de la population. Quand elle a déclaré, lors d’une audition en novembre 2023 au sujet de son salaire à la tête de la Fédération française de tennis : “Si je rapporte ma rémunération actuelle au volume d’heures que chaque semaine je m’enfourne, en bossant jour, nuit, week-ends, je ne suis pas bien payée” (NDLR par rapport à son ancien poste en tant que directrice exécutive chez Carrefour), son salaire était quand même de 500 000 euros par an ! Travaillait-elle 25 fois plus que nous ? Notre classe sociale n’a rien à attendre de leur part, si ce n’est du mépris plus ou moins caché.

La ministre de l’Education nationale déclarait sans honte à l’Assemblée nationale : « Il nous faut donc éviter tout entrisme politique ou religieux à l’école » alors qu’elle scolarise ses enfants au collège privé catholique Stanislas, qui fait l’objet d’un rapport accablant, pointant de graves dérives : cours de catéchisme et certaines messes imposés à tous les élèves, sexisme, homophobie, autoritarisme abusif transmettant des « valeurs » contraires à celles de la République alors que c’est un établissement sous contrat avec l’Etat, c’est-à-dire qu’il reçoit un financement à hauteur de ce que coûte l’éducation d’un élève dans le public. Dans cet établissement catholique implanté dans le 6ᵉ arrondissement de Paris, une année scolaire coûte 2561 euros, sans la cantine. Carlos Ghosn, Albert de Monaco, Martin Bouygues, Charles de Gaule… y ont été scolarisés.

Pour rappel, chaque année un calcul est effectué afin de déterminer le coût d’un élève dans un établissement public, coût qui comprend le personnel enseignant et non-enseignant (enseignants, administratifs, surveillants…) encadrant l’éducation d’un élève. Ce coût ne comprend pas, par exemple, le personnel de cantine. Ce résultat, que l’on appelle forfait d’externat, est versé à l’enseignement privé sous contrat avec l’Etat, en fonction du nombre d’élèves que les établissements privés inscrivent, sous condition qu’ils respectent les programmes de l’Education nationale.

La démission réclamée par certains ne changera pas la donne : ce sera une autre personne, qui appliquera globalement la même politique. Et cette politique appliquée à l’éducation de la nation est un domaine important de la classe dirigeante et de son représentant actuel Emmanuel Macron. Mélanie Oudéa-Castéra, fille de Richard Castéra, directeur de Publicis, nièce des journalistes Alain et Patrice Duhamel, cousine du journaliste de BFMTV Benjamin Duhamel, n’est là que pour mettre en place le « réarmement civique » dans un projet de « recivilisation ». À des études qui montrent des inégalités scolaires qui se creusent rapidement, leur réponse est le Service National Universel, chanter la Marseillaise à l’école primaire, l’uniforme à l’école, le redoublement, les groupes de niveaux, le « choc des savoirs », formule de communication qui n’aura aucun effet !

Les difficultés scolaires sont intimement liées aux difficultés sociales. Les propos sur le fait que les immigrés font baisser le niveau scolaire est une infamie ! Il est largement démontré d’ailleurs qu’à niveau social équivalent un enfant de parents immigrés réussit mieux que les autres !

À cette désillusion devant cette classe dominante qui veut déposséder les enseignants de leur expertise pour leur dire comment faire leur métier, il faut répondre par la résistance, tout d’abord en recréant du collectif, par le soutien dans le travail, car rien ne se fera si chacun sombre dans l’individualisme et la solitude.

Notre classe doit mener cette bataille culturelle, et défendre cette belle idée de l’école pour tous, non pour fabriquer des futurs employés modèles au service des capitalistes, mais pour construire des futurs citoyens acteurs et responsables de l’épanouissement de tous et de chacun.

Éric JOUEN

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