Maîtres et esclaves : la tyrannie des grandes marques

L’humanité est divisée en deux parties : maîtres et esclaves.

Aristote

La découverte de migrants mineurs syriens dans les usines des compagnies de vêtements H&M et Next en Turquie, révélée par le quotidien britannique The Independent nous rappelle que la cupidité des capitalistes ne connaît ni limites ni frontières. Les deux sociétés en question ont reconnu les faits. D’autres ont refusé de répondre aux journalistes. Décidément, les capitalistes ne sont pas racistes. Ils sont prêts à exploiter n’importe qui, indépendamment de sa couleur, de sa nationalité et même, dans bien des cas, de son âge !

Depuis une dizaine d’années, de nombreuses révélations concernant l’exploitation d’enfants et diverses formes d’esclavage moderne ont démontré l’implication des enseignes et des marques connues de tous. Un rapport de Human Rights Watch en 2010 a dévoilé le recours à l’esclavage dans les fermes de tabac travaillant pour Philip Morris au Kazakhstan. L’entreprise a été contrainte de reconnaître l’emploi chez ses producteurs d’au moins 72 enfants de moins de 10 ans. La réalité est sans doute plus grave encore.

Aux États-Unis, on consomme en moyenne cinq kilos de chocolat par personne et par an. Mais combien de ces consommateurs savent que des grandes entreprises qui dominent ce secteur, telles que Nestlé, Hershey, Godiva et Mars, exploitent des enfants en Afrique occidentale dans des conditions d’esclavage ? Le documentaire, Slavery : A Global Investigation montre des enfants âgés de 8 à 16 ans travaillant dans des fermes de cacao jusqu’à 100 heures par semaine, souvent battus à coups de ceintures et de fouets. L’un de ces esclaves qui a réussi à s’évader, Aly Diabate, témoigne : « Les coups de fouet faisaient partie de ma vie. A chaque fois qu’ils te faisaient porter des sacs [de cacao], et si tu tombais sous le poids, personne ne te venait en aide. Ils te frappaient et te frappaient encore jusqu’à ce que tu te relèves. » Un autre rescapé, parlant des consommateurs de chocolat, a dit : « Ils jouissent de quelque chose dont la fabrication m’a fait souffrir. J’ai travaillé dur, mais je n’en ai vu aucun bénéfice. Ce qu’ils mangent, c’est ma chair. » Depuis cinq ans, le nombre d’enfants travaillant dans le cacao en Afrique occidentale a augmenté de 50%.

On pourrait aussi citer le cas de Victoria’s Secret, dont les affiches publicitaires sensuelles cachaient l’exploitation écrasante subie par les employés qui ramassaient le coton pour le compte de l’entreprise au Burkina Faso. Une enquête de Bloomberg a porté l’affaire à la connaissance du public américain. Parmi les victimes interviewées, il y avait Clarisse, une jeune fille de 13 ans, qui a témoigné des souffrances qu’on lui infligeait dans les champs de coton. Ses employeurs la frappaient lorsqu’elle ne travaillait pas assez rapidement. Après avoir tenté de nier les faits, Victoria’s Secret a finalement décidé de ne plus se fournir au Burkina Faso.

Il est rare que les médias occidentaux évoquent la macabre réalité des conditions de ceux qui travaillent pour les « grandes marques ». Cependant, la catastrophe du Rana Plaza au Bangladesh, du 24 avril 2013, a bénéficié d’une certaine couverture médiatique. Un bâtiment abritant plusieurs ateliers de textile s’est effondré. Il avait trois étages de trop par rapport à la solidité de ses fondations. Des milliers de machines à coudre, alimentées par de très lourds générateurs, étaient installées sur le toit. Dans les décombres, à côté des 1300 personnes ensevelies, les ONG sur place ont trouvé des étiquettes de Carrefour, Auchan, Camaïeu et d’autres entreprises françaises. Primark, El Corte Ingles, Mango, Benetton et d’autres marques bien connues en Europe ont dû reconnaître leurs relations avec les ateliers mortels. Le groupe Carrefour s’est montré plutôt indifférent au sort des victimes. En 2005, déjà, il avait refusé de contribuer à un fonds commun d’indemnisation des victimes d’un effondrement d’usine, toujours au Bangladesh, qui avait fait 64 morts et 80 blessés.

Le Bangladesh a souvent été touché par des catastrophes industrielles, particulièrement dans l’industrie du textile. Le 8 mai 2013, alors que l’on n’avait pas encore déterminé le nombre exact des victimes du Rana Plaza, un incendie dans un autre lieu de travail, à Dacca, a causé la mort de huit personnes asphyxiées par la fumée toxique dégagée par la combustion de tissus acryliques. L’année suivante, une série d’incendies coûte la vie à 85 personnes et en blesse 207 autres. En 2010, environ trente personnes sont mortes asphyxiées et brûlées dans deux nouveaux incendies provoqués par des installations électriques défectueuses. Il n’y avait pas d’alarmes incendie et les sorties de secours étaient bloquées.

Le profit et la compétitivité passent avant des vies humaines. Un travailleur du textile au Bangladesh touche 30 euros par mois, à comparer aux 150 à 200 des travailleurs du secteur en Chine. La misère des uns fait les gros bénéfices des autres. Les profits de Mango ont doublé entre 2004 et 2012. Primark a multiplié les siens par cinq entre 2004 et 2014.

Près de 40% des emplois au Bangladesh dépendent du textile. Les conditions de travail insupportables ont donné lieu à plusieurs grandes grèves et révoltes. Au printemps 2006, un vaste mouvement de grève, impliquant des dizaines de milliers de travailleurs dont une majorité de femmes, et touchant quelque 3500 usines, a éclaté. A la demande des employeurs, le gouvernement a envoyé les forces de police contre les grévistes. Tirant à balles réelles sur les ouvriers, elles ont fait des centaines de blessés et tué au moins trois personnes. Des centaines de travailleurs ont été brutalisés et incarcérés.

Sous le capitalisme, nous sommes, en tant que salariés dans les entreprises concernées ou en tant que consommateurs de leurs marchandises, impliqués malgré nous dans les crimes contre l’humanité du système. Si nous sommes communistes, c’est parce que nous voulons instaurer un nouvel ordre mondial, libérés de la cupidité capitaliste, dans lequel les producteurs pourront exercer un contrôle démocratique sur ce qui est produit, et déterminer consciemment dans quel but et dans quelles conditions la production se réalise.

Dans l’immédiat, les organisations syndicales en France et dans les autres pays, où les « grandes marques » et les entreprises de la grande distribution se trouvent, devraient s’efforcer de venir en aide aux travailleurs qui subissent des conditions de surexploitation à l’étranger, en informant le public des abus et, là où les circonstances le permettent, en aidant les travailleurs concernés à s’organiser et à résister. Dans l’économie mondiale d’aujourd’hui, plus « globalisée » que jamais, l’internationalisme est devenu un aspect indispensable de notre combat.

Greg Oxley

PCF Paris 10

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