Quand les « valeurs de la République » coïncident avec « l’apologie du terrorisme »

Le terrorisme profite toujours aux classes dominantes.

Les attentats du mois de janvier ont été suivis d’une grande opération politico-médiatique, sciemment orchestrée par l’Elysée, au profit de l’ordre établi. « Contre le terrorisme », « contre le djihadisme », tout le monde, indépendamment de sa condition sociale – capitaliste ou travailleur, riche ou pauvre, dormant dans un palais ou sous un pont – devait parler d’une même voix, « faire bloc » autour du gouvernement et déclarer son attachement aux « institutions républicaines », à la laïcité, à la liberté d’expression, et aux autres « valeurs » que ces institutions étatiques prétendent défendre.

Nous avons déjà dénoncé cette manœuvre réactionnaire dans un article précédent. La devise « liberté, égalité, fraternité », sous le régime actuel, n’est qu’une phrase creuse. Le capitaliste est libre d’exploiter. Le travailleur, lui, d’être exploité. L’égalité ? Quelle égalité ? L’écart entre les riches et les pauvres n’a jamais été si grand. Le capitaliste et le travailleur ne sont pas et ne seront jamais « égaux ». Sous le capitalisme, aucune « fraternité » nationale n’est possible, non plus. La société est profondément divisée en classes sociales aux intérêts diamétralement opposés. Quant à la sacro-sainte « liberté d’expression », tous les travailleurs en connaissent les limites. Formellement, ils ont le droit de dire ce qu’ils pensent. Mais les patrons ont non seulement des droits, mais aussi des pouvoirs. Dans bien des entreprises, un mot plus haut que l’autre devant l’employeur et le salarié peut facilement se retrouver au chômage !

Pour cette république corrompue, discréditée, liée inextricablement aux capitalistes qui détruisent l’économie et refoulent la société en arrière, l’occasion était en effet trop belle. Grâce à l’action des terroristes, elle pouvait enfin se poser en digne représentant et défenseur du peuple et dissimuler – au moins pour quelque temps – sa véritable nature, celle d’une machine bureaucratique au service des puissants. Dans cet embrigadement des esprits, l’ardeur du gouvernement, des forces de l’ordre et des médias capitalistes va jusqu’à sommer les membres de ce qu’ils appellent la « communauté musulmane » de se dissocier des terroristes, de dire s’ils sont « Charlie » ou pas. On s’acharne contre des enfants ou lycéens qui ne comprennent pas pourquoi ils doivent obligatoirement, sur ordre de l’Etat, respecter une « minute de silence ». Les enseignants qui se permettent de s’interroger à haute voix sur ce qui se passe ou qui incitent les élèves à réfléchir à la signification des événements, peuvent se retrouver suspendus, traînés devant un conseil de discipline et devant la justice. Et comme on l’a vu à Nice, même un enfant de 8 ans dont les propos sortiraient du cadre fixé par la « pensée unique » officielle peut être soupçonné d’« apologie du terrorisme » et se faire embarquer par la police !

 De la liberté d’expression, nous passons à la police de la pensée.

Le grand précurseur du marxisme Charles Fourier (1772-1837) dénonçait, dans son livre La Fausse Industrie, ce qu’il appelait « la tyrannie de l’opinion publique », orchestrée à l’époque par la presse et l’Eglise. Nous y sommes encore – et peut-être même plus, compte tenu des moyens de communication de masse dont disposent les gouvernements de notre temps. Pour la première fois depuis longtemps, dans ce pays, il faut faire très attention à sa façon de s’exprimer – et non seulement sur son lieu de travail – ou alors prendre le risque se retrouver accablé d’accusations graves et potentiellement lourdement punies.

Mais enfin, l’action de ces mouvements fondamentalistes est-elle vraiment incompatible avec les intérêts de la République ? La question peut surprendre, mais si nous nous permettons de la poser, c’est parce que nous avons l’impression que les « valeurs » de la République ne l’ont pas empêchée de collaborer étroitement avec des mouvements fondamentalistes, ni d’entretenir des relations plus qu’amicales avec des régimes ultra-réactionnaires – comme ceux du Qatar ou de l’Arabie Saoudite – qui approvisionnent abondamment ces mouvements en armes et en argent. Regardons cela de plus près.

En 2011, l’Etat français voulait faire la guerre contre le régime libyen. Sarkozy a mené une campagne diplomatique pour obtenir le soutien de l’OTAN. Plusieurs mois de bombardements intensifs ont facilité les opérations au sol, où les corps d’élite des puissances occidentales opéraient aux côtés des miliciens sur le terrain, auxquels la France a fourni des missiles anti-char et des mitrailleuses. Dès le départ, Al-Qaida était une composante importante de l’opposition armée au régime de Kadhafi, notamment à Benghazi. Les gouvernements américain et français le savaient pertinemment.  En 2007, déjà, le West Point Center for Combating Terrorism, aux Etats-Unis, indiquait que Benghazi abritait un noyau important de membres d’Al-Qaida qui envoyait des armes et des miliciens en Irak. Au moment de l’opération de l’OTAN en Libye, Bruce Riedel, ancien officier de la CIA et expert reconnu dans le domaine du terrorisme international, a déclaré au Hindustan Times : « Il est évident que la branche libyenne d’Al-Qaida, le Groupe Islamique Combattant Libyen, fait partie de l’opposition. » Al-Hasidi, membre l’Al-Qaida, subitement devenu un allié précieux de la France et des Etats-Unis dans cette guerre « pour la démocratie », a pris le contrôle de la ville de Derna. Interviewé par le Wall Street Journal, Al-Hasidi a déclaré qu’il ne haïssait plus qu’à « moins de 50% » les Etats-Unis, dont le soutien militaire, financier et diplomatique pendant la guerre avait rehaussé l’image de son ancien ennemi à ses yeux. Après la défaite des forces armées du régime, le drapeau d’Al-Qaida flottait sur le bâtiment du Tribunal d’Instance de Benghazi. Plus tard, quand les regards des grandes puissances occidentales (et de leurs compagnies pétrolières) se tournaient vers la Syrie, l’Ambassade des Etats-Unis à Benghazi a servi de quartier général aux agents de la CIA chargés d’organiser le transfert d’armes vers les combattants djihadistes sur le territoire syrien.

Cette collaboration active entre les « démocraties » occidentales et des organisations listées comme terroristes n’allait pas sans provoquer des questionnements, y compris au sein de la CIA. Le 23 avril 2014, après la publication du rapport de la commission d’enquête du Sénat concernant l’attentat contre l’ambassade américaine à Benghazi (le 11 septembre 2012), le quotidien britannique The Daily Mail a cité la déclaration d’un « groupe d’anciens officiers de l’armée et d’agents de la CIA », selon lequel l’attentat « aurait pu être empêché si les Etats-Unis n’avaient pas contribué à l’armement des milices d’Al-Qaida dans toute la Libye » au cours de l’intervention. L’article en question cite aussi une certaine Clare Lopez, membre de la commission et ancien agent de la CIA : « Les Etats-Unis, dit-elle, ont changé de camp dans la guerre contre le terrorisme, compte tenu de ce que nous avons fait en Libye, où nous avons, en pleine connaissance de cause, facilité l’acquisition d’armes pour des milices et des dirigeants d’Al-Qaida. » Lopez a dénoncé l’autorisation d’un chargement d’armements pour une valeur d’un milliard de dollars, en provenance des Emirats Arabes Unis et destiné aux djihadistes d’Al-Qaida. « Rappelez-vous, a-t-elle dit, que ces armes qui sont entrées dans Benghazi ont été autorisées par nos forces armées, qui contrôlaient les voies d’accès aériennes et maritimes à la ville. […] Le Département d’Etat était impliqué, ainsi que, très certainement, les plus hautes autorités des Etats-Unis et les chefs de la sécurité nationale. » Un autre ancien officier de la CIA, Wayne Simmons, a déclaré au sujet de ce « changement de camp » que « certains le considèrent comme une haute trahison. »

 Comme les Etats-Unis, la république française n’hésite pas à « changer de camp » à chaque fois que ses intérêts impérialistes l’exigent.

Sarkozy a fait la même chose concernant la Libye. Hollande était solidaire avec lui, à l’époque, et il a fait la même chose concernant la Syrie. Pendant longtemps, son gouvernement a soutenu les milices fondamentalistes actives en Syrie, fournissant de l’argent, des renseignements – et peut-être aussi des armes – directement aux djihadistes ou à leurs alliés. Les armes fournies aux djihadistes provenaient – et proviennent encore – essentiellement du Qatar et d’Arabie Saoudite, deux pays notoirement « amis » de la France, qui leur vend des quantités importantes de matériel militaire. Notons aussi que la France avait rapidement accordé sa reconnaissance diplomatique au soi-disant « conseil national syrien », dominé politiquement par les Frères Musulmans. Enfin, le 23 avril 2013, l’Union Européenne a levé son embargo sur le pétrole syrien, et plusieurs Etats membres ont acheté du pétrole directement aux groupes djihadistes, comme la branche syrienne d’Al-Qaida, Jabhat Al-Nosra.

Si l’attitude des Etats-Unis et de la France envers les milices djihadistes en Syrie a changé, cela n’a rien à voir avec la morale ou des principes. C’est parce que la situation sur le terrain ne s’est pas déroulée comme prévu. De même que les miliciens prétendument « révolutionnaires » en Libye sont subitement devenues des « terroristes » dès lors qu’ils ont traversé la frontière malienne et ont commencé, de ce fait, à marcher sur les pieds de l’impérialisme français, les milices syriennes ont, elles aussi, outrepassé le rôle que leur attribuaient leurs soutiens à Washington, Londres et Paris. En occupant une partie du territoire irakien et en créant « l’Etat Islamique » de part et d’autre de la frontière irako-syrienne, elles fragilisent la position des Etats-Unis en Irak. Pendant un certain temps, avant de « changer de camp » une nouvelle fois, Hollande s’ingéniait à faire la guerre contre les mêmes organisations djihadistes au Mali qu’il était en train de soutenir en Syrie ! Et le Qatar se trouvait en guerre contre la France au Mali et allié avec elle en Syrie !

Les fondamentalistes soutenus par l’impérialisme français en Libye et en Syrie ont perpétré des carnages autrement plus meurtriers que ceux qui ont eu lieu en France. Ils sont responsables de tortures, de mutilations, de viols et de massacres d’hommes, de femmes et d’enfants à grande échelle. Mais là, puisque les intérêts de la « République » le commandaient, la machine politico-médiatique battait à plein régime pour inciter l’opinion publique à accueillir chaque avancée de ces djihadistes comme une bonne nouvelle, comme un pas vers la « libération » des pays concernés. N’est-ce pas là un bel exemple d’« apologie du terrorisme » d’une portée et d’une gravité autrement plus grandes que celles que les autorités prêtent allègrement à certaines personnes actuellement ?

Ainsi, nous voyons que toute la propagande « républicaine » autour des attentats récents en France ne résiste pas à l’examen de l’attitude véritable de l’Etat français envers Al-Qaida, Etat Islamique et d’autres mouvements de ce genre. Le politicien britannique Lord Palmerston (1784-1865) disait : « Une nation n’a pas d’amis, elle n’a que des intérêts. » De Gaulle a repris la même formule à différentes occasions. Contrairement à ce qu’il prétend, l’Etat français n’est pas l’ami de la laïcité, ni de la démocratie, ni de la liberté, ni de la paix. Il n’est pas non plus l’ennemi du fondamentalisme et de toutes les oppressions que celui-ci impose aux populations sous son emprise. Tout dépend de ses intérêts – c’est-à-dire des intérêts des capitalistes qui constituent la classe dominante sous le régime de cette « république des riches » contre laquelle Robespierre mettait en garde les masses révolutionnaires de son époque.

Greg Oxley

PCF Paris 10

One thought on “Quand les « valeurs de la République » coïncident avec « l’apologie du terrorisme »

  1. Bonsoir

    Je vis en egypte, les restes des revolutionnaires du 25 janvier veulent abattre el sisi mais la population n’est pas avec nous , en regardant la situation en libye , en syrie , les gens ont peur et preferent l’armee a une destruction du pays.
    Que faire ?

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