Nous venons d’apprendre la nouvelle tragique du décès, dans un accident de voiture, de Celia Hart Santamaría, 45 ans, et de son frère Abel Hart Santamaría, 48 ans. Celia et Abel étaient les enfants d’Armando Hart Dávalos et d’Haydée Santamaría.
L’accident s’est produit dans l’après-midi du dimanche 7 septembre, dans le quartier Miramar de la Havane, à Cuba. La voiture a heurté un arbre. Il se pourrait que cet accident soit lié aux dégâts provoqués par le cyclone qui a récemment traversé l’île. Les corps de Celia et Abel ont été inhumés, le lundi 8 septembre, au cimetière Columbus.
Celia Hart était issue d’une famille de révolutionnaires cubains qui, aux côtés de Fidel Castro, ont lutté contre la dictature de Batista. Célia était connue pour sa défense passionnée de l’héritage politique et révolutionnaire de Léon Trotsky. Ses nombreux articles, sur ce sujet, ont été publiés sur les sites internet de la Tendance Marxiste Internationale, et ont provoqué d’intenses débats aussi bien à Cuba qu’à l’échelle internationale.
Celia Hart est née en janvier 1963, quelques mois à peine après la « crise des missiles ». Sa mère, Haydée Santamaría (« la femme la plus extraordinaire que j’ai connue », disait Celia), était une révolutionnaire de la première heure. Elle a participé, aux côtés de Castro, au célèbre assaut contre la Caserne de Moncada, en 1953, où elle a perdu son frère et son compagnon.
Armando Hart, le père de Célia, est arrivé à la politique par une autre voie. Jeune avocat à l’époque de la dictature de Batista, il s’est lancé dans l’agitation politique et a dirigé le mouvement révolutionnaire à l’Université. Il était membre du Mouvement Révolutionnaire National dirigé par García Barcena, un universitaire qui fut emprisonné par Batista en 1953.
Armando Hart et Haydée Santamaría étaient entièrement dévoués à la cause révolutionnaire. Ils ont lutté aux côtés de Fidel Castro et Che Guevara. Lorsque Batista fut renversé, Armando fut nommé Ministre de l’Education, et Haydée Santamaría fonda la Maison des Amériques.
Haydée s’est toujours opposée à la « soviétisation » de Cuba – c’est-à-dire à la tentative d’y imposer la pensée dogmatique et les méthodes bureaucratiques du stalinisme. Dans la Maison des Amériques, il n’y avait pas de place pour le dogmatisme ou le soit-disant « socialisme réel ». Haydée dirigeait cette institution avec une galaxie de talents : Benedetti, Galich, Mariano Rodríguez et d’autres. Tragiquement, elle se suicida en 1980. De son côté, Armando Hart eut une brillante carrière intellectuelle. Après vingt ans comme Ministre de la Culture, il est aujourd’hui responsable de l’Oficina del Programa Martiano.
Celia disait : « Ainsi, j’ai grandi dans l’œil du cyclone, entre la formidable passion de ma mère et l’intelligence studieuse de mon père – tous deux fermement intégrés à la vie politique cubaine. » En 1980, un an avant le suicide de sa mère, Celia décida d’étudier la physique à l’Université de la Havane. Deux ans plus tard, elle partit poursuivre ses études à l’Université de Dresden, en RDA.
Celia obtint son diplôme de physique en 1987. Elle revint alors à la Havane, où elle publia une quinzaine de travaux scientifiques sur le magnétisme et la super-conductivité. Elle participa également à des Congrès scientifiques en Italie, au Brésil et en Argentine.
A propos de cette période de sa vie, Celia me dit un jour : « En 2004, je pris conscience que mon amour de la physique n’était pas une fin en soi, mais seulement un moyen ». Elle poursuivit : « Pendant mon séjour en RDA, je réalisais qu’il y avait une contradiction entre la lutte socialiste pour un monde meilleur et la bureaucratie, l’étouffement de toute initiative et l’apathie que j’ai découverts dans ce pays – malgré de bonnes conditions d’existence. J’étais rebutée par ces portraits d’Honecker accrochés aux vitrines de tous les magasins. »
Ainsi, lentement mais sûrement, mûrissait l’adhésion de Celia aux idées de Trotsky, qu’elle décrivit elle-même de la façon suivante : « En 1985, je revins à Cuba pour les vacances et parlai à mon père de mon profond désespoir politique. En réponse, mon père ouvrit un placard et en sortit quatre livres : les trois volumes d’Isaac Deutscher sur la vie de Trotsky, et La Révolution Trahie, de Trotsky. Je dévorai ces livres. Mais jusqu’à récemment, je n’eus pas l’occasion de lire les autres ouvrages de Trotsky.
« A partir de ce moment », poursuivit Celia, « tout commença à se mettre en place, comme les pièces d’un puzzle. Je compris que la révolution russe – et d’autres révolutions – avaient été trahies, et que des millions de camarades avaient été trompés. »
Cependant, aucun des écrits politiques de Celia ne fut publié, à Cuba, à l’exception d’un prologue au livre de sa mère : Haydée parle de la Moncada. Ses écrits ont été publiés pour la première fois par les sites de la Tendance Marxiste Internationale, et notamment la revue Marxismo Hoy de nos camarades espagnols. Plus tard, nous avons publié un recueil de ses écrits, Notes révolutionnaires, que la Fondation Frédéric Engels diffusa à Cuba et en Espagne.
En 2004, Celia participa au congrès mondial de la TMI, où elle eut d’intenses discussions avec ses dirigeants. Quelques temps après, elle écrivit : « Je reviens de la Conférence Internationale de la Tendance Marxiste. Ce fut une expérience très importante pour moi. J’ai rencontré de merveilleux camarades du Pakistan, d’Israël, d’Espagne, des Etats-Unis… Et j’ai vu que je ne suis pas seule, que mes idées se répandent à travers le monde. Ce sont les idées du futur. Je remercie tous les camarades pour ce qui fut le plus bel été de ma vie.
« Un nouveau et excitant chapitre de ma vie vient de s’ouvrir. C’est un sentiment très étrange. Il y a moins d’un an, j’étais une physicienne à l’Université de la Havane. A présent, je ne sais pas de quoi sera fait l’avenir. Mais je sais que la science, la méthode scientifique, est la meilleure méthode pour mener la passionnante lutte révolutionnaire. »
Depuis lors, Celia fut en contact régulier avec la TMI. Elle prit la parole à plusieurs de nos réunions publiques, dans divers pays. En février dernier, à la Havane, elle prit la parole à une réunion organisée par la Fondation Frédéric Engels, lors du Festival du livre de la Havane, à l’occasion de la publication de La Révolution Trahie, de Trotsky. Une centaine de personnes ont assisté à cette réunion.
Dans ses discussions sur la lutte pour le socialisme, Celia Hart était toujours très passionnée. Nous avons fréquemment discuté avec elle, et souvent – mais pas toujours – nous finissions par tomber d’accord. Dans tous les cas, elle était toujours animée d’un sentiment de chaleureuse camaraderie.
Le 28 mai dernier, Celia avait participé à une grande réunion publique sur les révolutions cubaine et vénézuélienne, qu’elle avait co-organisée avec la TMI. Le jour suivant, elle prit la parole à l’une de nos réunions sur La Révolution Trahie. A ma connaissance, ce fut sa dernière réunion publique. Mais nous avions prévu d’organiser avec elle, en février prochain, une réunion sur mon livre Réformisme ou révolution, lors du Festival du livre de la Havane.
Malheureusement, Celia ne sera pas parmi nous. Un tragique accident nous a volé cette camarade et cette amie si chère. Mais sa mémoire vit dans le cœur et dans l’esprit de tous ceux qui l’ont connue. Surtout, les idées qu’elle défendait vivent et se renforcent chaque jour un peu plus. C’est l’hommage que Celia aurait voulu.
Salut, camarade Celia ! Nous poursuivrons la lutte !
Hasta la Victoria Siempre !
Alan Woods, le 8 september 2008