Né à Moscou, installé à Paris, j’adhère au PCF… et découvre les écrits de Trotsky !

Né à Moscou en 1965, j’ai vécu en Union Soviétique jusqu’en 1985. J’ai fait mes études à l’Université d’Etat de Moscou. Depuis le XXe congrès du PCUS, en 1956, on ne nous enseignait plus certaines contre-vérités grossières, comme celle qui attribuait à Staline un rôle de premier plan dans la révolution de 1917 et la guerre civile. Ceci dit, la ligne officielle allait dans le sens d’une certaine réhabilitation de Staline. Surtout, nos manuels d’histoire faisaient toujours référence à Léon Trotsky comme à un anti-bolchevik qui avait lutté contre la paix de Brest-Litovsk, et qui s’était rendu coupable de l’idée « folle » de la « révolution permanente ». On dénonçait aussi ses prétendues tendances à la « terreur ». Je me souviens que l’un de nos professeurs d’histoire nous disait que les idées de Trotsky avaient connu leur réalisation pratique en Chine, lors de la révolution culturelle et la terreur qui a suivi.

On nous enseignait Le testament politique de Lénine – car ce bolchevik faisait toujours référence –, mais la censure en « omettait » certains passages, dont celui où Lénine écrit, au sujet de Trotsky : « personnellement, il est incontestablement l’homme le plus capable du Comité Central actuel ». Cela changeait radicalement l’appréciation que l’on se faisait de Trotsky.

L’histoire officielle, telle qu’on nous l’enseignait, ne correspondait pas à ce que me disaient mes grand-parents, qui avaient vécu la révolution de1917 et la guerre civile. Mon grand-père, issu d’une famille très pauvre, avait adhéré au Parti Bolchevik au cours de la révolution de 1917. Pendant la guerre civile, il fut d’abord Garde Rouge, avant de se voir confier l’animation politique d’une troupe de théâtre qui faisait de l’agitation auprès des soldats de l’Armée Rouge.

Mes grand-parents me racontaient qu’à l’époque de la révolution d’Octobre et de la guerre civile, Lénine et Trotsky étaient les personnalités les plus connues de la population. Mon grand-père ajoutait que Trotsky était un remarquable orateur. Il disait aussi qu’à cette époque révolutionnaire, la presse était d’une remarquable honnêteté. Pendant la révolution russe, la presse communiste était l’expression de la démocratie populaire. Dans la Révolution Trahie, Trotsky parle de l’époque révolutionnaire en ces termes : « Tant que la dictature eut l’appui des masses et devant elle la perspective de la révolution mondiale, elle ne craignit pas les expériences, les recherches, la lutte des écoles, car elle comprenait qu’une nouvelle phase de la culture ne pouvait être préparée que dans cette voie. Toutes les fibres du géant populaire frémissaient encore ; il pensait à haute voix, pour la première fois depuis mille ans. »

En URSS, deux événements majeurs étaient à l’honneur : la révolution d’Octobre 1917 (célébrée le 7 novembre) et la naissance de l’Armée Rouge, le 23 février de 1918. Or, à l’époque on ignorait que le nom de Trotsky est lié de près à ces deux événements. En 1917, Trotsky présidait le Comité Militaire Révolutionnaire qui prépara l’insurrection d’Octobre et la prise du palais d’Hiver. Commissaire du peuple à la guerre de 1918 à 1922, il fut également le créateur et le dirigeant de l’Armée Rouge.

La réalité de la vie en URSS était contrastée. Il y avait à la fois de grands acquis sociaux, comme la gratuité des soins médicaux, l’éducation gratuite, obligatoire – et, malgré tout, d’un bon niveau –, et le travail pour tous, c’est-à-dire le plein-emploi effectif. Mais en même temps, il n’y avait pas d’élections : les soviets ne détenaient pas le pouvoir. Comme un relent du régime tsariste, l’anti-sémitisme sévissait, par exemple sous la forme de discriminations à l’embauche pour certains métiers ou dans le domaine de la promotion dans les instances politiques. L’antisémitisme se déversait même dans la presse, qui, officiellement, faisait profession d’internationalisme. La discrimination est un fléau connu dans tous les pays capitalistes, mais il était choquant de la voir fleurir dans un Etat ouvrier.

Je suis arrivé en France en 1985. Désabusé par mon expérience du « communisme » officiel, je ne songeais pas à m’engager politiquement, dans un premier temps. Je croyais même aux bienfaits d’un capitalisme « à visage humain ». Mais la réalité de la vie et du capitalisme français m’ont poussé à adhérer au PCF, en 1988. Cependant, je n’ai découvert les écrits de Trotsky qu’en 2006, grâce aux camarades de La Riposte. Le premier livre que j’ai lu est La Révolution trahie, qui m’a fait une très grande impression.

Dans ce livre, Trotsky fournit une explication à la dégénérescence bureaucratique de l’Union Soviétique. Après la révolution, l’URSS était un Etat ouvrier isolé, où la classe ouvrière était largement minoritaire face à la paysannerie, qui représentait 90% de la population. Le salut ne pouvait venir que de la victoire des travailleurs dans un pays avancé. Mais cette victoire n’eut pas lieu. La défaite des révolutions allemandes de 1918 et 1923, en particulier, fut déterminante. L’isolement de la révolution russe dans des conditions d’extrême arriération économique et culturelle a permis à la bureaucratie d’usurper le pouvoir. Les années staliniennes furent accompagnées de l’élimination des révolutionnaires de toutes les instances du pouvoir.

Trotsky notait dès son époque que le capitalisme ne se contenterait pas d’une demi-victoire sur le communisme, c’est-à-dire d’avoir à faire à un « Etat ouvrier défiguré ». Le capitalisme avait besoin de la victoire totale, c’est-à-dire de la restauration du capitalisme en Russie. La justesse des analyses de Trotsky est aujourd’hui évidente. Il écrivait aussi que la restauration du capitalisme s’accompagnerait d’un spectaculaire effondrement économique et culturel. C’est exactement ce qui s’est passé. En 2000, la production industrielle de l’économie russe était tombée à 60 % du niveau de l’époque soviétique, et le recul fut tout aussi effroyable dans les autres Républiques de l’ex-URSS. Cette chute s’est accompagnée d’une réaction noire dans le domaine de la pensée politique : « les idées marxistes sont fausses ; la classe ouvrière ne peut pas construire de société sans classes ; il faut des riches et des pauvres, etc. » L’obscurantisme religieux, le racisme et l’anti-sémitisme ont explosé. Comme me l’écrivait tristement l’un de mes amis russes, tout ceci ressemblait à « un incendie dans une maison de fous ».

Dans La Révolution Trahie, il y a le passage suivant, sur la jeunesse : « Tout parti révolutionnaire trouve de prime abord un appui dans la jeune génération de la classe montante. La sénilité politique s’exprime par la perte de la capacité d’entraîner la jeunesse. » Lorsque j’ai lu ces lignes pour la première fois, je me suis souvenu de tous ces jeunes ambitieux que j’ai connus, en URSS, et pour lesquels la politique se réduisait à la perspective de « faire carrière ». Les idées révolutionnaires n’étaient bonnes, à leurs yeux, que pour les réunions publiques. Il suffisait d’entendre en privé nos dirigeants de la Jeunesse Communiste pour comprendre qu’ils n’y croyaient pas. Chez eux, le cynisme dominait, et quelques-uns étaient tout simplement xénophobes et antisémites. Rebutés par cette atmosphère étouffante, les jeunes les plus honnêtes ne poussaient pas leur engagement politique très loin.

De son coté, la bureaucratie veillait à ne promouvoir que des jeunes à son image. Rien d’étonnant si tous ces jeunes ambitieux ont épousé les idées ultra-libérales, après la chute de l’URSS !

Les citoyens d’URSS qui partaient à l’étranger devaient signer une charte du « comportement d’un Soviétique en dehors du pays », dans laquelle un paragraphe interdisait formellement aux citoyens soviétiques de participer à des manifestations politiques, même celles organisées par les Partis Communistes étrangers. Pour certains, cela ne posait aucun problème. Mais on peut imaginer le trouble de tous ceux qui croyaient en la solidarité communiste internationale. On demandait aux Soviétiques de se méfier des communistes occidentaux, sous prétexte que ces derniers subissaient la propagande capitaliste, et n’étaient donc pas très « sûrs ». Les bureaucrates qui nous dictaient ces ordres ont depuis longtemps tourné leurs vestes : ils servent avec ferveur les capitalistes ! Lorsque je vivais en Union Soviétique, il était devenu évident que la bureaucratie se sentait attirée par le style de vie et les privilèges des classe capitalistes occidentales.

La confrontation des idées et le débat politique n’étaient pas du goût de la bureaucratie. Certes, la répression de masse, avec ses déportations et ses exécutions massives, s’est arrêtée avec la mort de Staline. Le XXe Congrès du PCUS a lavé bon nombre de bolcheviks des accusations staliniennes – sauf Trotsky, auquel l’histoire officielle continua d’attribuer des idées et une stratégie aventuristes et, au final, contre-révolutionnaires. C’est sans doute parce que ses idées continuaient de porter préjudice à la bureaucratie et à son pouvoir. Trotsky continuait d’incarner la possibilité que les ouvriers soviétiques se mettent en mouvement pour réclamer la sauvegarde des acquis de la révolution d’Octobre et le pouvoir des soviets. Ses écris étaient interdits, car ses idées pouvaient donner matière à réflexion à la classe ouvrière et aux intellectuels de gauche, qui ne souhaitaient pas le retour pur et simple du capitalisme – et qui sont aujourd’hui les victimes de sa restauration.

Sur ce point, le capitalisme mondial et la bureaucratie avaient les mêmes intérêts, et c’est finalement la bureaucratie qui a restauré le capitalisme, exactement comme le prédisait Trotsky, dans l’hypothèse où la bureaucratie parviendrait à se maintenir au pouvoir.

En conclusion, je dirais que la justesse de l’analyse de Trotsky vient du marxisme lui-même, dont Trotsky a simplement – mais avec génie – appliqué la méthode aux événements de son époque. C’est un argument efficace à opposer à tous ceux qui prétendent que le marxisme est mort. La force du marxisme, c’est la méthode scientifique appliquée à l’évolution de la société. Armé de cette méthode, je suis confiant dans le fait que la classe ouvrière renversera le capitalisme et le remplacera par une société sans classes.

Kassim Ben Hamza (PCF Paris 18)

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