“Le processus de Matignon” s’enlise

Les Corses sont une minorité nationale dont les droits linguistiques et culturels doivent être rigoureusement défendus par la gauche. Mais l’indépendance de la Corse est un leurre réactionnaire. Les salariés et les petits exploitants agricoles, en Corse, font face aux mêmes problèmes que ceux de la France métropolitaine. Tous ont intérêt à lutter ensemble contre le capitalisme.

Le socialisme s’oppose à toutes les formes d’oppression, y compris l’oppression des nationalités et des minorités nationales. Or, on ne manque pas de politiciens ô combien “républicains”, à droite comme à gauche, qui nient jusqu’à l’existence même du peuple corse en tant que minorité nationale. La Corse fait partie de la France, affirment-ils, et par conséquent les Corses sont des Français, qu’ils le veuillent ou non. La révolution n’avait-elle pas créé une république “une et indivisible” ? Toute personne qui affirme l’existence d’une identité nationale corse serait un “nationaliste” ou ferait de “l’ethnicisme”.

La situation est pourtant claire. Le peuple corse existe bel et bien. Ce peuple a sa propre langue, sa propre culture et occupe un territoire distinct. Il s’agit donc bien d’une minorité nationale. La Corse fut effectivement colonisée par Gênes, puis par la France, qui l’a achetée à Gênes et qui a finalement imposé sa domination par la force des armes. Tout au long de leur histoire, les Corses ont dû subir de multiples humiliations entre les mains de leur puissant voisin. Sous le contrôle de la France, les Corses ont subi des discriminations méprisantes à l’encontre leur langue et leur culture. Dans la première moitié du 20ème siècle, le chômage et la pauvreté ont mené au dépeuplement de l’île. Pendant la deuxième guerre mondiale, elle était occupée par les forces de Mussolini. Chaque récession économique frappait la Corse plus durement que la France métropolitaine. La Corse a dû attendre les années 80 avant d’avoir son université. C’est précisément cette histoire de colonisations successives et de détresse économique et sociale qui a nourri le sentiment national et l’esprit de résistance du peuple corse, et qui a créé une réserve d’amertume et de ressentiment dirigés contre le pouvoir centralisateur des régimes réactionnaires qui se sont succédés à Paris depuis la révolution de 1789.

La Corse est aujourd’hui frappée par les mêmes fléaux sociaux qui sévissent en France métropolitaine. La population de l’île a plus que sa part du chômage, de l’insuffisance de moyens à l’école et dans les services publics, et de l’aggravation des inégalités sociales en général. Les habitants de l’île subissent eux aussi les conséquences des privatisations et de la précarité galopante. Est-il donc surprenant, dans ces conditions, et compte tenu de l’histoire de l’île, qu’une partie considérable de la population d’origine corse ait des idées autonomistes ou séparatistes ?

Ce n’est pas par un hasard si le nationalisme a commencé à s’enraciner en Corse à partir du milieu des années 70. Car c’est précisément à cette époque qu’a pris fin la période de croissance économique de l’après-guerre, que les économies des pays industrialisés plongeaient subitement dans la crise et que le chômage de masse apparaissait pour la première fois depuis la Grande Dépression des années 30. Mais il y une autre cause, non moins importante, de la résurgence du nationalisme en Corse à cette époque : la faillite politique des partis de gauche traditionnels, et notamment du Parti Communiste Français. Incontestablement, bon nombre des jeunes Corses qui ont rallié le FLNC à ses origines l’ont fait par réaction à la politique de la direction stalinienne du PCF, qui n’avait pas voulu saisir l’occasion révolutionnaire créée par la grève générale de 1968. Parce que le PCF bloquait la route à un changement fondamental de la société, l’énergie révolutionnaire de cette jeunesse a dérivé dans les canaux du nationalisme.

Le socialisme et le nationalisme sont incompatibles

Si nous sommes contre toutes les formes d’oppression nationale, nous sommes aussi implacablement opposés au nationalisme. Pour les gens à la recherche d’une alternative à la politique du PCF et au du PS, le nationalisme corse s’est avéré être une impasse. L’idéalisme a fini par faire place à l’affairisme. La dégénérescence mafieuse et réactionnaire des différentes fractions du camp nationaliste, le recours au terrorisme individuel et aux assassinats crapuleux, et les relations politiques et financières avec les partis de droite en témoignent. Le FLNC et ses diverses excroissances ont tué bien plus de nationalistes rivaux que d’adversaires déclarés. Le livre Pour solde de tout compte dont l’un des auteurs, le nationaliste Jean-Michel Rossi, a depuis lui aussi été lâchement assassiné, dresse un tableau assez éloquent de l’état de déliquescence mafieuse du milieu des combattants nationalistes. Les nationalistes font tout pour semer la division entre Corses et non-Corses. Ils ont créé un syndicat étudiant “corse” par exemple. En effet, chaque grève unitaire, chaque lutte commune des étudiants ou des travailleurs corses et non-corses ne pouvait que diminuer le fonds de commerce politique des nationalistes.

Le “processus de Matignon” engagé par Jospin depuis le fiasco du préfet Bonnet est voué à l’échec. Abstraction faite de son emballage politico-diplomatique, le “processus” vise à acheter une trêve définitive aux terroristes au prix de diverses concessions, et notamment par l’octroi d’importants pouvoirs réglementaires et législatifs à l’Assemblée corse. Celle-ci étant dominée par la droite, cela permettrait d’ouvrir un champ d’affaires suffisamment profitable et attrayant aux commanditaires d’attentats pour faire taire les armes. Du moins, tel est le “pari” de Jospin.

Deferre et Joxe, avec la même démarche, ont tous deux échoué

En 1982, le Ministre de l’Intérieur Gaston Deferre a préparé une loi sur le statut particulier de la Corse. Une trêve a été décrétée par le FLNC. Deferre avait assorti sa loi d’une amnistie qui englobait jusqu’aux crimes de sang. Peu de temps après, les attentats avaient repris de plus belle. En 1989, une nouvelle loi d’amnistie et un nouveau statut pour la Corse, sous l’égide de Pierre Joxe, ont été voté. Le mois suivant, les assassinats avaient repris. Pourquoi en serait-t-il autrement cette fois-ci ? En fait, sans attendre la fin des négociations, les assassinats et les attentats ont continué, et ce même pendant le “processus de Matignon”. Qu’en sera-t-il après ? Qui plus est, José Rossi (DL), l’un des principaux soutiens de Jospin sur cette question, a été mis en examen et a essuyé un échec électoral cinglant. Baptiste Canonici, un autre partisan du “dialogue” avec Matignon, a pris la fuite, soupçonné d’être impliqué dans l’assassinat du jeune nationaliste Joseph Defenzo.

Naturellement, Jean-Pierre Chevènement n’avait pas envie d’être associé à cette démarche. Il estime que les concessions faites à la droite et aux nationalistes seront sans effet, et qu’elles pourraient même, au contraire, encourager le terrorisme. En cela, il a raison. Mais Chevènement n’a proposé aucune alternative sérieuse. D’ailleurs, avant le lancement du “processus de Matignon”, ses propres méthodes n’avaient pas plus de succès que celles de Jospin.

Le socialisme et la question de la langue corse

Pour permettre aux dirigeants nationalistes d’obtenir quelque chose dont ils puissent se vanter, Jospin est allé jusqu’à proposer que l’enseignement de la langue corse soit obligatoire, sauf en cas de dérogation accordée à la demande des parents. Cette mesure contient en elle le germe de nouvelles frictions entre les communautés. L’ex-ministre Claude Allègre, comme s’il voulait nous rappeler à quel point il est obtus, insiste sur la nécessité de rétablir “l’ordre républicain” en Corse, et écrit dans L’Express du 7 septembre dernier que “Dans la République, il y a une langue obligatoire, le français, un point c’est tout. C’est la langue commune, l’un des ciments de la République.” Mais pourquoi donner à une langue la priorité sur une autre ? Il n’y a nul besoin d’une langue “obligatoire” ou “officielle”. En Corse, toute personne voulant recevoir son éducation en langue corse, et même exclusivement en langue corse, devrait pouvoir le faire. Pareillement pour la langue française. Les deux langues doivent être mises sur un pied d’égalité, et ceci dans tous les domaines de la vie sociale et administrative. Par exemple, une personne comparaissant au tribunal devrait pouvoir s’exprimer en langue corse si elle le souhaite. Ce n’est que lorsque le choix de la langue relèvera réellement d’une libre décision individuelle que cette question cessera d’être conflictuelle.

Il faut éliminer toute priorité donnée à l’une des deux langues sur l’autre. Les moyens matériels et techniques disponibles de nos jours rendent cet objectif tout à fait réalisable. De la même façon, les différentes manifestations de la culture spécifiquement corse doivent se trouver sur un pied d’égalité avec celles que l’on peut considérer comme françaises. Claude Allègre veut “cimenter la République”. C’est son problème. Le nôtre, c’est de cimenter l’union et la solidarité entre les travailleurs et les jeunes de tous les peuples et de toutes les origines dans une lutte commune contre le capitalisme. C’est précisément pour faciliter cette union que nous devons éradiquer tout avantage administratif d’une langue sur l’autre.

“Prisonniers politiques” et assassins crapuleux

Les nationalistes revendiquent une amnistie et la libération des “prisonniers politiques”. Notre attitude sur cette question doit être déterminée au cas par cas. Dans le cas des personnes qui auraient véritablement commis des actes illégaux, mais dictés par de sincères idéaux, le mouvement syndical, socialiste et communiste peut accepter de mener campagne pour la levée des poursuites pénales à leur encontre ou, si elles sont incarcérées, pour leur libération. Cependant, rien ne nous oblige à demander une amnistie pour les éléments cyniques et crapuleux qui tuent et détruisent à des fins criminelles et sous prétexte d’une quelconque “lutte armée”. Une commission d’enquête mise en place par le mouvement syndical pourrait éventuellement distinguer les uns des autres.

“Une et indivisible” Vraiment ?

Si nous nous opposons au séparatisme, c’est n’est pas du point de vue de ces socialistes bleu-blanc-rouge, qui y voient un danger pour la “république”. Les politiciens, en France, y compris à gauche, ont développé une technique si bien rodée qu’elle est devenue chez eux une sorte de réflexe pavlovien. Elle consiste en l’évocation solennelle d’une république idéalisée et
supra-historique, qui n’a évidemment jamais existé, mais qui permet de masquer leur soutien à la très réelle république capitaliste actuelle, celle qui est venue au monde par le coup d’État militaire de 1958, qui n’est pas “une et indivisible”, mais qui incarne au contraire la division de la société en classes dont l’une exploite l’autre et qui n’est, par conséquent, qu’un misérable simulacre de démocratie.

Pour notre part, nous sommes contre l’indépendance de la Corse parce que ce n’est qu’un leurre réactionnaire pour les salariés et les agriculteurs modestes de l’île, un leurre auquel la vaste majorité d’entre eux s’oppose. Une Corse indépendante pourrait, effectivement, être un lieu plus “libre” pour les capitalistes, pour les mafieux, les racketteurs, et pour ceux qui ont besoin de “paradis” fiscaux. Mais le salariat, par contre, n’a strictement rien à y gagner. Les militants des partis de gauche et des syndicats doivent au contraire lutter pour renforcer les liens entre les salariés et les jeunes de l’île et ceux du reste de la France. En Corse ou en France métropolitaine, les travailleurs font face aux mêmes problèmes, et le plus souvent aux mêmes employeurs. Notre programme n’est pas celui du séparatisme mais d’une France socialiste et d’une Fédération européenne Socialiste.

La Rédaction

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