Le Naufrage de l’Erika : la rentabilité avant tout

Avec quatre cent kilomètres de côtes abîmées, une pollution maritime et terrestre extrêmement grave et durable, jusqu’à 500 000 oiseaux de mer meurtris, des entreprises plongées subitement dans la faillite et des milliers d’emplois détruits, le naufrage de l’Erika est une catastrophe à la fois sociale, économique et écologique.

Le naufrage, dont les conséquences ont été minimisées par les pouvoirs publics et bafouées avec une indifférence stupéfiante de la part de TotalFina, a permis d’avoir un petit aperçu du fonctionnement de ce monde horrible d’affairisme quasi mafieux qui caractérise les secteur du transport maritime et pétrolier.

Jusqu’en mi-janvier, les enquêtes en cours n’ont toujours pas permis d’identifier le propriétaire du navire. Le dernier propriétaire signalé remonte à 1994, et l’armateur grec nie avoir été le propriétaire réel.

Le rapport publié par le Bureau Enquêtes Accidents (BEA), un organisme créé par Georges Gayssot en 1997, souligne l’opacité du monde des transports maritimes. Tout en s’avouant incapable de démêler tous les circuits plus ou moins occultes qui s’entrecroisent dans le secteur maritime, le BEA a néanmoins dévoilé, du moins partiellement, un catalogue d’astuces et de détournements bien profitables aux capitalistes concernés.

Les contrôles techniques des bateaux sont souvent douteux, se limitant généralement à un simple coup d’œil sur des documents parfois trafiqués. Les faiblesses de structure ou de fonctionnement qui sont effectivement signalés, comme celles de l’Erika, sont fréquemment classées sans suite par les propriétaires.

L’utilisation de pavillons de complaisance permet de contourner les réglementations existantes. Sur l’ensemble des navires commerciaux maltais, près de 20% ont dû être immobilisés en raison de diverses défaillances, contre une moyenne européenne de 6%. Idem pour les navires chypriotes. Les bateaux à “simple coque”, comme l’Erika, notoirement dangereux, sont interdits dans les ports américains.

L’organigramme des différents intervenants liés à l’Erika est révélateur. L’affréteur, TotalFina, travaille avec un courtier à Londres. Ce courtier est en rapport avec une entreprise dénommée Amarship, basée à Lugano, qui, à son tour, est l’agent commercial d’une autre entreprise, Selmont International. Cette dernière affrète l’Erika et en cède l’utilisation à TotalFina en tant que “sous-affréteur”. La gestion dite “technique” du bateau était assurée par une firme italienne, Panship, qui s’est adressée à une société indienne, HMS, pour le recrutement de l’équipage !

Conscients des conséquences potentiellement catastrophiques de leur négligence, les capitalistes qui dominent les transports maritimes ont pris l’habitude de se cacher derrière plusieurs niveaux de sociétés “écrans” afin d’éviter des ennuis en cas de naufrage. Ce qui explique la difficulté à identifier le propriétaire de l’Erika.

Le propriétaire apparent de l’Erika est Tevere Shipping, une “coquille vide” aux propriétaires fantômes. TotalFina le savait, forcément. Elle savait aussi dans quel l’état était l’Erika, d’autant plus que Shell, une multinationale qui n’est pas réputée pour ses scrupules en la matière, a refusé d’affréter le navire pour cause de non-conformité.

Le fait que le produit transporté par l’Erika est parmi les moins coûteux de sa gamme, a sans doute influencé le choix du transporteur. Les risques sont calculés en fonction de la valeur de la marchandise transportée. Les produits “bruts” ont moins de valeur et sont aussi les plus polluants. Par conséquent, comme le précise le rapport du BEA, “force est de constater que les produits pétroliers les plus polluants sont transportés par les navires les moins sûrs.”

De manière générale, les bâtiments commerciaux qui sillonnent les mers et océans du monde sont en train de vieillir. Plus de 40% des navires ont plus de 15 ans, un âge au-delà duquel les risques d’incidents en mer augmentent fortement, puisque, dans le commerce maritime, 80% des naufrages à l’échelle mondiale concernent justement des bateaux de 15 ans ou plus.

Le mauvais état de l’Erika, un navire vieux de plus de vingt-cinq ans (oxydation des cloisons, très forte corrosion des ballasts) signifie qu’elle risquait fort de couler par temps d’intempéries, un risque pris sciemment par TotalFina et ses partenaires au péril de son équipage, de l’environnement naturel et de tous ceux dont la vie a été bouleversée par cette catastrophe.

Tout ce monde secret d’intermédiaires douteux, de sociétés fictives, de réglementations insuffisantes et bafouées, de propriétaires cachés, d’inspecteurs bidons et de pavillons de complaisance tourne autour de critères patronaux bien connus : minimiser les coûts, maximiser le profit !

Cette catastrophe n’est pas la première de son genre et ne sera certainement pas la dernière si des mesures efficaces ne sont pas prises. Depuis le naufrage, d’autres navires, en état de délabrement au moins aussi grave que celui de l’Erika, sont toujours en train de transporter régulièrement des produits dangereux.

C’est le cas, par exemple, du Santana III, en service depuis vingt-sept ans et dans un état extrêmement mauvais, qui a été chargé de produits chimiques hautement nocifs à Brest vers le 17 janvier. A noter qu’une partie de l’équipage du Santana III est en grève pour cause de non-paiement des salaires depuis vingt-trois mois !

Cette situation place fermement le mouvement syndical, socialiste et communiste de France devant ses responsabilités. On ne peut se limiter à dénoncer les faits, il faut présenter un programme d’action militante et socialiste pour y remédier.

La “libre entreprise” dans le domaine maritime et pétrolier, comme dans tant d’autres, a montré son vrai visage dans toute sa laideur. On ne peux pas faire confiance à des organismes dits “de contrôle” comme “Le Cèdre”, qui sont en fait aux ordres des multinationales pétrolières qui les financent. Cette situation exige la création d’une commission d’enquête syndicale, impliquant les syndicats des industries concernées par la catastrophe et les confédérations au niveau national.

Une telle commission pourrait aller au fond des questions posées par le naufrage et surtout mettre clairement en évidence les intérêts matériels de ceux qui sont derrière les négligences constatées.

Parallèlement à cette initiative, indispensable pour faire toute la lumière sur les implications politiques de cette affaire, nous devons mener campagne pour faire adopter des orientations réellement socialistes, par rapport à l’industrie pétrolière et le transport maritime, et par rapport à l’emprise grandissante des multinationales sur tous les aspects de la vie économique et sociale du pays.

Nous en avons assez de la dictature des grands actionnaires. Elf-TotalFina doit être nationalisée, avec indemnisation uniquement pour les actionnaires modestes. Mais il n’est pas question d’accepter une “nationalisation” à la manière de l’ancienne Elf-Aquitaine, avec ses responsables corrompus aux salaires énormes, ses milices en Afrique, ses liens avec des dictatures, ses politiciens soudoyés et ses porteurs de valise dont les “commissions” s’élèvent à des centaines de millions de francs.

Une nationalisation à caractère socialiste signifie la mise en place de structures démocratiques à tous les niveaux de l’entreprise, impliquant les syndicats de l’industrie, les confédérations syndicales, et le gouvernement, afin d’instaurer un contrôle rigoureux de la gestion interne, des méthodes de production et de transport, et des options stratégiques de l’entreprise, dans le respect des salariés du secteur et de l’environnement. Aucun contrôle démocratique et efficace de l’industrie n’est possible si Elf-TotalFina demeure la “chose” d’actionnaires avides de profit. L’industrie pétrolière doit devenir propriété publique, au service de l’ensemble de la population.

La Riposte

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