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Loi Duplomb, le poison de l’agro-industrie

La loi Duplomb, majoritairement co-écrite avec le syndicat agricole majoritaire, la FNSEA, suscite aujourd’hui de vives réactions aussi bien de la part des partis politiques, des agriculteurs, des syndicats, des scientifiques, des associations de santé publique et environnementales et des citoyens. Elle illustre parfaitement le rapport de force exercé par la classe capitaliste et les défenseurs du modèle agro-industriel. Et pour cause, derrière le but officiel de cette loi, censée répondre à la colère des agriculteurs qui s’est exprimée début 2024 et « lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur » (voir notre article sur le sujet), il s’agit plutôt en réalité de « lever les contraintes environnementales et sanitaires qui entravent le développement de l’industrie agro-alimentaire et l’enrichissement des propriétaires des grandes entreprises agro-industrielles ».

En effet, défendue par des élus et des défenseurs du modèle capitaliste agro-industriel, et dans la continuité des mesures proposées par le Premier ministre Gabriel Attal fin janvier 2024, cette loi prévoit un cocktail de mesures de régressions environnementales et sanitaires plus dévastatrices les unes que les autres.

La mesure la plus controversée est notamment celle du recul de la réglementation avec l’autorisation de recours à l’acétamipride, ce pesticide de la famille des néonicotinoïdes, interdit en France depuis 2018. Cette interdiction faisait suite à des avis scientifiques, notamment de la Task Force on Systemic Pesticides, fondée sur la revue de plus de 1000 articles scientifiques pointant les effets dévastateurs de ces pesticides sur la santé humaine et l’environnement, mais toujours autorisé en Europe jusqu’en 2033. Ce pesticide est réclamé entre autre par les producteurs de betteraves (la France était le premier producteur de sucre de betterave et bioéthanol en Europe jusqu’en 2022) qui estiment n’avoir aucune alternative contre les insectes ravageurs suite à l’interdiction de l’acétamipride et subir une concurrence déloyale de la part des autres pays producteurs qui utilisent ce pesticide et exportent leurs productions vers la France. Par ailleurs, la filière de la betterave, stratégique pour le marché français, est actuellement fragilisée par l’importation massive de sucre ukrainien dont les volumes ont considérablement augmenté sur le marché européen depuis 2022, avec la levée des droits de douane et des quotas d’importation par l’Union Européenne en soutien à l’économie ukrainienne. Ou plutôt en soutien, non pas aux petites exploitations familiales ukrainiennes, mais à une dizaine d’agroholdings.

De son côté, la filière de la noisette avec sa coopérative Unicoque, leader du secteur en France, demande aussi la réintroduction du pesticide, afin de pouvoir tripler sa production d’ici 2030 face à une demande en hausse des grandes entreprises de l’agro-industrie qui produisent de la pâte à tartiner, du chocolat, de la confiserie et de la biscuiterie. Au-delà des enjeux sur le marché de la betterave et de la noisette, cette loi ne vise pas à répondre au malaise des exploitations les plus vulnérables, mais bien à la défense et aux intérêts premiers des grandes exploitations agricoles et des propriétaires français de l’agro-industrie, dont notamment ceux de l’industrie des pesticides. En effet, la France est le premier producteur européen de pesticides et le quatrième exportateur mondial, derrière la Chine, les États-Unis et l’Inde, principalement à destination de l’Europe, avec un excédent commercial largement positif (1,4 milliard d’euros). Aujourd’hui, quatre sociétés contrôlent 70 % du marché mondial : Syngenta (Suisse), Bayer (Allemagne), Corteva (États-Unis) et BASF (Allemagne), toutes implantées en France, principalement dans des activités de recherche, de production et de distribution. Phyteis, le lobby des pesticides en France mène un combat sans relâche contre l’interdiction de produire, stocker et faire circuler en France des pesticides interdits dans l’Union européenne en raison de leur toxicité. Le lobby œuvre depuis plusieurs années pour affaiblir les mesures prises dans l’évaluation et la réévaluation sur la dangerosité des pesticides sur la santé et la biodiversité. Il a par ailleurs déjà fait l’objet en 2023 d’une mise en demeure par le Président du Sénat notamment en raison d’un « chantage à l’emploi » et pour avoir transmis aux parlementaires « une estimation très exagérée du nombre d’emplois menacés » .

D’autres mesures en faveur de l’agro-industrie sont également incluses dans la loi facilitant la construction de méga-bassines, en présumant leur intérêt général majeur pour accélérer les procédures d’autorisation, favorisant le développement de l’élevage intensif en permettant l’agrandissement ou la création de bâtiments d’élevage intensif et affaiblissant l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) et l’Office Français de la Biodiversité (OFB). Face à cette situation où la colère légitime des agriculteurs, pris au piège du marché concurrentiel capitaliste, qui les oppose entre eux et les oblige à augmenter leur rendement et leur productivité ; face à cette contradiction flagrante du mode de production capitaliste où l’agriculture qui a pour but de nourrir les humains, est en réalité détournée de sa fonction première, au service du profit et de l’enrichissement d’une poignée de grands propriétaires, au détriment de la santé humaine, animale et des écosystèmes ; face à ce rapport de force inéquitable exercé par ceux qui possèdent le pouvoir économique comme les firmes de production de pesticides ; plusieurs voix se lèvent.

Une lettre ouverte a été signée par 1279 médecins et chercheurs à l’adresse des ministres de la Santé, de l’Agriculture, du Travail et l’Environnement dans le cadre du débat parlementaire pour affirmer que « l’Impact des pesticides sur le vivant n’est plus à démontrer » et pour refuser « une mise sous tutelle de la science ». Ils dénoncent notamment la dépendance des agences placées sous la tutelle de l’État telle que l’ANSES  « aux données fournies par les industriels sans pouvoir réaliser de contre-expertise ». Selon eux, ce texte, qui veut « lever les contraintes du métier d’agriculteur », ne repose sur aucune base scientifique solide, et met en danger la santé des agriculteurs, de la population et des écosystèmes. « Et pour cause, rarement les politiques ont aussi peu écouté les chercheurs», déplore Sylvie Nony, historienne des sciences associée au CNRS. Les partis de gauche et écologistes dénoncent quant à eux un recul majeur en matière de santé et d’environnement, annonçant des recours au Conseil constitutionnel. À la colère des scientifiques s’ajoute une mobilisation citoyenne, à travers la pétition « Non à la loi Duplomb – Pour la santé, la sécurité, l’intelligence collective » lancée par une étudiante dénonçant « une attaque frontale contre la santé publique, la biodiversité, la cohérence des politiques climatiques, la sécurité alimentaire et le bon sens ». La pétition revendique l’abrogation immédiate de la loi Duplomb, la révision démocratique de ses conditions d’adoption, et une consultation citoyenne sur les sujets qu’elle soulève. À la date du 28 juillet 2025, la pétition a dépassé les deux millions de signataires, témoignant d’une forte opposition citoyenne. Bien plus que les 500 000 signatures nécessaires pour pouvoir envisager par la Conférence des présidents de l’Assemblée nationale, l’organisation d’un débat en séance publique sur cette pétition. C’est la première fois qu’une pétition citoyenne suscite autant de réactions. Ce succès a renforcé la pression sur le gouvernement et le Parlement, et conduit à la possibilité d’un débat en séance publique à l’Assemblée, qui pourrait avoir lieu après la rentrée parlementaire, mais sans vote final.

En complément de cette pétition, la Confédération Paysanne a déposé le 18 juillet une contribution extérieure auprès du Conseil Constitutionnel dénonçant le fait que cette loi ne sert ni l’intérêt des agriculteurs ni l’intérêt général. Malgré ces lettres de doléances, le gouvernement affirme que même s’il y a un nouveau débat, la loi sera promulguée. Le président de la République a même affirmé à l’issue d’un Conseil des ministres qu’il est dans l’obligation de promulguer la loi.

La loi Duplomb illustre une tension profonde entre deux visions de l’agriculture : l’une dont l’objectif premier n’est pas de nourrir mais de réaliser le maximum de profits, basée sur la monoculture, consommatrice en produits chimiques, qui pollue les milieux, s’accapare les ressources (eau, surfaces agricoles…), est inadaptée au changement climatique, qui contribue à l’effondrement de la biodiversité, à l’apparition de maladies chez les populations tant au niveau de la production que de la consommation, tout cela au service de l’enrichissement toujours plus insatiable d’une minorité d’individus, propriétaires de grandes exploitations ou des grandes entreprises qui dominent l’économie mondiale ; l’autre plus résiliente, plus adaptée au changement climatique, plus promotrice de santé, basée sur des modèles agroécologiques locaux, sobres, qui reposent sur la diversification des cultures, la réduction des intrants chimiques, la protection des sols vivants et le retour à des cycles agricoles plus naturels, mais dont le développement est aujourd’hui largement entravé dans le cadre de la société capitaliste.

La loi Duplomb ne répondra pas à la détresse des petits exploitants agricoles pris au piège au sein d’un modèle agro-industriel qui les appauvrit et les rend malades, ni à la principale revendication commune, celle d’avoir la garantie d’un revenu juste et digne. Mais elle met en lumière les contradictions entre les intérêts des firmes et des grandes exploitations agricoles, défendus de façon flagrante par l’ensemble des partis de droite, contre l’intérêt général qui s’exprime par la population pour le moment à travers notamment la pétition et les prises de positions des scientifiques. Compte tenu des enjeux de santé publique et des adaptations nécessaires pour faire face au changement climatique, il y a une urgence à débloquer tous les moyens nécessaires pour développer une alternative agroécologique de l’agriculture.

Mais cela ne pourra se faire sur les bases de la production capitaliste. Les firmes capitalistes vendent des semences, engrais, et produits « phytosanitaires ». Par ce biais, elles maintiennent sur les agriculteurs une relation de dépendance et de domination à leur encontre dans le seul et unique objectif de réaliser le maximum de profits. Telles sont les causes de la crise agricole et non les normes environnementales.

Tôt ou tard, toutes les expérimentations qui vont dans le sens d’une alternative au modèle agricole dominant se heurteront aux intérêts capitalistes. Les problèmes de santé publique, d’adaptation au changement climatique, de préservation de la biodiversité et de sécurité alimentaire ne devraient pas être suspendus aux intérêts des firmes. Les firmes prétendent se préoccuper de ces questions, avec des campagnes mensongères de « greenwashing », mais ne font qu’accélérer la crise agricole. En tentant de nous maintenir dans le mensonge, elles et leurs représentants politiques démontrent qu’ils nous font vivre dans une société déconnectée des réalités matérielles de la nature.

Cela doit cesser !

À l’ensemble des revendications portées par la confédération paysanne, les scientifiques, les associations, les ONG, les fédérations, les partis et les citoyens, une revendication indispensable doit être intégrée, celle de l’expropriation des propriétaires des grandes entreprises de l’agro-industrie, au regard des crimes contre le vivant et les écosystèmes qu’ils commettent.

CS

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