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La guerre Israël-Iran et l’illusion du changement de régime

La guerre déclenchée par Israël contre l’Iran le 13 juin dernier a, officiellement, pour but d’éradiquer le programme nucléaire et balistique de la République islamique d’Iran, qui aurait pu se doter d’ici deux ans de missiles nucléaires capables de frapper l’État hébreu.

Personne, en réalité, n’a jamais cru que l’Iran envisageait sérieusement de mener une frappe nucléaire contre Israël et la France et l’État hébreu sont bien mal placés pour reprocher à l’Iran de vouloir se doter de l’arme atomique.

L’hypocrisie des pays occidentaux

C’est la France, à la fin des années 1950, qui a en effet aidé Israël à développer son programme nucléaire afin de disposer d’un allié sûr au Proche-Orient face au régime de Nasser qui soutenait les indépendantistes algériens du FLN.

L’État israélien n’a jamais signé le Traité de non-prolifération nucléaire (TNP) et refuse catégoriquement que ses installations nucléaires militaires soient contrôlées par l’agence internationale de l’énergie atomique (AIEA). Israël disposerait aujourd’hui de 80 à 300 ogives nucléaires capables d’être transportées par les missiles balistiques Jéricho, des sous-marins et des avions.

Entré en vigueur en 1970 afin d’empêcher la propagation du nucléaire militaire, le TNP compte aujourd’hui 191 signataires, dont l’Iran. Les pays qui ont signé le traité et qui le mettent en œuvre s’engagent à ne pas développer d’armes nucléaires. Les signataires ont également des accords de garantie avec l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), qui peut mener des inspections dans les sites déclarés afin de vérifier que les installations du pays fonctionnent à des fins civiles. C’est le cas de l’Iran, qui applique une version standard et minimale de ces accords de garantie.

L’arme nucléaire est par définition une arme de chantage. Son possesseur envoie un message à la face du monde : « Si vous nous attaquez, nous sommes capables de vous infliger des dommages considérables. Nous n’hésiterions pas à détruire votre capitale et à tuer plusieurs millions de vos habitants ». Pour l’Iran, comme pour la Corée du Nord, l’arme atomique est une assurance-vie pour le régime, mais au contraire de la Corée du Nord qui est parvenue à se doter de plusieurs missiles balistiques pouvant servir de vecteur à l’arme nucléaire, l’Iran est toujours resté au seuil nucléaire.

L’argument de la lutte contre la prolifération nucléaire brandi par Israël pour justifier l’agression contre l’Iran est à l’évidence un faux prétexte. L’hypocrisie d’Israël et des États-Unis est d’autant plus sidérante que c’est bien Donald Trump, en 2018, qui a retiré les États-Unis de l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien, patiemment négocié par son prédécesseur Barack Obama et les diplomates européens, russes et chinois.

A la veille de l’attaque israélienne contre l’Iran, le même Donald Trump prétendait vouloir privilégier la négociation avec l’Iran et rebâtir un accord qui aurait été similaire à celui qu’il a enterré durant son premier mandat. Souvent Trump varie et bien fol qui s’y fie… Après avoir plaidé pour la négociation, le président américain, volant au secours de la victoire israélienne, a ordonné le bombardement des sites nucléaires iraniens dans la nuit du 21 au 22 juin.

En réalité, la guerre lancée par Israël contre l’Iran s’explique par des considérations de politique intérieure israélienne. La majorité de Benyamin Netanyahou ne tient qu’au soutien que lui accordent les partis d’extrême droite suprémacistes de Bezalel Smotrich, le dirigeant du Mafdal (parti sioniste religieux), ministre des Finances de l’État hébreu et d’Itamar Ben-Gvir, ministre de la Sécurité national et dirigeant du parti d’extrême droite Force juive. Obsédé par son maintien au pouvoir, cerné de toutes parts par les affaires de corruption qui se sont accumulées, Netanyahou utilise la guerre et « l’effet drapeau » qu’elle produit pour faire taire la contestation et rester au pouvoir.

Pendant des mois, la gauche israélienne a été inaudible. Alors que les victimes civiles se comptaient par milliers à Gaza et par centaines en Cisjordanie où la colonisation et les destructions de villages se poursuivent, le seul angle d’attaque contre la politique de Netanyahou a été celui du retour des otages. Les familles d’otages ne réclamaient jamais la fin de la logique de colonisation, elles dénonçaient le choix hasardeux des bombardements plutôt que de la négociation pour permettre le retour des otages capturés par le Hamas le 7 octobre 2023.

L’opinion publique avait cependant commencé à bouger après la fin de la trêve à Gaza, le 18 mars dernier, et la reprise des bombardements par Israël. C’est dans ce contexte que Netanyahou s’est lancé dans une nouvelle guerre contre l’Iran, dans l’unique but de faire taire les critiques contre son action et de provoquer un changement de régime.

L’illusion du changement de régime

Les exemples de l’Afghanistan, où les Talibans ont fini par reprendre le pouvoir après vingt ans d’engagement américain, de l’Irak où la chute de Saddam Hussein en 2003 a provoqué l’émergence de Daech et de la Libye, où l’État s’est effondré et où la guerre civile n’a pas cessé depuis la chute de Kadhafi à la suite de l’intervention occidentale de 2011 devraient pourtant tous nous alerter sur l’illusion d’un changement de régime apporté de l’extérieur, par les armes.

C’est Robespierre qui le disait déjà, lors d’un discours prononcé au club des Jacobins, le 2 janvier 1792, alors que la majorité de l’Assemblée législative envisageait l’entrée en guerre de la France contre l’Autriche afin de libérer les Pays-Bas autrichiens :

« La plus extravagante idée qui puisse naître dans la tête d’un politique est de croire qu’il suffise à un peuple d’entrer à main armée chez un peuple étranger, pour lui faire adopter ses lois et sa constitution. Personne n’aime les missionnaires armés ; et le premier conseil que donnent la nature et la prudence, c’est de les repousser comme des ennemis ».

Détesté, le régime des mollahs ne tient que par la terreur et la brutalité que font régner ses organes de sécurité et ses milices qui arrêtent, torturent et tuent une jeunesse urbaine éprise de liberté qui s’est soulevée à plusieurs reprises, comme en septembre 2022, lors du mouvement « Femme, vie, liberté ». A terme, la chute du régime et la révolution sont inévitables, mais l’agression israélienne pourrait paradoxalement servir les intérêts du régime.

Même les opposants au régime des mollahs condamnent une agression meurtrière qui a fait plusieurs centaines de morts civils et des milliers de blessés.

Ainsi, les communistes du Toudeh, qui ont accompagné la révolution iranienne de 1979 sur ordre de Moscou et ont même noué une alliance avec l’ayatollah Khomeiny avant de subir la répression en 1982 expliquent dans un communiqué :

« Le Parti Toudeh d’Iran, comme d’autres forces progressistes et populaires de notre pays, a toujours été partisan de la paix. Conformément à cette politique, nous appelons à des négociations transparentes, publiques et directes qui réduisent le coût de ces conditions catastrophiques pour le peuple iranien. Il ne faut pas oublier que le fait d’entraîner l’Iran dans des conflits militaires destructeurs pourrait avoir des conséquences désastreuses et durables pour notre patrie et le mouvement populaire, retardant de plusieurs années la lutte pour la liberté et la fin de la dictature. […] Le Parti Toudeh d’Iran condamne fermement l’agression militaire et l’acte terroriste israéliens, qui constituent une violation de la souveraineté nationale du pays. Réaffirmant son engagement à protéger les intérêts nationaux de l’Iran, il considère toute intervention militaire et agression étrangère comme contraire à la volonté, aux revendications et aux droits du peuple iranien. Seuls l’impérialisme, les forces alliées, la réaction et la tyrannie au pouvoir tirent profit des tensions et de la guerre. »

L’analyse du Toudeh est juste, mais que pèse le Toudeh, dont la plupart des dirigeants sont en exil, aujourd’hui, en Iran ?

La guerre lancée par Israël pourrait-elle remettre en selle la dynastie des Pahlavi, au pouvoir de 1925 à 1979 ?

Dans une vidéo publiée sur ses réseaux sociaux mardi 17 juin, Reza Pahlavi, fils aîné du dernier Chah d’Iran chassé du pouvoir en 1979, appelle à un « soulèvement de la nation pour mettre un terme définitif » au régime des mollahs et ajoute « Il est temps de reprendre le contrôle de l’Iran. Puissé-je être bientôt être parmi vous ».

Une partie de la jeunesse iranienne, qui n’a jamais connu le régime du Shah Mohammed Reza Pahlavi et sa redoutable police politique, la Savak, pourrait être séduite par un retour de la monarchie, dans un Iran démocratique, libéral… et aligné sur les Etats-Unis et Israël. C’est semble-t-il le calcul que certains font à Washington et à Tel-Aviv, au risque de déclencher un véritable chaos régional et une guerre civile.

Tétanisés par les bombardements israéliens, traumatisés par la brutalité de la répression qui a suivi le mouvement « Femme, vie, liberté » et en l’absence d’une véritable opposition politique crédible, les Iraniens ne sont certainement pas prêts à sortir dans la rue pour se débarrasser du régime qui les opprime.

Le changement de régime ne viendra pas des bombes israéliennes et américaines, mais des aspirations révolutionnaires du peuple iranien.

David NOËL

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