Et ça continue encore et encore …
13 ans après la fermeture des derniers hauts-fourneaux de Grandrange (2009) et Florange (2012), dans un contexte d’accélération des plans de licenciements des entreprises en France, ArcelorMittal, 1er grand groupe capitaliste de l’acier en Europe et numéro 2 au niveau mondial, a annoncé le 23 avril 2025, la suppression de 636 postes sur sept sites en France dont 295 sur son site de Dunkerque, l’une des plus importantes aciéries d’Europe. Cette décision intervient alors qu’ArcelorMittal a touché 300 millions d’euros d’aides publiques en 2023 et a versé 1,7 milliards de dividendes à ses actionnaires en 2024.
Pour justifier sa décision, le groupe parle d’un projet de réorganisation pour faire face à la crise de l’industrie européenne de l’acier en expliquant devoir « envisager des mesures de réorganisation pour adapter son activité au nouveau contexte du marché et assurer sa compétitivité future ».
En effet, la production d’acier européen est en déclin depuis plusieurs années. En moins de 20 ans, celle-ci a diminué d’1/3 en Europe et a perdu de sa compétitivité face à l’essor de l’industrie de l’acier des pays asiatiques. Dans cette guerre économique que se mènent les grands propriétaires de l’industrie de l’acier, les capitalistes chinois imposent désormais leur écrasante domination sur le marché mondial. La demande en augmentation sur son marché intérieur, l’abondance des ressources naturelles sur son propre territoire, sa main-d’œuvre sous-payée, des moyens de production plus modernes et plus efficaces et le soutien de son État capitaliste au développement de son industrie, a favorisé une forte production d’acier à des coûts de production relativement bas. L’industrie sidérurgique chinoise représente à elle seule plus de 50 % de la production mondiale et tire les prix du marché vers le bas. En 2024, 1,8 milliard de tonnes d’acier a été produit. La Chine à elle seule en a produit 1 milliard, l’Inde, 150 millions de tonnes, mais possède un potentiel de développement important. De son côté, l’Union européenne a produit moins de 130 millions de tonnes. Son coût de production est plus élevé notamment en lien avec le coût de l’énergie (17 % des coûts de production). La sidérurgie européenne est fragilisée par la guerre en Ukraine qui a fait flamber les prix de l’énergie nécessaire à la fabrication de l’acier. La hausse des droits de douane des États-Unis (25 %) sur l’importation de l’acier vient aussi compliquer la situation. Dans ce contexte des lois de la concurrence dans la société capitaliste, le président d’ArcelorMittal France a faussement qualifié cette concurrence de « déloyale », en reprenant par la même occasion les qualificatifs de l’extrême droite.
Dans cette bataille, les salariés, les syndicats et les partis de gauche tentent de créer un rapport de force avec les armes qu’ils ont à leur portée (revendications, grèves, manifestations, pétition, moratoire). La CGT porte un certain nombre de revendications auprès de l’État telles que l’interdiction des licenciements pour les entreprises qui font des bénéfices ou encore le conditionnement des aides prévues initialement par l’État à la suppression du plan de licenciements. La mobilisation des salariés et des syndicats, avec la médiatisation du mouvement et l’interpellation de l’État, a obligé le groupe à annoncer récemment ses « intentions » d’investir 1,2 milliard d’euros pour décarboner uniquement un des deux hauts fourneaux du site de Dunkerque, sans envisager d’investissements sur les autres sites du groupe en France.
ArcelorMittal tente de marchander avec l’État Français et l’UE via ces annonces, tout en confirmant les licenciements, pour les obliger à mettre en place des mesures protectionnistes en faveur de l’acier européen pour faire face à la concurrence chinoise. Pour la CGT comme pour le PCF, la meilleure solution est la nationalisation de l’entreprise. Compte tenu des revendications formulées lors des mouvements passées, qui se centraient plutôt sur l’option d’un repreneur privé, on ne peut que saluer l’évolution des revendications actuelles et soutenir le mot d’ordre de la nationalisation.
Cependant, il y a plusieurs façons d’envisager la nationalisation. Dans le cas présent, la position de la CGT semble peu consistante. D’un côté, sa secrétaire générale, Sophie Binet, parle de « transformer l’aide de l’État en entrée au capital, de façon à pouvoir peser sur les décisions stratégiques et reprendre en main la production de l’acier, centrale et stratégique pour la France et l’Europe ». De l’autre, elle demande « un moratoire sur les licenciements pour permettre aux salariés de construire des projets de reprise avec les pouvoirs publics pour garantir le maintien des capacités productives et de l’outil industriel ». S’agit-il d’une nationalisation où l’État prend seulement des parts dans l’entreprise pour tenter d’influer sur les décisions du propriétaire ou s’agit-il de permettre aux salariés de devenir propriétaires de leur entreprise avec le soutien de l’État ?
Par ailleurs, certains cadres du PCF comme le secrétaire départemental du PCF de Basse Indre Indre en Loire-Atlantique, Robin Salecroix, réagissent à la suppression des emplois en qualifiant cette décision de « trahison économique, sociale et écologique ». Cette réaction laisse à penser que sous le capitalisme, la situation pourrait en être autrement ? Or, dans ce système, l’État est en premier lieu au service de la défence des intérêts capitalistes et de son économie nationale. Les aides fournies par l’État ont pour objectifs de soutenir la compétitivité des entreprises industrielles implantées sur son territoire, en concurrence avec d’autres sur le marché mondial, ainsi que de maintenir ou développer une économie nationale elle-même en concurrence avec les autres pays. Les réactions des syndicalistes de la CGT confirment bien ce fait « quand on a entendu Macron parler hier à la télé, c’est comme si on avait en face de nous le patron du group Mittal », Lionel Burriello, délégué CGT ArcelorMittal Florange. Contrairement au parlement britanique, qui dans une situation similaire, a adopté une loi permettant au gouvernement de maintenir l’activité des deux derniers hauts-fourneaux du pays, en forçant le propriétaire chinois à la poursuite de l’activité sous peine de sanctions, Macron de son côté refuse la nationalisation !
Le retour du mot d’ordre de la nationalisation est une avancée dans la lutte syndicale et politique depuis ces dernières années. Celui-ci doit être l’occasion de faire prendre conscience aux salariés de la nécessité de reprendre en main leur outil de production et d’en assurer la gestion démocratique par eux-mêmes. Cependant la nationalisation d’une seule entreprise ne règle que partiellement et à court terme le problème, puisque celle-ci reste soumise aux lois de la concurrence et de la compétitivité sous le capitaliste. Elle risque, à terme, de fonctionner avec les règles de concurrence et de rentabilité du capitalisme, comme de devoir licencier des salariés ou de fermer. La nationalisation doit s’opérer sur l’ensemble d’un secteur industriel pour permettre de rompre avec cette logique de concurrence à l’intérieur de celui-ci et de se poursuivre à l’échelle européenne puis internationale avec une véritable planification démocratique de l’économie. En d’autres termes, il s’agit ni plus ni moins de la socialisation des moyens de production et d’échange.
Le contexte de déclin de l’acier européen qui entraîne actuellement des licenciements et des fermetures dans plusieurs pays pourrait être une opportunité pour diffuser ces idées auprès du salariat européen avec les mots d’ordre suivants :
« Urgence : nationalisons sans indemnisation des grands actionnaires et propriétaires des entreprises de l’industrie sidérurgique dans tous les pays européens »,
« Contrôle des entreprises nationalisées par les salariés »
« Salariés européens et de tous les pays, unissez-vous pour prendre le contrôle de votre outil de production ! ».
Nous vous invitons à signer la pétition du PCF « Pour la nationalisation d’ArcelorMittal »