L’insurrection irlandaise de 1916

L’insurrection irlandaise de 1916 était un désastre militaire. Le soulèvement a été écrasé et ses chefs exécutés par l’armée britannique. Cependant, elle a donné une impulsion au développement du mouvement révolutionnaire et anti-impérialiste en Irlande.

Au cours du XIXe siècle, la population, fragilisée par la pauvreté, a subi de terribles famines. De 1845 à 1847 les récoltes de pommes de terre ont été perdues. On estime que les famines de cette époque ont fait un million de morts et deux millions d’émigrés. Ces difficultés renforcent un sentiment contre les Britanniques, déjà fortement ancré dans la population. Le 24 avril 1916, le lundi de Pâques, le poète et révolutionnaire Patrick Pearse, avec 150 partisans, prenait d’assaut la poste centrale de Dublin. Depuis le perron, il a lu la proclamation suivante :

« Irlandais, Irlandaises ! Au nom de dieu et des générations mortes desquelles elle a reçu ses vieilles traditions nationales l’Irlande, à travers nous, appelle ses enfants à se rallier à son étendard et lance le combat pour sa liberté. […] Nous proclamons le droit du peuple d’Irlande, et au contrôle sans entraves de sa destinée, le droit à être souverain et indivisible. La République d’Irlande est en droit d’attendre, et d’ailleurs elle le requiert, l’allégeance de tous les Irlandais et Irlandaises. La République garantit la liberté religieuse et civile, les droits égaux et les mêmes chances pour tous les citoyens. […] A cette heure suprême, la nation irlandaise doit, par sa valeur, sa discipline, et l’acceptation par ses enfants du sacrifice pour le bien commun, prouver qu’elle est digne de la destinée auguste à laquelle elle est appelée ».

Dans le même temps, quatre bataillons d’Irlandais indépendantistes occupaient le centre de Dublin, creusant des tranchées, hérissant des barricades, mais sans pouvoir prendre le château de Dublin, siège du gouvernement britannique. 120 membres de l’Irish Citizen Army et 700 de l’Irish Volunteers Force défilent dans O’Connell Street à Dublin. Soudain, c’est la ruée et l’occupation de la Poste centrale, ainsi que de divers bâtiments stratégiques, tels le Mendicity Institute et les Four Courts (Palais de Justice), la biscuiterie Jacobs, les moulins Boland et la gare de Westland Row. Les chefs de cette action sont le marxiste et internationaliste James Connolly, Patrick Pearse, Tom Clarke, Sean MacDiarmada, Éamon de Valera et Joseph Plunkett ; Constance Markievicz dirige la brigade féminine de l’ICA. Des armes sont dérobées à l’armée britannique. Les femmes, de leur côté, amassent des vivres et des médicaments.

L’insuffisance du plan stratégique, le manque de soutien logistique et surtout des effectifs largement inférieurs en nombre ont condamné l’insurrection. Lorsque Pearse se rend, le samedi 29 avril 1916, plus de 450 personnes ont déjà trouvé la mort, dont 132 soldats et 64 insurgés, avec plus de 3000 blessés et 300 bâtiments endommagés ou détruits !

Plus de 16000 soldats – anglais, gallois, écossais et irlandais – appuyés même par l’artillerie, menèrent une répression impitoyable : 3430 hommes et 79 femmes sont arrêtés à Dublin et on arrive au chiffre de 5000 personnes si on comptabilise celles poursuivies en Angleterre et au pays de Galles. Les dirigeants sont jugés par des cours martiales qui prononcent 90 peines de mort.

Karl Marx, dès 1870, au moment où la demande d’autonomie législative irlandaise se fait jour, précisait : « L’Irlande est la citadelle de l’aristocratie terrienne anglaise. L’exploitation de ce pays n’est pas seulement la source principale de ses richesses matérielles. Elle représente sa plus grande force morale. L’aristocratie anglaise incarne en fait la domination de l’Angleterre sur l’Irlande. C’est pourquoi l’Irlande est le moyen essentiel par lequel l’aristocratie anglaise maintient sa domination sur l’Angleterre même.

D’autre part, si l’armée et la police anglaises abandonnaient demain l’Irlande, une révolution agraire s’y développerait aussitôt. Mais la chute de l’aristocratie anglaise en Irlande déterminerait et entrainerait inévitablement sa chute en Angleterre. Du même coup se trouveraient créées les conditions préalables d’une révolution prolétarienne en Angleterre.

Comme en Irlande la question agraire est jusqu’ici la forme exclusive qu’assume la question sociale, comme elle représente une question d’existence, une question de vie ou de mort pour la grande majorité du peuple irlandais, qu’elle est en même temps inséparable de la question nationale, la suppression de l’aristocratie terrienne anglaise en Irlande est une opération infiniment plus facile qu’en Angleterre même, sans parler du caractère plus passionné et plus révolutionnaire des Irlandais par rapport aux Anglais. »

Durant tout le XIXe siècle, des mouvements nationalistes ont secoué l’Irlande. En 1873, le Home Rule Act fut voté, donnant une assemblée aux pouvoirs très limités à Dublin. Cependant, elle ne remettait pas en cause la domination anglaise sur l’Irlande. Le développement de la classe ouvrière et du mouvement ouvrier irlandais a changé le caractère du mouvement révolutionnaire et indépendantiste. James Connolly disait que l’indépendance nominale de l’Irlande, si elle ne s’accompagnait pas de l’instauration d’une société socialiste, ne règlerait pas les problèmes des travailleurs irlandais.

En avril 1918, l’Angleterre décide de mettre en place la conscription en Irlande. Devant cette provocation la mobilisation se fait autour du Sinn Fein et de la lutte pour l’Indépendance. Aux élections de décembre 1918 le parti républicain obtient 73 des 105 sièges en Irlande et décide de siéger à Dublin et non à Londres. En janvier 1919, l’Assemblée proclame l’Indépendance, mais Londres s’y oppose violemment par une guerre de 1919 à 1921 pendant laquelle les survivants de Pâques 1916 créent l’Irish Republican Army (IRA) commandée par Michael Collins. Ce n’est qu’en décembre 1921 que le traité de Londres finalise la création de l’État libre d’Irlande, avec la partition de l’île – 26 comtés du sud ont le statut de dominion de l’empire britannique et 6 comtés du nord-est restant dans le Royaume-Uni. Ce n’est qu’en 1949 que l’Irlande au sud de l’ile deviendra la République d’Irlande.

L’insurrection de Pâques 1916 à Dublin a eu un grand retentissement international. Elle posait le problème de la lutte contre l’impérialisme dans les pays colonisés et la lutte pour le socialisme. Dans cette année qui précédait à la révolution russe de 1917, Lénine a évoqué l’expérience irlandaise dans les termes suivants : « Les opinions des adversaires de l’autodétermination aboutissent à cette conclusion que la viabilité des petites nations opprimées par l’impérialisme est d’ores et déjà épuisée, qu’elles ne peuvent jouer aucun rôle contre l’impérialisme, qu’on n’aboutirait à rien en soutenant leurs aspirations purement nationales, etc. L’expérience de la guerre impérialiste de 1914-1916 dément concrètement ce genre de conclusions […] il y a eu une insurrection en Irlande, et que les Anglais “épris de liberté”, qui n’avaient pas osé étendre aux Irlandais le service militaire obligatoire, y ont rétabli la paix par des exécutions […]

Dans un article consacré au soulèvement irlandais, intitulé “Finie, la chanson !”, l’insurrection irlandaise était qualifiée de “putsch”, ni plus ni moins, car la “question irlandaise”, y disait-on, était une “question agraire”, les paysans avaient été apaisés par des réformes, et le mouvement national n’était plus maintenant “qu’un mouvement purement urbain, petit-bourgeois, et qui, en dépit de tout son tapage, ne représentait pas grand-chose “au point de vue social”.
Il est permis d’espérer que, conformément au proverbe “à quelque chose malheur est bon”, beaucoup de camarades qui ne comprenaient pas dans quel marais ils s’enlisaient en s’opposant à l’autodétermination. […] On ne peut parler de “putsch”, au sens scientifique du terme, que lorsque la tentative d’insurrection n’a rien révélé d’autre qu’un cercle de conspirateurs ou d’absurdes maniaques, et qu’elle n’a trouvé aucun écho dans les masses. Le mouvement national irlandais, qui a derrière lui des siècles d’existence, qui est passé par différentes étapes et combinaisons d’intérêts de classe, s’est traduit, notamment, par un congrès national irlandais de masse, tenu en Amérique, lequel s’est prononcé en faveur de l’indépendance de l’Irlande ; il s’est traduit par des batailles de rue auxquelles prit part une partie de la petite bourgeoisie des villes, ainsi qu’une partie des ouvriers, après un long effort de propagande au sein des masses, après des manifestations, des interdictions de journaux, etc. Quiconque qualifie de putsch pareille insurrection est, ou bien le pire des réactionnaires, ou bien un doctrinaire absolument incapable de se représenter la révolution sociale comme un phénomène vivant.

Croire que la révolution sociale soit concevable sans insurrections des petites nations dans les colonies et en Europe, sans explosions révolutionnaires d’une partie de la petite bourgeoisie avec tous ses préjugés, sans mouvement des masses prolétariennes et semi-prolétariennes politiquement inconscientes contre le joug seigneurial, clérical, monarchique, national, etc., c’est répudier la révolution sociale. C’est s’imaginer qu’une armée prendra position en un lieu donné et dira “Nous sommes pour le socialisme”, et qu’une autre, en un autre lieu, dira “Nous sommes pour l’impérialisme”, et que ce sera alors la révolution sociale ! C’est seulement en procédant de ce point de vue pédantesque et ridicule qu’on pouvait qualifier injurieusement de “putsch” l’insurrection irlandaise.

Quiconque attend une révolution sociale “pure” ne vivra jamais assez longtemps pour la voir. Il n’est qu’un révolutionnaire en paroles qui ne comprend rien à ce qu’est une véritable révolution. La dialectique de l’histoire fait que les petites nations, impuissantes en tant que facteur indépendant dans la lutte contre l’impérialisme, jouent le rôle d’un des ferments, d’un des bacilles, qui favorisent l’entrée en scène de la force véritablement capable de lutter contre l’impérialisme, à savoir : le prolétariat socialiste. Le malheur des Irlandais est qu’ils se sont insurgés dans un moment inopportun, alors que l’insurrection du prolétariat européen n’était pas encore mûre. »

Laurent Gutierrez,

PCF Côte d’Or

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