Perspectives et tâches révolutionnaires pour la France

Nous publions ci-dessous le document « Perspectives et tâches révolutionnaires pour la France ». Il sera présenté et éventuellement amendé au prochain congrès de La Riposte qui se tiendra à Paris en mai 2015. Nous invitons les lecteurs et sympathisants de La Riposte à nous faire part de leurs commentaires et remarques concernant ce document. Leur point de vue ne peut qu’enrichir la discussion sur la situation économique, sociale et politique qui existe en France et sur les perspectives qui en découlent. Au cas où un texte alternatif serait présenté par des militants de La Riposte dans les semaines à venir, nous le publierons également, dans la même démarche d’ouverture et de discussion collective.

La France est enlisée depuis longtemps dans une crise  économique, sociale et politique. C’est une crise qui n’est pas uniquement française. Elle est européenne et mondiale. Depuis au moins 25 ans, la position mondiale de l’Europe – et donc de la France – s’affaiblit. Et dans le cadre de l’Europe elle-même, la France recule davantage. L’année 2008-2009 marque un tournant dans ce long processus. A partir de cette date, tous les indicateurs économiques et sociaux concernant la France connaissent un infléchissement radical vers le bas. L’industrie et l’investissement productif s’effondrent. Le commerce se contracte. Les revenus des ménages sont en baisse. Le chômage complet ou partiel atteint des proportions énormes, touchant désormais près de 6 millions de personnes. Pratiquement tous les travailleurs, avec ou sans emploi, subissent une dégradation progressive de leurs conditions de vie.

Les capitalistes, les travailleurs et les couches sociales intermédiaires sentent confusément qu’il ne sera pas possible de sortir de cette impasse au moyen de réformes superficielles, qu’un changement radical est nécessaire. Pour les capitalistes, le changement voulu n’est rien d’autre que la destruction de toutes les conquêtes sociales du passé. Les dépenses sociales, les salaires, les conditions de travail et les droits des travailleurs sont constamment attaqués et minés, soit par l’action des gouvernements, soit par les mécanismes implacables du système, parce qu’ils sont incompatibles avec l’enrichissement des capitalistes.

Le déclin économique et la régression sociale sont en train de préparer les conditions d’une nouvelle révolution, car aucun ordre social ne peut exister indéfiniment au détriment de la masse de la population. L’instabilité économique se traduit par une instabilité sociale croissante. La détérioration de son niveau de vie placera la classe ouvrière devant la nécessité d’en finir avec l’ordre capitaliste.

Pendant un certain temps, l’extension de l’Union Européenne et la restauration du capitalisme en URSS, en Chine et ailleurs ont ouvert de vastes champs d’investissement et sources de profit aux plus grands groupes industriels et bancaires. La croissance exponentielle du crédit injecte des masses monétaires colossales dans les circuits économiques, augmentant artificiellement la demande et la production. Mais ces facteurs ne pouvaient pas empêcher indéfiniment la saturation des marchés. La pénétration des marchés internationaux par la Chine ne pouvait se faire qu’au détriment des puissances occidentales. Une grave crise de surproduction touche toute l’Europe. Ses effets sont amplifiés par un surendettement massif des Etats. L’endettement de la plupart des Etats européens est hors de contrôle. Les méthodes « classiques » telles que l’augmentation des recettes fiscales et la contraction des dépenses ne suffiront pas pour résoudre ce problème, qui a pris une ampleur telle que, ne serait-ce que pour freiner la croissance de la dette – sans parler de la réduire – il faudrait accepter une destruction sans précédent des moyens de production et une offensive contre les conquêtes sociales de la classe ouvrière européenne beaucoup plus brutale que les politiques d’austérité actuellement en vigueur. La crise actuelle n’est donc pas une simple crise « cyclique ». Elle est la conséquence de l’épuisement et de la décadence du régime capitaliste. La croissance du PIB français tourne autour de zéro depuis des années. L’Italie a perdu plus de 10% de son PIB depuis 2008. La Grèce en a perdu au moins 25%.

Tout au long du 20esiècle, le poids spécifique économique de la France était en contradiction avec l’étendue de son empire colonial et sa position mondiale en général. Après la guerre de 1914-18, avec l’occupation de la Ruhr, et après 1945, l’impérialisme français a espéré que la mise sous tutelle ou la division de l’Allemagne lui permettrait de conserver une place de premier rang. Mais l’histoire de l’Europe a suivi une trajectoire différente. Aujourd’hui, l’Allemagne domine l’Union Européenne économiquement et politiquement. C’était déjà le cas avant sa réunification en 1989, mais l’écart entre l’Allemagne et les autres puissances européennes – dont notamment la France – s’est creusé encore plus vite depuis. La restauration du capitalisme dans les Balkans et en Europe Centrale, lui ouvrant de nouveaux marchés et de nouvelles sources de profit, n’a fait qu’augmenter son poids au sein de l’Union Européenne, reléguant définitivement la France à un rôle de second plan et exacerbant les tensions entre les deux pays.

L’instabilité sociale qui, pour l’heure, est surtout évidente en Europe « périphérique » – Grèce,  Portugal, Espagne, etc. – finira par gagner les grandes puissances. Malgré sa position dominante, l’Allemagne ne sera pas à l’abri de ce processus, puisque la contraction des économies de la France, de l’Espagne, de l’Italie, etc. tendent à réduire leurs capacités respectives d’absorption des exportations allemandes, qui représentent près de 50% de son PIB. Alors qu’ils imposent la régression sociale partout en Europe, les capitalistes essaient de dresser les travailleurs les uns contre les autres. Par exemple, puisqu’il n’y a que l’Allemagne qui puisse apporter les garanties financières nécessaires à la stabilité de l’euro, Merkel demande de façon démagogique pour combien de temps encore les travailleurs allemands devront accepter de travailler 40 heures par semaine jusqu’à 65 ans et subventionner en même temps les travailleurs « privilégiés » de la France, avec les 35 heures et des conditions de retraite plus avantageuses.

L’économie française

Depuis 2008, l’économie française affiche des taux de croissance proches de 0%. Le taux d’utilisation des capacités productives était de 85% en 2008, il est descendu à 72,2% en 2009, avant de remonter à 80,2% en 2013, puis stagner autour de 81% en 2014, soit près de 4 points en dessous de son niveau de 2008. Entre 1999 et 2013, la part du secteur manufacturier dans le PIB de la France est passée de 22% à 10% du PIB, à comparer à 22% pour l’Allemagne. La France perd du terrain non seulement sur le marché mondial, mais aussi dans l’Union Européenne et sur le marché intérieur. La balance commerciale de la France n’a jamais été positive depuis 2002 (+3,5 milliards). En 2013, elle affichait un solde négatif de 61 milliards, à comparer au solde positif de l’Allemagne de 199 milliards.

L’Etat s’est massivement endetté pour soutenir l’activité des capitalistes et payer les conséquences sociales du système. A la fin de 2011, la dette publique de la France se situait à 1717 milliards d’euros, soit 85,8% du PIB. Un an plus tard, elle était à 1834 milliards, soit 90,2% du PIB. La dette a donc pris 117 milliards d’euros en 12 mois, malgré une politique d’austérité. Fin 2013, la dette s’établissait déjà à 1912 milliards (93,4% du PIB), et fin juin 2014, elle avait déjà franchi la barre de 2000 milliards ! Cela signifie que la dette publique de la France est complètement hors de contrôle. Elle a atteint des proportions telles qu’il s’avérera impossible de les réduire sans provoquer un véritable effondrement économique. Cette situation ne peut pas continuer indéfiniment. A terme, les augmentations annuelles de cette importance aboutiront inéluctablement à une crise de solvabilité, qui se traduira par une contraction brutale de l’activité économique du pays.

La dette publique de la France augmente d’année en année de 100 à 150 milliards d’euros. Le gouvernement français doit trouver quotidiennement une somme se situant entre 800 millions et un milliard d’euros sur les marchés financiers. Les trois quarts de cette somme proviennent de prêteurs étrangers. La « confiance » de ces prêteurs est un enjeu crucial pour la stabilité économique et sociale du pays. En 2013, le taux d’intérêt imposé à la France était, en moyenne, de 2,3%. Même à ce taux très faible, le seul remboursement du capital emprunté plus le paiement des intérêts, appelé « service de la dette », représente le premier poste du budget de l’Etat, devant l’Education Nationale, les retraites et la défense. Une hausse des taux, même de faible ampleur, compromettrait gravement l’équilibre financier de l’Etat, avec de lourdes répercussions pour l’économie du pays.

Le gouvernement Hollande, comme celui de Sarkozy, se félicite des taux d’intérêt actuels historiquement bas et prétend que ceux-ci traduisent la confiance des investisseurs dans une France « sur la bonne voie ». Or, la faiblesse des taux tient, d’une part, à la politique des grandes banques centrales, qui injectent d’énormes quantités de liquidités dans les marchés financiers. Il faut pouvoir placer ces capitaux. D’autre part, comparée à l’Espagne et à l’Italie, toutes deux au bord de l’insolvabilité, la France fait office du « moindre mal » du point de vue des prêteurs, mais la menace d’une hausse des taux est utilisée pour obliger le gouvernement à s’attaquer davantage à tout ceque les capitalistes considèrent comme un obstacle à la rentabilité – Code du Travail, limitation de la semaine du travail, salaire minimum, travail du dimanche, allocations sociales, indemnisation des chômeurs, retraites, dépenses publiques sur l’éducation, la santé, emplois du secteur public, etc. Au chantage à l’investissement des capitalistes français vient s’ajouter le chantage des marchés financiers à l’échelle européenne et internationale par le biais entre autre autres des accords intercontinentaux de libre échange tels que le TAFTA.

Le poids de la dette et la pression implacable des marchés financiers signifient qu’au  lieu de pouvoir injecter des capitaux dans les circuits économiques pour stimuler la production, l’Etat est condamné à la « rigueur », ce qui signifie, en substance, d’augmenter la pression fiscale et de restreindre des dépenses publiques. Mais cette politique n’a pratiquement aucun impact sur la dette publique. Les économies réalisées sur certains postes engendrent des dépenses supplémentaires sur d’autres. Par ailleurs, la restriction des dépenses a des conséquences négatives pour le niveau d’activité économique en général, et donc des recettes fiscales. La dépense publique et sociale correspond à 57% du PIB de la France. Ce chiffre indique à quel point le capitalisme dépend de l’investissement public. Il n’existe pratiquement aucun contrat industriel ou commercial important dans lequel l’Etat n’est pas impliqué d’une façon ou d’une autre. Ainsi, un durcissement de la politique de rigueur mènerait à une contraction de la demande et de la production.

Le régime capitaliste est donc dans une crise dont il ne peut sortir que par la destruction de toutes les conquêtes sociales et démocratiques de la classe ouvrière. Ces conquêtes sont devenues incompatibles avec la position du capitalisme français. Elles devront être réduites à néant, sacrifiées sur l’autel de la compétitivité tant invoqué par la classe capitaliste et repris en chœur par le gouvernement. Mais ceci implique une lutte implacable et incessante contre les travailleurs sur tous les plans. Ainsi, la tentative de ramener l’économie capitaliste à « l’équilibre » mènera à la destruction de l’équilibre social du système, qui repose sur la passivité de la classe ouvrière.  Les conséquences sociales de la crise s’aggraveront sans cesse et mettront les travailleurs devant la nécessité de se libérer du joug capitaliste. L’aphorisme de Rosa Luxembourg, « socialisme ou barbarie », résume bien la situation à laquelle ils seront confrontés.

A l’échelle du continent, le processus en cours est celui de la maturation progressive des prémisses de la révolution socialiste européenne et, en opposition à ce mouvement, de la mobilisation de l’extrême droite sur laquelle la classe capitaliste tentera de s’appuyer pour défendre son pouvoir. Il n’y a pas de limite à la régression que la classe capitaliste imposera aux travailleurs, mais il y a une limite à ce que ceux-ci peuvent supporter. Cette contradiction fondamentale de notre époque prépare les prémisses de la prochaine révolution en France, et par extension, dans toute l’Europe.

Cette perspective révolutionnaire pour l’Europe ouvrira une nouvelle époque dans l’histoire du continent et même du monde entier. D’un point de vue économique, social et « civilisationnel », la tâche de l’unification de l’Europe est en soi progressiste. Mais tout le problème est de savoir qui – ou plus précisément quelle classe – la réalise, comment et pourquoi. L’accomplissement de cette tâche n’appartient pas aux gouvernements et aux bureaucrates réactionnaires de l’UE capitalistes, mais aux masses populaires, conduites par les travailleurs de tous les pays. Une Europe socialiste mettra fin à l’exploitation capitaliste à l’échelle continentale et abolira l’oppression et le pillage économiques des anciennes colonies en Afrique et ailleurs. Elle établira avec elles des relations amicales et, progressivement, par l’exemple et la collaboration fraternelle, contribuera positivement à leur émancipation économique, sociale et démocratique.

 Réformisme et communisme

A l’époque des origines du mouvement ouvrier et de la « social-démocratie », les réformistes – qui se couvraient encore de phraséologie « marxiste » – avançaient ce qu’ils appelaient un « programme minimum » et un « programme maximum » Les organisations syndicales et de la social-démocratie dirigeaient – et non sans succès – des luttes ouvrières pour des revendications et des réformes isolées. Ce « programme minimum » allait de pair avec l’affirmation que l’émancipation définitive de la classe ouvrière ne pouvait être accomplie que par une révolution. Mais dans la pratique, ce  « programme maximum » était renvoyé à un avenir lointain.  Marx, Engels, Lénine, Trotsky, Luxembourg et Liebknecht fustigeaient cette séparation artificielle de la lutte des classes en « étapes » préétablies. Mais même cette « stratégie » sociale-démocrate, déjà discréditée à la veille de la guerre de 1914, était bien meilleure que l’approche des principaux dirigeants réformistes de notre époque, chez qui il ne reste plus qu’un « programme minimum » sans aucune stratégie de lutte sérieuse pour sa réalisation, et chez qui la révolution socialiste n’est ni possible ni même souhaitable.

Aujourd’hui, le capitalisme n’offrant d’autre perspective que la régression sociale, le réformisme se trouve dans une impasse. La direction du Parti Socialiste l’a abandonné comme une vielle chemise. Le système qu’elle défend exige au contraire la destruction des réformes du passé et, en conséquence, les anciens réformistes du PS sont devenus des contre-réformistes. Le programme du réformisme est porté par les dirigeants du PCF, du PG, de la CGT, de SUD etc. La droite et les dirigeants socialistes ont tiré la conclusion que le capitalisme ne peut plus exister qu’au détriment de la masse de la population. Cette conclusion coïncide – mais du point de vue opposé – avec notre analyse marxiste. Les réformistes, par contre, s’obstinent à croire que le capitalisme n’est pas incompatible avec le plein emploi et le progrès social, pour peu que les gouvernements gérant ce système fassent d’autres « choix ».

L’idée fondamentale du réformisme est qu’il est possible, selon l’expression de Marx, de « guérir les infirmités sociales par toutes sortes de replâtrages » sans toucher aux fondements du système. Le réformisme prétend pouvoir défendre et étendre les conquêtes sociales dans le cadre du capitalisme et que si « révolution » il doit y avoir, celle-ci serait sous la forme d’un « dépassement » graduel, paisible et « constitutionnel » du capitalisme, comme la somme d’une série de réformes économiques et institutionnelles. Cette façon de procéder serait sans aucun doute plus avantageuse qu’une révolution telle que nous l’entendons. Le problème, c’est qu’elle n’est pas réalisable. Des réformes comme des augmentations de salaires, des taxes sur le capital, de nouveaux droits et pouvoirs pour les travailleurs etc. portent mécaniquement atteinte aux profits des capitalistes. Dans un contexte de déclin, ces pertes ne sont pas compensées par l’expansion des marchés – comme ce fut le cas pendant les « trente glorieuses ». Or, les capitalistes ne s’intéressent qu’à la production, à l’embauche – ou, à vrai dire, à quoi que ce soit – que pour le profit. Quand ils se voient contraints de perdre du profit, ils se retirent de l’affaire. Augmenter le SMIC à 1700 euros, comme le réclame la CGT ? Les entreprises fermeraient. Donner un droit de véto aux travailleurs sur les licenciements, les projets d’investissements, comme le propose le PCF ? Sous ce régime, plus aucun capitaliste n’investirait dans la production. Ce sont les réalités du mode de production capitaliste auxquels le « programme minimum » ne résiste pas. Cela ne signifie pas qu’il faut renoncer à la lutte pour améliorer les conditions de vie des travailleurs. Mais pour contraindre les capitalistes à faire des concessions sérieuses, il faudrait briser leur volonté, ce qui n’est possible que par une lutte offensive autour d’un programme frappant à la source même du pouvoir patronal, c’est-à-dire à la propriété capitaliste. Il signifie que cette lutte doit être menée sur la base d’un programme d’expropriation des capitalistes.

 

Le réformisme a amplement démontré son impuissance. Au cours des 34 ans entre 1981 et 2015, la France a connu 17 ans sous un président « socialiste », et 17 ans – pas tout à fait les mêmes, en raison des « cohabitations » droite-gauche – sous un premier ministre et une majorité de gauche à l’Assemblée Nationale. Et pendant cette longue période, la « gauche » a veillé aux intérêts de la Bourse et des grands groupes capitalistes, de sorte que la concentration des richesses entre leurs mains est plus forte que jamais. Le chômage – la plus pernicieuse expression du déclin capitaliste – est resté massif et dans une tendance générale à la hausse. Si nous laissons de côté les premiers 18 mois sous Mitterrand et la loi (mal faite) sur les 35 heures sous Jospin, toute cette période s’est déroulée sous le signe de la contre-réforme et de la régression sociale. Les gouvernements de « gauche », comme ceux de droite, n’ont été, pour paraphraser Marx, que des « comités pour gérer les affaires des capitalistes ». Ils ont mené des guerres (Afghanistan, Libye, etc.) pour les capitalistes et aggravé le pillage des « chasses gardées » – mais progressivement perdues – de l’impérialisme français en Afrique et ailleurs. Le gouvernement de Jospin a privatisé plus que tout autre gouvernement dans l’histoire de la France (31 milliards d’actifs publics). Nous avons même connu le spectacle désolant de ministres communistes et d’une direction du PCF qui pilotaient et justifiaient des privatisations. Quant à la « démocratie » dont tous les réformistes se réclament, il s’avère que les institutions « républicaines » de l’Etat capitaliste, au lieu de se perfectionner, ont, tout au long de cette période, sombré toujours plus dans la corruption et la vénalité. Elles ne sont, au fond, qu’une vaste machinerie au service des riches et des puissants. Depuis qu’elle existe, la démocratie bourgeoise n’est que la façade légale de la corruption d’Etat. Mais aujourd’hui, ce qui reste de faux semblants est en train de s’effondrer. Les gouvernements changent, mais les conditions de vie des travailleurs ne cessent de se dégrader. Cette expérience concrète a forgé la conviction chez des millions de travailleurs qu’il n’y a aucune différence significative entre la « droite » et la « gauche ». Cette conviction constitue incontestablement l’un des principaux ressorts de soutien électoral au Front National.

A l’époque du capitalisme ascendant, ou encore, dans une certaine mesure, dans les conditions historiquement exceptionnelles des « trente glorieuses », ouvriers et capitalistes, pendant des « crises », regardaient en avant vers la reprise prochaine. Aujourd’hui, la situation est totalement différente. La crise actuelle est la règle, pas l’exception. Elle se traduit par une régression sociale permanente. Sous la pression terrible du déclin économique, les travailleurs ont été rejetés dans une retraite désordonnée. Et lorsqu’on prête une oreille attentive aux travailleurs, on s’aperçoit qu’ils comprennent ou sentent que dans les conditions actuelles de la crise et du chômage, des conflits économiques partiels exigent de lourds sacrifices que ne justifieront en aucun cas les résultats de la lutte. Les ouvriers – et surtout les plus durement exploités d’entre eux – comprennent qu’avec le chômage de masse une lutte « ordinaire » pour de « nouveaux droits » est une utopie.

La thèse marxiste selon laquelle les réformes sociales ne sont que le « sous-produit » de la lutte révolutionnaire est d’une importance cruciale. Les capitalistes ne feront pas de concessions importantes aux ouvriers, sauf s’ils sont menacés de tout perdre. Plus encore, même dans le cas où, acculés par les circonstances d’une situation donnée, les capitalistes cèdent aux revendications, les concessions resteront insignifiantes en comparaison de la profondeur de la crise sociale et de la misère généralisée qui la caractérise. C’est le cas, par exemple, de la loi sur les 35 heures. Par exemple, qui peut imaginer, face à la gravité de la crise capitaliste actuelle, que le simple passage à la semaine de 32 heures permettrait de résorber ne serait-ce qu’une fraction significative des 6 millions de personnes au chômage complet ou partiel ? Lorsque les organisations des travailleurs limitent leur programme à une liste de « propositions ou revendications « immédiates », elles ne peuvent que favoriser la désorientation des travailleurs.

Objectivement, la défense des intérêts des travailleurs et la réalisation de nouvelles conquêtes sociales sont désormais inséparables de l’expropriation révolutionnaire des capitalistes. La tâche principale du PCF, de la CGT et de l’ensemble du mouvement ouvrier est de faire comprendre cette vérité fondamentale à tous les travailleurs par un travail d’explication systématique. Il faut leur donner la perspective d’une rupture décisive avec l’ordre capitaliste. Il faut les inspirer, leur montrer une voie qui justifierait les rigueurs du combat.

Pour les éléments du mouvement ouvrier qui défendent les idées et le programme du marxisme, il est absolument indispensable de ne pas être exclus de l’expérience des masses. Des « révolutionnaires » qui se positionnent en dehors du mouvement ouvrier, lui assénant schémas et critiques de l’extérieur, n’aboutiront jamais qu’à la création de sectes politiques marginales. Les grandes tâches qui nous incombent ne tombent pas du ciel, mais surgissent de la lutte des classes. C’est dans cette lutte qu’il faut trouver les idées et les forces sociales pour leur résolution. Les idées les plus « justes » échapperont toujours à l’attention des travailleurs si elles ne reflètent pas les objectifs qu’ils se donnent dans la lutte. Pour opérer la jonction entre les idées « justes » et le mouvement ouvrier, il faut les faire passer à travers l’expérience du mouvement ouvrier. Il est vrai qu’un petit groupe avec des idées justes a plus d’importance – du moins potentiellement – qu’une organisation plus grande mais avec des idées confuses. Mais cette affirmation ne libère pas le petit groupe de la nécessité absolue de donner à ses idées l’auditoire nécessaire. Autrement dit, il faut savoir s’adapter au milieu du mouvement ouvrier pour fondre notre programme avec leur expérience et leur lutte, s’efforcer de s’insérer dans la marche des événements, et féconder l’expérience du mouvement en lui apportant la clarté nécessaire de pensée et de méthode.

 

Une révolution de notre époque

Dans des périodes non révolutionnaires, ce n’est jamais qu’une minorité d’une classe opprimée qui s’intéresse de près à la vie politique du pays, et une minorité encore plus restreinte qui y participe activement. L’essence même d’une révolution est la mobilisation de larges masses précédemment inertes. Les idées et les méthodes de lutte qui caractérisent des périodes de paix sociale sont bouleversées. Les formes organisationnelles aussi. Dans le contexte d’un mouvement aussi massif et « populaire » qu’une révolution, les syndicats ne pourront plus suffire aux impératifs organisationnels de la lutte. Certes, il est fort probable que les organisations syndicales, et particulièrement la CGT, monteront en puissance. Mais la nécessité de relier de larges masses de travailleurs entre elles, dans tous les secteurs de l’économie et de la société, se traduira d’une façon ou d’une autre par la création de formes organisationnelles unissant le mouvement au-delà des divisions syndicales. Cela se passera au niveau des quartiers, des villes, et au niveau national.

Chaque révolution a ses caractéristiques propres. S’il arrive que des marxistes parlent d’une forme « classique » de révolution, on s’aperçoit qu’en regardant l’histoire de plus près, cette forme « classique » n’existe pas vraiment. Il faut tenir compte des conditions concrètes dans lesquelles se déroulera la lutte révolutionnaire en France. Elle ne reproduira pas le schéma de celle qui s’est produite dans la Russie arriérée de 1917. Les caractéristiques fondamentales seront similaires, mais les formes et les méthodes seront nécessairement différentes. Cela dépend aussi de la situation internationale. La France ne sera pas forcément le premier pays où les travailleurs parviendront à prendre le pouvoir. Il est possible d’avancer l’hypothèse générale suivante : plus il y aura de pays où le capitalisme sera renversé, plus faible seront les capacités de résistance des classes dirigeantes dans les autres pays et moins la révolution socialiste aura un caractère « violent » et tumultueux. La France de notre époque n’a rien à voir avec la Russie de 1917, dont le sous-développement économique, sociale et culturel – conjugué avec l’isolement de la révolution – a conditionné la descente graduelle dans l’enfer de la dictature bureaucratique connue du monde sous le nom de « stalinisme ». Les travailleurs français et européens de notre époque ne toléreront pas une telle abomination totalitaire. Les techniques et méthodes productives modernes, perfectionnées par deux siècles d’industrialisation et aujourd’hui au service des capitalistes, permettront dès la prise du pouvoir d’assurer un niveau de vie élevé à l’ensemble de la population, grâce à une économie planifiée, sans avoir à rattraper un retard dans le développement de l’appareil productif comme ce fut le cas après la révolution russe. Le régime socialiste signifierait d’emblée l’essor de la démocratie, de l’initiative et de la puissance libératrice de la classe ouvrière.

La prochaine révolution se déroulera dans un contexte social radicalement différent des époques révolutionnaires précédentes. Dans le passé, la bourgeoisie avait une assise sociale solide dans la petite bourgeoisie urbaine et rurale. La paysannerie formait une vaste réserve au service de la réaction capitaliste. Le soulèvement prolétarien de 1848 fut condamné d’avance à la défaite. La Commune de 1871 a été écrasée, elle aussi par des « paysans en uniforme » excités contre les « partageux » parisiens. En 1935, la paysannerie constituait encore 50% de la population active. Mais à notre époque, elle n’est plus qu’une toute petite minorité. Environ 86% de la population active sont des salariés. L’ensemble de la population que l’on pourrait grossièrement qualifier de « rurale » constitue peut-être 13% de la population totale, et la majorité de ses actifs (9 sur 10, environ) est composée de travailleurs salariés.

Ainsi, en milieu urbain comme en milieu rural, le salariat moderne assure pratiquement toutes les fonctions essentielles de l’organisme social. Il n’a jamais été aussi prépondérant, ni aussi homogène. Il est vrai que d’anciennes concentrations ouvrières – dans les charbonnages, la sidérurgie etc. – ont été désintégrées, mais il existe des équivalents modernes où les travailleurs, de par la place qu’ils occupent dans l’économie nationale, possèdent un pouvoir énorme. C’est le cas, par exemple, des travailleurs dans les ports et aéroports, dans les chemins de fer et les transports routiers, dans les énergies et les communications, l’agroalimentaire et la distribution. Notons aussi que de nombreuses couches sociales autrefois considérées comme « intermédiaires » – enseignants, personnels soignants, fonctionnaires, travailleurs du secteur bancaire, étudiants, pompiers, etc. – se sont rapprochées de la classe ouvrière socialement, sur le plan psychologique et en termes d’organisation et de méthodes de lutte. La classe dominante est consciente du potentiel révolutionnaire d’une telle masse de travailleurs. Elle utilise la puissance médiatique à sa disposition pour diviser le salariat. Ainsi par exemple, les couches supérieures du salariat sont cataloguées dans la « classe moyenne », comme si ses revenus plus aisés changeaient leur nature de classe, alors que par leur position au sein du processus productif et leur rapport à la propriété ils partagent toujours les mêmes intérêts que l’ensemble du salariat.

Du point de vue de la lutte contre le capitalisme, ce changement dans le rapport de force entre les classes constitue un progrès énorme. Il a des conséquences importantes concernant le déroulement probable de la révolution et la possibilité de développer les forces du marxisme dans le mouvement ouvrier, même à partir d’une base numérique relativement faible. C’est que la classe capitaliste est assise sur une poudrière dont l’explosion ne pourra plus être rapidement étouffée comme par le passé. Si la première, la deuxième ou la troisième offensive des travailleurs n’aboutissent pas au renversement du capitalisme, une certaine lassitude et de la désorientation pourraient s’installer temporairement – comme en Grèce, au bout d’une trentaine de grèves générales infructueuses – mais la classe capitaliste ne dispose plus des réserves sociales lui permettant d’en finir rapidement avec la révolution.

Le processus révolutionnaire pourra donc s’étaler sur une longue période, sans que la classe dirigeante ait la possibilité d’infliger une défaite décisive aux travailleurs. Ceci donnera plus de temps à la composante révolutionnaire du mouvement ouvrier pour faire ses preuves en matière de programme, stratégie, méthodes de lutte, etc. Cependant, cet avantage n’a qu’une valeur relative. Il n’exclut pas la défaite de la révolution. Si, dans la période précédente, les marxistes ne réussissent pas à créer une tendance marxiste suffisamment forte et enracinée dans le mouvement ouvrier, et particulièrement dans les secteurs clés de l’économie, ils ne seront pas en mesure de capter l’attention de la couche la plus avancée de la classe ouvrière pendant la révolution. En l’absence d’une direction révolutionnaire, la classe ouvrière ne parviendra pas à prendre le pouvoir, même dans des conditions objectives exceptionnellement favorables. Toute l’histoire de la lutte contre le capitalisme atteste de ce fait. Telle est la mesure du défi historique qui nous échoit dans la période qui s’ouvre actuellement.

 

La prochaine situation révolutionnaire, à l’instar de celle de 1968, prendra probablement la forme d’une grève générale, avec de nombreuses occupations d’usines, d’administrations, de sièges d’entreprises, de banques, d’universités, d’écoles, etc. L’importance fondamentale de la grève générale, indépendamment des succès partiels que ce mode d’action peut obtenir, réside dans le fait qu’il pose la question du pouvoir et qu’il la pose de façon révolutionnaire. En arrêtant les transports, les usines, la grève générale paralyse l’économie et aussi l’appareil gouvernemental. Cette situation de « double pouvoir » ouvre à la classe ouvrière la possibilité d’en finir avec le capitalisme. Mais dans l’agitation sociale généralisée qui caractérisera la période à venir, le mouvement ouvrier ne sera pas la seule force en action, d’autant plus que sa direction ne présente pas d’alternative claire au système capitaliste. En référence à l’insurrection irlandaise de 1916, Lénine a écrit que celui qui s’attend à une révolution « pure » ne la verra jamais. La révolution qui se prépare sera, elle aussi, nécessairement « impure », puisqu’elle mettra en mouvement de larges masses précédemment passives dont les idées et motivations immédiates seront très loin de ce que nous considérons comme révolutionnaires. Les travailleurs forment une classe opprimée. Leurs idées reflètent majoritairement les idées dominantes dans la société, les idées capitalistes en somme. Dans un premier temps, l’entrée en action de travailleurs habituellement passifs et « non politiques » s’accompagnera inévitablement d’idées, de notions et de préjugés formés dans la période précédente. La lutte est un apprentissage.

 

La « crise bretonne » de novembre 2013 nous a donné un aperçu de ce qui pourrait se reproduire à l’avenir, mais à une échelle bien plus massive. Si de nombreux manifestants à Quimper ne faisaient pas de distinction nette entre leurs propres intérêts et ceux des patrons, cela s’explique précisément par le fait qu’ils n’étaient pas, dans leur immense majorité, des manifestants « habituels ». Ce fut un développement extrêmement important. L’immaturité politique de ces travailleurs, mobilisés aussi massivement, n’était pas un signe de « réaction » pure et simple. Que les « bonnets rouges » portent des idées réactionnaires ne fait pas de doute. Cependant, ce mouvement, comme d’ailleurs les réserves sociales et électorales du  Front National est avant tout un symptôme du désespoir de larges masses de travailleurs et une indication que la crise économique est en train de produire une instabilité sociale de plus en plus profonde. Il faut s’attendre à ce que toutes sortes d’idées et de revendications confuses, voire réactionnaires, fassent surface de façon plus ou moins chaotique. Il est fort possible, par exemple, que de nombreuses émeutes éclatent, notamment dans les quartiers les plus pauvres et dévastés des grandes villes, dont certaines pourraient se revêtir de revendications religieuses ou de haines raciales. Le chômage et la pauvreté ont créé un terrain favorable à des replis « identitaires » et « fondamentalistes » et à des tensions parfois violentes entre les communautés. Compte tenu de la crise et de la direction réformiste du mouvement ouvrier – qui ne présente aucune alternative au capitalisme – ces tensions risquent de s’accentuer, et constituent une source de division et de confusion. Dans la propagande fondamentaliste, la succession d’interventions impérialistes – en Afghanistan, en Irak, en Libye, au Mali, en Syrie, etc. – sont présentées comme autant d’agressions contre les musulmans. Les attentats de janvier 2015 ont été exploités par l’Etat au profit de l’ordre établi, en appelant à l’« union nationale ».  C’est tout l’intérêt des attentats terroristes, du point de vue des classes dominantes. Au lieu d’être mises en accusation comme la source des oppressions et des violences qui sévissent dans le monde, elles peuvent se présenter comme les protecteurs des populations contre la « barbarie » terroriste. L’ « union nationale » réclamée par les représentants de l’Etat en janvier 2015 n’est qu’un mensonge réactionnaire. C’est un mot d’ordre qui sert à masquer le caractère de classe de la société. Dans cette manœuvre, l’Etat a pu compter sur le concours des directions réformistes du PCF, du PG etc. qui ont, elles aussi, appelé à l’union nationale et à la défense de la République.

L’émergence de tendances réactionnaires parmi les couches les plus opprimées et désespérées de la population caractérise les phases initiales de toutes les révolutions du passé, sans exception. La Grande Révolution de 1789-1794 a commencé par des mobilisations du « menu peuple » sous les mots d’ordre de la noblesse aristocratique dans sa lutte contre la monarchie. Les « libertés » que le peuple était sommé de défendre étaient les privilèges de la noblesse. Mais en l’espace de trois ans, la noblesse et la monarchie ont été renversées. A la même époque, la révolution des esclaves de Saint-Domingue, menée à une conclusion victorieuse par Toussaint Louverture et Dessalines, a commencé sous le drapeau du roi de France. La révolution russe de 1905 a commencé par une manifestation ouvrière encadrée par des prêtres et portant des icônes religieuses – avant de se transformer en insurrection révolutionnaire.

La maturation d’une crise sociale majeure se caractérise souvent par des retournements soudains dans l’humeur des différentes classes sociales. Les drapeaux sous lesquels les gens se mobilisent à un moment donné n’ont pas nécessairement une grande importance. C’est le « réformisme sans réformes » des dirigeants du mouvement ouvrier qui a ouvert la voie au Front National. La montée du Front National est une expression de l’exaspération des travailleurs, face au chômage, à la hausse des prix, des loyers et des taxes de toutes sortes. Plusieurs millions de travailleurs mal payés et de chômeurs sombrent dans la misère. Tous les travailleurs ne sont pas pauvres. Mais tous, pratiquement, sont en train de s’appauvrir. La nécessité d’un changement radical de « système » fait son chemin dans les esprits. Les travailleurs comprennent que l’Union Européenne est au service des banques et des puissants. Et ils n’en veulent plus. Le discours réformiste selon lequel il faudrait faire de l’Union Européenne une « Europe sociale » n’a aucun intérêt. Les travailleurs pensent avec les faits. Il en va de même pour les institutions gouvernementales. La force du Front National réside dans le fait qu’il est perçu comme un parti en dehors de la « classe politique » actuelle et radicalement opposé à l’Union Européenne. En l’absence d’une alternative révolutionnaire portée par une force « de masse » – c’est-à-dire visible et audible pour la masse de la population – l’opposition au « système » prend la forme du nationalisme – voire du racisme – chez bon nombre de travailleurs. A partir du moment où un pôle d’attraction marxiste puissant émergera dans le mouvement ouvrier, beaucoup de travailleurs qui se tournent par désespoir vers le Front National pourraient être gagnés à la cause révolutionnaire.

L’idée selon laquelle le succès du Front National serait la conséquence des listes communes entre le PCF et le PS aux municipales – comme par exemple à Paris – exprime une vision superficielle des choses. Les alliances PCF-PS, au moment où celui-ci applique une politique de droite au gouvernement, n’a certainement pas aidé. Mais l’implantation sociale du FN relève d’un problème bien plus ancien et bien plus grave que cela. Depuis longtemps, la direction du PCF s’est dissociée des origines marxistes et révolutionnaires du parti. De « mutation » en « modernisation », elle a expurgé de son programme tous les éléments qui le rattachaient à ses origines, pour en faire un parti réformiste qui prétend pouvoir atténuer les conséquences sociales, et améliorer le fonctionnement du capitalisme. La direction de la CGT a suivi la même trajectoire. Or, la crise du système actuel est en train de broyer toutes les conquêtes sociales du passé. Les conditions de vie des travailleurs se dégradent. Il faut trouver une solution. Une masse grandissante de travailleurs et de jeunes ne veut plus attendre, ne peut plus attendre. Sur la base d’une politique révolutionnaire audacieuse – à l’inverse du réformisme insipide – s’attaquant directement à la propriété capitaliste, le mouvement ouvrier aurait pu et pourrait encore rallier à sa bannière une couche plus large de militants ouvriers et de jeunes et s’enraciner plus massivement dans les entreprises, dans les quartiers populaires, dans les universités. Mais le réformisme paralyse le mouvement ouvrier. L’absence d’une alternative au capitalisme, défendue et propagée par une force reconnue et massive – et pas seulement par de petits groupements marginaux – favorise le Front National et la réaction en général. Il est fort possible que le Front National passe au deuxième tour de la prochaine élection présidentielle. Deux perspectives possibles se dessinent pour la France. Ou bien le mouvement ouvrier parviendra à se libérer de son carcan réformiste, renouant avec les idées du marxisme révolutionnaire et internationaliste, ou bien ce seront les forces réactionnaires qui vaincront. Il n’y aura pas de « troisième voie ».

Pour des observateurs bourgeois, l’action révolutionnaire des masses est toujours aveugle, instinctive ou « spontanée ». Il arrive que des marxistes reprennent cette même idée, constamment à l’affût d’un mouvement spontané et non organisé qui leur évitera d’entreprendre un travail sérieux dans les organisations des travailleurs. Cependant, aucune lutte n’est vraiment spontanée. Tous les mouvements des travailleurs – petits ou grands –sont dirigés d’une façon ou d’une autre par les éléments les plus résolus surgis de leurs rangs. Il en sera ainsi, à une échelle bien plus grande, dans la révolution future.

Toutes les épisodes révolutionnaires dans l’histoire du mouvement ouvrier nous enseignent que  la capacité d’action et l’intelligence des masses, sourdement accumulées dans la période préalable à la révolution, peut sérieusement ébranler l’édifice de l’ordre capitaliste et mettre la victoire à leur portée. Mais elles nous enseignent aussi que ces qualités ne suffisent pas au renversement de cet ordre. Notre révolution, comme toutes les révolutions, aura son « aile gauche » – dont un élément marxiste organisé – et son « aile droite », avec, entre les deux, un éventail de tendances intermédiaires. Dans la première phase de la révolution, la masse des travailleurs ne fera pas de distinction entre ces tendances différentes, tout comme, au début de la révolution russe, ils ne faisaient pas de distinction entre « bolcheviks » et « mencheviks ». Il leur suffira de distinguer ceux qui sont – ou qui paraissent être – « de leur côté » et ceux qui ne le sont pas. Ce n’est que sur la base de l’expérience de la révolution que la véritable nature des différentes tendances deviendra claire. Mais encore faut-il que l’élément marxiste du mouvement ouvrier soit suffisamment fort pour que les masses puissent le mettre à l’épreuve. Ce facteur déterminera le sort de la révolution. Cet élément ne peut pas s’improviser dans le feu de l’action. Les bases théoriques et pratiques de la future direction révolutionnaire doivent être consciemment développées dans la période préalable, au cœur du mouvement ouvrier et en rapport direct avec les luttes en cours. Le noyau essentiel de cette direction doit avoir réussi, dans la période préalable à la révolution, à s’enraciner dans le mouvement ouvrier – et cela veut dire, concrètement, surtout dans la CGT et le PCF, qui, à ce stade, constituent le socle principal de la classe ouvrière organisée.

Notre travail politique peut et doit se déployer chez les étudiants, chez les lycéens, dans des campagnes électorales et mobilisations diverses. Mais il ne faut jamais perdre de vue le fait que ce sera l’implantation des idées, de la théorie, du programme et du personnel militant du marxisme dans le mouvement ouvrier qui décidera de l’issue de la révolution elle-même. Si, pendant les phases successives de la lutte engagée, le mouvement ouvrier ne parvient pas à se doter d’une direction authentiquement marxiste et révolutionnaire, composée d’éléments éprouvés dans la lutte et ayant consciemment assimilé les leçons théoriques et pratiques du passé, la révolution sera perdue.

La conjoncture de la lutte des classes

De toutes les organisations de la classe ouvrière française, la CGT est de loin la plus importante. Plus que toute autre structure syndicale, c’est dans la CGT que s’organisent les éléments les plus engagés et les plus combatifs de la classe ouvrière. Potentiellement, la CGT a une capacité de mobilisation énorme. De nombreux épisodes de la lutte des classes de ces dernières décennies en témoignent, comme par exemple la grève générale de 1995 et la lutte contre la réforme des retraites en 2010. Les développements au sein et autour de cette centrale ont une influence déterminante dans l’évolution de l’ensemble du mouvement syndical. Sur le plan politique, c’est elle qui donne son importance au PCF. Un nombre important de militants CGT considèrent le PCF comme une sorte d’extension dans le domaine politique des luttes qu’ils mènent dans les entreprises et dans le domaine public, et ce malgré les déceptions qu’ils ont connues concernant la politique et le comportement des dirigeants du parti.

Il est vrai que les effectifs de la CGT sont en baisse plus ou moins régulière au cours des dernières décennies. Mais compte tenu du chômage de masse, de la généralisation de l’emploi précaire et de la destruction de la moitié de l’appareil industriel de la France depuis 2005, la CGT a plutôt bien résisté. « L’affaire Lepaon » pourrait bien accentuer la baisse des effectifs à court terme, comme elle a été un facteur dans le recul de la CGT aux élections professionnelles. Au fond, cette « affaire » est une expression de la crise du réformisme et de son incapacité à défendre les travailleurs. Les divisions et rivalités au sommet traduisent l’impuissance du réformisme dans une époque où le capitalisme impose l’érosion des conquêtes sociales. Le départ de Lepaon ne résout pas ce problème.

Le fait que les mobilisations syndicales et politiques du mouvement ouvrier ont été de faible ampleur au cours de la dernière période pourrait paraître justifier la limitation du programme du mouvement aux revendications immédiates. On entend souvent l’argument que si les travailleurs ne veulent même pas se mobiliser pour défendre leurs salaires, ils ne vont certainement pas se mobiliser pour la révolution, laquelle implique, nous dit-on, un « niveau de conscience » plus élevé. Cet argument est fallacieux. Il ne s’agit pas d’appeler les travailleurs à « faire la révolution » immédiatement et indépendamment des circonstances. Une révolution ne se commande pas de cette façon. Il s’agit, tout d’abord, de convaincre la couche la plus active et politiquement consciente des travailleurs et de la jeunesse de la nécessité impérative de cette révolution, et puis de tourner cette couche vers l’ensemble de la classe. Il faut que le programme du mouvement ouvrier soit un programme révolutionnaire, qu’il fonde son action sur la préparation politique des travailleurs en vue de cette révolution.

 

Le « niveau de conscience » des travailleurs ne ressemble pas à des marches que l’on monte mécaniquement, l’une après l’autre. S’il est vrai que les travailleurs ne répondent pas aux appels à manifester lancés par les organisations syndicales, ce n’est pas parce qu’ils n’ont pas le « niveau » requis, mais parce que l’expérience les a convaincus que manifester ne sert pas à grand-chose. Pour la même raison, ils rechignent à participer à des grèves économiques dispersées. La lutte économique nécessite, de la part des travailleurs, de lourds sacrifices. Et ce n’est qu’exceptionnellement qu’elle aboutit à des résultats positifs – alors que le seul but affiché de ces revendications « immédiates » est d’améliorer les conditions de vie des travailleurs concernés.

 

Cet état d’esprit s’explique aussi par l’expérience collective des dernières décennies. Entre 1980 et 2010, la lutte des classes a souvent pris une ampleur de masse : la lutte contre le projet de loi Devaquet en 1986, la grève générale du secteur public de 1995, la mobilisation contre le Front National pendant l’élection présidentielle de 2002, le mouvement contre le CPE en 2006, pour ne citer que les plus importants. Cette succession de grandes mobilisations – dont chacune avait connu une issue au moins partiellement victorieuse – avait fortement marqué la conscience des militants syndicaux, en leur donnant l’impression que dès lors qu’une mobilisation prenait une certaine ampleur, avec le soutien de « l’opinion publique », les gouvernements étaient dans l’obligation de faire des concessions.

Cependant, avec la défaite, en 2010, du mouvement pour la défense des retraites, la psychologie des militants syndicaux a changé. La lutte, marquée par 14 grandes journées d’action, s’est étalée sur 9 mois. A son apogée (en septembre et octobre), les journées d’action mettaient deux ou trois millions de manifestants dans la rue. Selon les sondages, les manifestations étaient soutenues par au moins 65% de la population. Pendant les premiers mois, les manifestants étaient confiants et joyeux. Dans une ambiance de carnaval, chaque journée semblait marquer un progrès par rapport à la précédente. A l’automne, les manifestations et grèves ponctuelles s’accompagnaient de grèves reconductibles dans plusieurs secteurs : à partir du 12 octobre à la SNCF (en même temps qu’une grève des cheminots belges), à partir du 17 octobre dans les transports routiers, chez les éboueurs de Paris, de Marseille, Toulouse, Nantes, Saint Nazaire, etc. Les travailleurs d’une douzaine de raffineries de pétrole se sont mis en grève, provoquant la fermeture de plus de 2500 stations d’essence. De nombreux autres secteurs (cantines scolaires, crèches, autobus…) ont été touchés par des mouvements de grève. Des mobilisations d’étudiants et de lycéens ont eu lieu sur une trentaine de sites universitaires et des centaines de lycées.

La direction de la CFDT soutenait Sarkozy et la réforme. Sa direction a ouvertement trahi les travailleurs en lutte. Mais l’explication fondamentale de cette défaite réside dans le comportement de la direction confédérale de la CGT. Dès les mois de mars-avril, il était évident que l’enjeu de cette réforme était tel qu’une succession de journées d’action n’allait pas suffire pour faire plier le gouvernement. La revendication principale de la confédération était pour l’ouverture de « véritables négociations ». Cette posture ouvrait une porte de sortie au gouvernement au cas où le mouvement commencerait à prendre des proportions véritablement incontrôlables. Elle signifiait aussi l’acceptation implicite d’une régression en matière de retraites. La généralisation du mouvement et l’extension des grèves impliquaient la nécessité de relier la défense des retraites à une plateforme revendicative beaucoup plus large, ce que la direction confédérale a refusé de faire, insistant sur une approche « dossier par dossier ». Le fait qu’un mouvement d’une aussi grande ampleur ait pu se solder par une défaite – et, dans la foulée, par une vague de représailles contre les participants – a eu un impact majeur sur la psychologie des militants syndicaux et de l’ensemble des travailleurs. Il y a comme une perte de confiance dans l’efficacité de l’action syndicale.

En revanche, en 2012, lorsque Mélenchon a mené une campagne présidentielle énergique autour d’idées et de revendications radicales, donnant à entrevoir – aux yeux de la couche la plus militante et active des travailleurs – les contours d’un programme révolutionnaire. Le programme L’Humain d’abord, associé au mot d’ordre « Prenez le pouvoir ! » s’est vendu à des centaines de milliers d’exemplaires. Les rassemblements politiques de la campagne étaient les plus importants et les plus militants jamais vus en France depuis 1968 et les grèves de masse des années 70. L’expérience de cette campagne – malgré ses lacunes importantes, puisque, en réalité, L’Humain d’abord n’est pas un programme révolutionnaire – était très instructive. Elle a démontré qu’alors que le discours sur les seules revendications immédiates, partielles etc. laisse les travailleurs dans une indifférence boudeuse, une approche plus offensive qui laissait entrevoir un changement de régime a pu mobiliser et enthousiasmer les travailleurs par centaines de milliers. La campagne de 2012 était très instructive également en ce qui concerne le rapport qui existe entre les organisations traditionnelles de la classe ouvrière et la classe elle-même. La mobilisation massive autour du Front de Gauche nous offrait un aperçu, à une échelle encore modeste, de la place que pourrait occuper le PCF s’il se dotait d’un programme pour une solution révolutionnaire à la crise du capitalisme.

Dans la CGT, les dirigeants confédéraux sont vivement critiqués dans bien des fédérations, dans les UL, les UD etc. Les militants sentent – et dénoncent de plus en plus ouvertement – une « déconnexion » entre la direction nationale et la base. La stratégie des journées d’action ponctuelles est largement discréditée. La direction confédérale autour de Lepaon connaît le même sort. La base se radicalise. Les conséquences sociales et économiques de la crise y contribuent grandement. La pression patronale est telle que le simple maintien d’une structure syndicale exige une lutte de tous les instants, surtout dans le milieu industriel. La nécessité d’une rupture avec le capitalisme gagne du terrain dans la réflexion des militants. Le « processus moléculaire » vers une nouvelle explosion de la lutte des classes prendra le temps qu’il faudra. Mais, compte tenu des perspectives économiques et sociales sous le capitalisme, la matérialisation de cette explosion ne fait pas de doute, à terme.

Au niveau syndical comme dans les partis de gauche, la crise du capitalisme réduit le réformisme à l’impuissance. Un mouvement syndical qui limite le champ de son action à ce qui est possible dans le cadre du capitalisme, à ce qui peut être « négocié », à une époque où la viabilité du système dépend précisément de la destruction des conquêtes sociales, n’aboutira pas à des résultats tangibles. Des luttes victorieuses peuvent se produire sur telle ou telle question, mais, dans l’ensemble, le mécanisme capitaliste tirera tous les travailleurs vers le bas. Les acquis d’un jour seront constamment attaqués par la suite.

L’idée réformiste selon laquelle la « relance économique » passe par la hausse des salaires et l’extension des droits des travailleurs est une absurdité, puisque de telles mesures portent immédiatement et directement atteinte aux intérêts vitaux des capitalistes. Une hausse des salaires ampute d’autant la masse des profits. Du point de vue des capitalistes, à quoi bon investir, dans ces conditions ? Des dizaines de milliers d’entreprises déposent le bilan chaque année pour cause de rentabilité insuffisante. Nous touchons ici au cœur du problème des limites du syndicalisme et des luttes défensives en général. Le capitalisme est arrivé à un point où des luttes autour de revendications relativement modestes soulèvent implicitement la nécessité d’exproprier les capitalistes. La radicalisation des idées que nous constatons dans de nombreuses structures syndicales tend vers cette même conclusion, à laquelle nous devons nous efforcer de donner une expression consciente dans notre activité syndicale.

Le nombre et l’ampleur des grèves n’indiquent pas forcément l’état d’esprit des travailleurs. Les pressions qui s’exercent sur les travailleurs rendent l’adhésion à un syndicat ou l’organisation des grèves particulièrement hasardeuses. Syndicalistes et grévistes s’exposent au harcèlement et aux menaces au quotidien – et bien sûr à la perte de leur emploi, avec tout ce que cela implique pour eux-mêmes et leurs proches. On peut intimider un salarié, l’inciter à la prudence. Mais on ne peut pas l’empêcher de penser et de tirer des conclusions à partir de son expérience. Il y a actuellement une accumulation de haine et de ressentiment contre toutes les injustices et les humiliations que subissent les travailleurs. A un certain stade, tout ce matériel combustible finira par exploser.

Les Socialistes

Soufflés par les événements révolutionnaires de 1968, la SFIO et plusieurs partis, clubs et autres formations politiques ont fusionné pour former le Nouveau Parti Socialiste en 1971, renommé Parti Socialiste par la suite. La victoire de l’Union de la Gauche en 1981 et les réformes sociales qui ont marqué la première année de son existence ont soulevé un immense enthousiasme. Mais derrière toute la rhétorique « socialiste », la politique mise en œuvre par Mitterrand misait sur la possibilité de relancer l’économie capitaliste au moyen d’un interventionnisme accru de l’Etat et d’une augmentation du pouvoir d’achat. Cette politique n’a pas et ne pouvait pas réussir. Les nationalisations laissaient la majeure partie de l’économie entre les mains des capitalistes. La croissance temporaire de la demande intérieure a surtout profité à l’Allemagne. La balance du commerce extérieur se détériorait. La monnaie nationale était fragilisée. En l’espace de quelques mois, la « grève d’investissement » et la fuite des capitaux menées par les capitalistes ont forcé le gouvernement à abandonner sa politique de réforme sociale. Mitterrand a dû accepter une « pause » dans sa stratégie économique et sociale dès l’été de 1982, avant de l’abandonner complètement au printemps de 1983.

Les conséquences politiques de cette volte-face furent importantes, d’autant plus qu’elle n’a pas été sérieusement contestée, ni par la « gauche » du PS, ni par la direction du PCF. Jusqu’au départ des quatre ministres communistes, en juillet 1984, toutes les mesures d’austérité et de casse industrielle mises en œuvre par Mitterrand et Mauroy ont été acceptées par la direction du PCF, qui, comme le PS, a subi une perte massive d’adhérents. Le programme a été progressivement vidé de tout ce qui le reliait à la contestation du capitalisme. L’effondrement de l’URSS et l’offensive idéologique du capitalisme international qui l’a accompagné n’ont fait que renforcer cette tendance droitière. Le gouvernement Jospin (1997-2002) a introduit, il est vrai, la semaine de travail de 35 heures (avec des contreparties très avantageuses pour les capitalistes), avant de procéder – et encore une fois, avec la coopération active des ministres communistes – à un vaste programme de privatisations.

Le gouvernement « socialiste » de 2012 a commencé d’emblée avec une politique entièrement calquée sur les intérêts des capitalistes. Dès son installation à l’Elysée, sa cote de popularité s’est effondrée. Valls et les « faucons » pro-capitalistes qui l’entourent exigent – encore une fois – que le Parti Socialiste change de nom pour entériner la rupture du PS avec le mouvement ouvrier et l’ancrer définitivement dans le camp capitaliste. S’ils ne réussissent pas, il est possible qu’il y ait un départ des éléments les plus droitiers pour créer un nouveau parti capitaliste. A terme, une rupture semble inévitable, d’une façon ou d’une autre. Les militants socialistes voient le PS comme un instrument du progrès social. Mais même cette vision « modérée » des choses est complètement incompatible avec la politique du gouvernement. Des milliers d’adhérents, écœurés par la trahison de leurs espoirs, ont quitté le parti. D’autres restent dans la perspective de se battre contre la direction. Les dirigeants socialistes que les médias qualifient de « frondeurs » ne sont pas une opposition sérieuse. Les idées qu’ils défendent ne diffèrent de celles de Valls que dans quelques détails ou dans le « dosage » de la politique d’austérité. Aubry et Hamon nient l’existence même d’une opposition. Ils veulent un « débat » autour de leurs propositions insipides. En substance, il s’agit d’une posture pour se dédouaner de la politique du gouvernement dans l’espoir d’éviter ses conséquences électorales.

Sur le plan électoral, la politique du gouvernement favorise la droite et l’extrême-droite, ainsi que des taux d’abstention très élevés. Des prévisions électorales sont toujours hasardeuses, mais la politique de Hollande ne peut que favoriser un retour de la droite au pouvoir avec, en parallèle, un élargissement de la base électorale potentielle du Front National. Des millions d’électeurs potentiels ne votent pas parce qu’ils n’espèrent plus rien des élus et des institutions. Et ils n’ont pas tort. L’hostilité et l’indifférence envers les institutions contiennent les germes d’une conscience révolutionnaire. Aucune solution ne viendra des élections et de la « classe politique ». Le « changement » viendra d’en bas, par un mouvement de la classe ouvrière. Quand le mouvement révolutionnaire commence, ses phases successives ne seront pas déterminées par le calendrier électoral et parlementaire, mais par l’action extra-parlementaire des travailleurs. De ce point de vue aussi, imaginer que de misérables projets de réforme constitutionnelle apporteront quoi que ce soit au mouvement ouvrier est tout à fait illusoire. Il s’avèrera impossible, une fois les vannes de la révolution ouvertes, de maintenir la lutte des classes dans les sillons « institutionnels », réformés ou pas.

Le PCF, le Parti de Gauche

A partir du milieu des années 90 et jusqu’en 2008-2009 environ, la direction du PCF tentait de mettre en place les conditions organisationnelles et psychologiques d’une dissolution du PCF, notamment avec la stratégie des « collectifs antilibéraux ». Avec l’effondrement des régimes prétendument communistes en URSS et en Europe de l’Est, et dans le contexte de l’offensive idéologique proclamant le triomphe définitif du capitalisme sur le communisme, la direction voulait se débarrasser de la référence au communisme. La majorité de la base, par contre, était contre la dissolution du parti et l’expérience pénible des « collectifs antilibéraux » ne pouvait que renforcer ceux qui voulaient maintenir le parti et son nom. La dégradation rapide de l’économie et la politique agressive du gouvernement Sarkozy ont discrédité le ralliement à « l’économie de marché » prôné par les instances dirigeantes. La mobilisation de masse contre la réforme des retraites a contribué à revivifier les sections. Avec la défaite de la lutte contre les retraites sur le plan syndical, des centaines de milliers de militants se sont tournés vers le plan politique. L’enthousiasme suscité par la campagne présidentielle autour de la candidature de Mélenchon, au cours de laquelle les militants avaient le sentiment de renouer enfin avec de larges masses de syndicalistes et de jeunes et de retrouver dans les discours du candidat les accents d’une politique « révolutionnaire »  – était sans doute la principale raison expliquant l’affaiblissement du score des textes oppositionnels au Congrès de 2012 par rapport à 2008.

Les désaccords entre le PCF et le PG lors des élections municipales ont brisé l’élan du Front de Gauche et les alliances électorales avec le PS provoquent questionnements et critiques. Malgré de grandes disparités dans l’état du PCF selon les villes et les régions, il a conservé une base militante considérable et constitue indiscutablement la force politique organisée la plus importante de la classe ouvrière. Les sections du parti qui ont une activité purement électorale ont tendance à se scléroser et décliner. Par contre, les sections qui s’impliquent de façon militante dans les luttes syndicales etc. parviennent à attirer de nouveaux adhérents et motiver les anciens. La radicalisation de la base de la CGT aura des répercussions positives dans le parti. Dans le parti et chez les Jeunes Communistes, il y a un regain d’intérêt pour le marxisme. Sur le plan idéologique, un travail sérieux, patient et constructif permettra de renforcer les idées du marxisme dans le PCF et chez les Jeunes Communistes.

Quant au Parti de Gauche, il a commencé avec quelques centaines d’adhérents, mais a connu une croissance fulgurante au cours de la campagne présidentielle. Depuis, ses effectifs sont en baisse, et se situent sans doute aux alentours de 7000, dont peut-être 3000 militants actifs. Les effectifs du PG sont donc en dessous de ceux du NPA à son apogée. Il est difficile de prévoir son évolution future. Pendant un certain temps, il ne semblait pas totalement inconcevable que le PG continue son ascension, mais cette perspective est très peu probable, désormais. Le PG n’est pas une secte, dans le sens où il se rattache à la tradition de l’aile gauche du PS. Mais compte tenu de la faiblesse de ses effectifs, ce n’est pas vraiment un parti solidement établi, non plus. A la différence du PCF, il n’a pas de base syndicale significative. Ses « réserves sociales » sont donc bien moins importantes que celles du PCF. Sans les communistes, la mobilisation pour la campagne présidentielle n’aurait pas eu la même ampleur. La prise de distance de Mélenchon et le lancement de son Mouvement pour une 6e République fragiliseront le PG. Il n’est pas impossible qu’il connaisse, à terme, le même processus de déclin et de désintégration qu’a connu le NPA.

La solution révolutionnaire

Les dangers qui guettent le mouvement ouvrier proviennent du système capitaliste, mais résultent aussi du caractère réformiste des partis et des organisations syndicales. Ces deux sources ne sont qu’une, au fond, puisque le réformisme n’est rien d’autre, finalement, qu’une  expression de la pression idéologique et matérielle de la classe capitaliste sur le mouvement ouvrier. Il n’y pas de spectacle plus désolant que la désintégration du réformisme parmi la ruine et la destruction des conquêtes et des espoirs du passé. Ordinairement, les travailleurs sont largement absents des « organisations de masse ». Mais  l’irruption en masse des travailleurs sur la scène de l’histoire aura un impact non seulement sur la composition sociale de ces organisations, mais aussi sur les tendances politiques qui s’y expriment. Les travailleurs tenteront de soumettre leurs organisations aux impératifs de la lutte, et auront à surmonter la résistance des éléments accrochés à la routine bureaucratique et parlementaire – et les privilèges qui vont avec. Le conflit entre les différentes tendances politiques, latent et contenu dans certaines limites ordinairement, sera exacerbé. C’est l’issue de cette lutte entre le réformisme et le marxisme révolutionnaire dans le mouvement ouvrier, qui tranchera le sort de la révolution, en France comme à l’échelle internationale. De sa résolution dépend le sort de la classe ouvrière et, finalement, de toute la civilisation humaine.

La lutte des classes sera menée essentiellement sur le plan extraparlementaire. Aucun « dépassement » graduel et paisible du capitalisme n’est possible. Le capitalisme ne peut être renversé qu’à l’issue d’une série de confrontations au cours desquelles les travailleurs auront l’opportunité d’infliger une défaite décisive à la classe capitaliste, de détruire des fondements de son pouvoir économique et étatique. L’expropriation de la propriété capitaliste des banques, de l’industrie et du commerce brisera la capacité de résistance des exploiteurs. En s’emparant de tous les rouages de l’économie, en remplaçant l’Etat capitaliste par un Etat issu de la mobilisation révolutionnaire de la classe ouvrière, il sera enfin possible de libérer la société de la tyrannie capitaliste et d’ouvrir une nouvelle ère dans l’histoire de l’humanité.

La période allant de 1789 à 1871 a été marquée par une série de révolutions – 1789-94, 1830, 1848 – qui ont à chaque fois abouti à la consolidation du pouvoir capitaliste. Certains épisodes de cette histoire révolutionnaire ont eu un caractère social – c’est-à-dire qu’ils ont liquidé la propriété aristocratique en faveur de la propriété bourgeoise, d’autres ont été politiques, ne changeant que le système de gouvernement sur la base des formes bourgeoises de propriété. La révolution que prépare l’évolution de la situation économique actuelle aura nécessairement un caractère social et politique. Le changement nécessaire bouleversera la base économique de la société par l’expropriation – et donc l’abolition – de la classe capitaliste et construira un nouveau système d’Etat, organisé par les travailleurs et pour les travailleurs.

 

Toute la situation inspirera aux travailleurs l’idée qu’un changement fondamental de la société est nécessaire pour changer les conditions de leur existence. Mais c’est précisément parce qu’il s’agit d’une lutte décisive et qui doit embrasser une force massive que l’initiative doit en revenir aux organisations syndicales et politiques de la classe. Cela concerne tout particulièrement la CGT, le PCF, SUD etc. C’est de ces organisations que doivent sortir un programme et des mots d’ordre clairs. Ce sont ces organisations qui doivent se mettre en ordre de marche pour la mobilisation et le combat qui nous attendent. Pour soulever les travailleurs, le parti doit s’engager lui-même, il faut lancer une campagne hardie d’agitation et de propagande révolutionnaire. Les dirigeants qui n’y croient pas, qui n’ont pas le courage ou la force de conviction nécessaires, devront céder la place à ceux qui auront les qualités requises. On ne peut pas exiger que des millions d’hommes et de femmes, sans parti, sans dirigeants, sans programme, engagent un combat pour changer la société, se perdant dans des combats dispersés pour des revendications isolées et partielles.

 

Notre analyse de la situation en France ne part pas de schémas doctrinaires, ni du « niveau de conscience » – quoique cela puisse signifier – des différentes classes sociales, mais des conditions économiques et sociales objectives. La crise économique imposera une dégradation permanente des conditions d’existence de la masse de la population. Cette réalité provoquera tôt ou tard une explosion de la lutte des classes. A terme, elle aboutira à une  situation révolutionnaire. Une conclusion victorieuse de la révolution briserait le pouvoir économique et institutionnel de la classe capitaliste et placerait la direction de la société entre les mains du salariat. Cependant, la réussite de la révolution n’est pas garantie d’avance. Dans le contexte des perspectives qui se dessinent pour les prochaines années, plus que tout autre considération,  la politique du mouvement ouvrier sera le facteur décisif.

 

La propriété privée des moyens de production est entrée en contradiction avec la technique moderne. Les intérêts des capitalistes se dressent comme un obstacle incontournable à l’utilisation des moyens de production existants pour la satisfaction des besoins de la société. Ce sont ces intérêts qui sont à l’origine des crises et des guerres. Il n’y a pas la moindre perspective d’un changement positif sur cette base. Le marché, les banques, la Bourse décident, et les gouvernements – qu’ils soient de « gauche » ou de « droite » – ne font que s’adapter par des palliatifs a posteriori. Pour le mouvement ouvrier, la liquidation de la propriété privée des moyens de production est la tâche centrale de notre époque. La réalisation de cet objectif exige tout d’abord qu’il soit clairement formulé, et doté d’une stratégie de lutte et d’une direction du mouvement ouvrier à sa hauteur. Ce n’est que par l’accomplissement révolutionnaire de cette transformation que naîtra une société nouvelle et plus harmonieuse, dans laquelle pourront enfin s’épanouir toutes les facettes de la créativité et de la personnalité humaine.

 

La Riposte

 

Le 21 janvier 2015

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