L’Oligarchie est encore debout en Bolivie

La Bolivie est un pays plein de ressources. Mais, en même temps, au début des années 2000, sa population était de loin la plus pauvre du continent américain.

Depuis 1985, le Fond Monétaire International (FMI) a accordé de nombreux prêts à ce pays criblé de dettes. Cependant, la contrepartie de ces prêts fut l’instauration de mesures pro-capitalistes : privatisations et baisses du taux d’imposition des multinationales. A la place du développement, pourtant promis en échange de sacrifices, plus d’un million de personnes ont été jetées dans la pauvreté. Lorsque les deuxièmes plus grandes réserves de gaz d’Amérique du sud ont été découvertes à la fin des années 1990, beaucoup de boliviens espéraient que cela serait un moyen de les sortir de la pauvreté.

Les dirigeants politiques boliviens, agissant sous la pression directe du FMI, décidèrent d’exporter le gaz vers les Etats-Unis via le Chili. La population, voyant cela comme le début d’un nouveau pillage du pays, descendit dans la rue, épisode connu sous le nom de « la guerre du Gaz ». Au final, le président de l’époque, Gonzalo Sanchez de Lozada fut contraint à la démission par une insurrection révolutionnaire, durant laquelle il ordonna à l’armée de tirer sur la foule manifestante. Le bilan fut de 73 morts et plus de 400 blessés. Parmi les revendications dans « l’Agenda d’Octobre », il y avait la nationalisation complète et l’industrialisation des ressources naturelles, une assemblée constituante et une réforme agraire pour régler le problème de l’immense pouvoir des grands propriétaires terriens.

En juin 2005, un second Président dut écourter son mandat car la Guerre du Gaz avait repris de nouveau.

Dans El Alto, épicentre de la contestation, des centaines de milliers de personnes se rassemblèrent afin de former des organes démocratiques et populaires pour agir en tant que moteur de la révolution. Cependant, le Président par intérim Eduardo Rodriguez a organisé des élections. Les centrales syndicales rejetèrent ces élections, y voyant une tactique de diversion dans une situation révolutionnaire. Le dirigeant des agriculteurs de coca, Evo Morales, salua la convocation de ces élections. Ce parti est arrivé à combler le vide que la COB, le plus grand syndicat du pays, avait laissé en se tenant à l’écart de ces élections. Les mouvements sociaux donnèrent à Evo Morales une large victoire en décembre 2005. Les organisations sociales boliviennes sont principalement constituées par les syndicats, les organisations paysannes, les organisations indigènes, les femmes au foyer, les petits commerçants et les comités de quartier.

L’oligarchie jouait sa survie même. Avec le soutien de l’organisation de jeunesse fasciste « Union de Jeunesse de Santa Cruz », elle tenta de briser toute opposition politique et ouvrit la voie à une scission du pays. A l’apogée de cette situation, pendant l’été 2008, la Bolivie était au bord d’une véritable guerre civile. Les bandes fascistes avaient déclenché une violente émeute dans les régions de l’Est, où elles prirent le contrôle de toutes les institutions publiques et attaquèrent physiquement les organisations sociales dans les villes. Le processus de changement ne fut sauvé que par une insurrection révolutionnaire, dans laquelle les mineurs, les organisations paysannes et étudiantes ont marché sur Santa Cruz, tandis que les populations pauvres se sont héroïquement défendues faces aux attaques fascistes. Le 11 septembre, dans la région de Pando, des paysans pauvres furent massacrés alors qu’ils manifestaient : 18 morts et une trentaine de « disparus ».

La constitution qui fut adoptée par la majorité des 2/3 en 2009 avait encore un certain nombre d’éléments positifs, mais n’a pas permis d’ouvrir la voie à une expropriation de la majorité des « latifundios » (grands propriétaires fonciers) dans la partie orientale du pays. La limite maximale de possession de terres n’était plus rétroactive. Cela impliquait que 59 des 65 millions d’hectares de terres agricoles arables, qui sont entre les mains de quelques centaines de riches familles, ne pouvaient toujours pas être inclus dans la réforme agraire.

Au cours de tous ces conflits, il devenait plus évident que se déroulait une lutte entre deux courants idéologiques au sein du MAS. L’un voit le parti comme un outil au service des mouvements sociaux, parle d’anti-impérialisme, de nationalisations et d’unité latino-américaine. L’autre veut s’arranger avec l’oligarchie et maintenir sous contrôle les organisations sociales.

La nationalisation partielle des gisements de pétrole et de gaz a multiplié les revenus de l’Etat.

Pour cette raison, le PIB de la Bolivie a triplé entre 2005 et 2013, tandis que les investissements publics sont passés dans la même période de 500 millions à 3 milliards d’euros. Le salaire minimum est passé de 440 à 1200 bolivianos (50 à 138 euros), bien que les calculs de la COB montrent qu’un ménage a besoin d’au moins 4000 bolivianos (460 euros) pour payer les coûts les plus élémentaires. Dans le même temps, les bénéfices pour les banques et les entreprises privées sont en hausse. Les conditions sociales de la population rurale sont toujours en proie à la pauvreté généralisée et le manque de produits de première nécessité, tels que l’eau potable, les égouts, l’électricité.

Pour résumer la situation, le processus de changement a porté au pouvoir un représentant des mouvements sociaux. Seulement, le pouvoir économique reste entre les mains de l’oligarchie traditionnelle. Elle garde la main sur les mines, les banques, les usines et la quasi-totalité des terres arables. Les structures de l’Etat bourgeois sont ainsi restées intactes.

La victoire d’Evo Morales aux élections du 12 octobre dernier lui accorde un troisième mandat au gouvernement. Comme en 2009, son parti, le MAS, a obtenu plus de 60% des sièges à l’Assemblée nationale et au sénat, et arrive en tête sur huit des neuf régions boliviennes. Ce résultat montre l’ampleur du soutien populaire pour le « processus de changement » engagé par Morales, mais il y a aussi des signes inquiétants. Le MAS qui a été créé sur la base d’une vague de luttes sociales, a accordé des candidatures à des capitalistes et des grands propriétaires terriens, ainsi qu’à d’anciens politiciens de droite. Ceci a suscité de vives critiques à l’intérieur comme à l’extérieur du parti. Le taux d’abstention aux élections a augmenté et jusqu’à 30% des électeurs ont voté « blanc » dans les zones rurales pauvres et dans les régions minières les plus importantes – un taux deux fois plus élevé qu’en 2009. Le MAS a particulièrement souffert dans les circonscriptions où il a présenté des candidats de droite, proches des intérêts capitalistes. Il n’est pas possible de défendre les intérêts capitalistes et de défendre en même temps ceux du peuple. L’avenir de la révolution bolivienne – que l’on appelle « processus de changement » – dépend de la capacité de la base du MAS et du mouvement ouvrier à corriger la dérive droitière en cours et empêcher l’infiltration du parti par des éléments contre-révolutionnaires qui veulent faire « dérailler la révolution de l’intérieur ».

Jeppe Krommes-Ravnsmed

Militant « Liste Unitaire »

Danmark

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