Combativité et solidarité sur le port de Rouen

En nous relatant la situation sociale et économique du Grand Port maritime de Rouen, un lecteur régulier de notre journal, Thierry Breton, délégué syndical CGT du Port de Rouen, nous a convaincus qu’il était de la plus haute importance d’informer de la lutte exemplaire qui s’est déroulée dans les ports de France. Nous avons donc rencontré le secrétaire général CGT du Port de Rouen, Fabrice Lottin, et le secrétaire du Comité d’Entreprise, Jean-Louis Petit, élu CGT. Ces militants représentent ce qui se fait de mieux en matière de combativité et d’expérience chez les travailleurs et cependant ils se considèrent avec humilité comme les « petits » parmi la Fédération Nationale des Ports et Docks CGT.

Le capitalisme engloutit dans les ports tout ce qui peut être source de profits. La casse du statut des dockers, régi depuis 1947, date de 1992, rappelle Jean-Louis. A l’époque, on comptait à Rouen 2000 dockers « carte G ». Ils ne sont maintenant plus que trois. Cette carte de garantie leur permettait de pallier l’irrégularité de leurs revenus, liée à celle des trafics portuaires, en recevant une indemnité pendant les périodes de chômage. Tous les habitants de la région ont le souvenir de la lutte acharnée qu’ont menée les dockers pour défendre ce statut, en se servant des piles de conteneurs comme de souricières pour les CRS, se battant à coup de barre de fer, et munis de masques à gaz. Cela a marqué les esprits, se souvient Thierry. Ils défendaient un niveau de salaire en rapport avec leurs conditions de travail : 6 jours sur 7, samedi et dimanche inclus, en horaires décalés, mise en place pour les dockers de barres de fer de 16 à 30 kg chacune pour le maintien des conteneurs sur le bateau pendant la navigation, travail pour les grutiers à plus de 40 mètres de hauteur avec des secousses dans tous les sens, et ce quelles que soient les conditions météorologiques, avec tous les accidents que les ports ont connus.
A cette époque de paralysie des ports français, l’État a mis le paquet au niveau financier, en empruntant comme à Rouen des millions et des millions de francs… pour faire partir les dockers et casser la CGT ! La somme est tellement importante sur Rouen que 10 ans après, le port payait encore les intérêts de ces emprunts, nous confie Jean-Louis.

Promesses non tenues

La réforme de 2008 était censée apporter 30 000 emplois. Or, le constat est que les effectifs sont en baisse. Jean-Louis déclare avec lucidité que cette réforme de 2008 a consisté à affaiblir les établissements portuaires publics en faveur de boîtes privées. Fabrice explique que la privatisation des engins et outillages publics s’est faite à des prix défiant toute concurrence, et que non seulement les engins ont été bradés à très bas prix, mais qu’ils sont depuis, peu ou mal entretenus, que le taux de panne est élevé. Jean-Louis s’alarme qu’un tel taux de panne génère un coût d’immobilisation important pour les bateaux et que la conséquence est la perte de lignes maritimes pour le port de Rouen, affectant ainsi l’emploi et l’économie de la région. Par exemple, le terminal conteneurs de Moulineaux a perdu plusieurs lignes régulières.

Fabrice enfonce le clou en racontant que le matériel a été vendu sous garantie aux boites de manutention, que le matériel a été dépanné pendant le temps de la garantie, mais surtout qu’il a continué à être dépanné bien au-delà de la durée de la garantie. Cela fait partie des cadeaux que le public fait aux boites privées sur le port. Thierry donne un exemple concret avec une grue sur pneus qui a été vendue 50 000 euros (au prix de la ferraille) à une entreprise privée qui l’a aussitôt revendue 150 000 euros pour l’Égypte, pour être réutilisée.

Il y a sur le port plusieurs sociétés de manutention, qui emploient des salariés dont les conditions de travail s’avèrent bien inférieures à celles existant auparavant pour les dockers. Cette réforme de 2008 n’a rien apporté d’autre à ces salariés que des emplois mal payés au regard de leur travail.

Privatisations et profits

Il y a cependant une personne qui se trouve être le premier profiteur de la réforme de 2008 : c’est Bolloré, l’ami de Sarkozy. Le port de Rouen se situe sur l’axe nord-sud et représente une plate-forme d’import-export pour les destinations telles que les pays africains et les ports de l’océan Indien. Mais surtout le port de Rouen occupe une situation stratégique, proche du bassin parisien. Bolloré représente le 1er réseau de manutention portuaire en France et un réseau très puissant de terminaux portuaires et de lignes ferroviaires en Afrique : pratiquement tous les terminaux du Golfe de Guinée lui appartiennent, par exemple. Vincent Bolloré est l’une des dix premières fortunes de France.

Le Port de Rouen fait bien la preuve que les réformes, telles que celle de 2008, sous couvert de compétitivité, détériorent les conditions de travail des salariés, mais profite aux actionnaires et aux plus grandes fortunes de France. Pour se protéger contre ces offensives, les salariés n’ont que leurs organisations syndicales, comme la CGT. C’est pourquoi les réformes exigées par les capitalistes ont parmi leurs objectifs principaux de casser la CGT. Même bien implantée, même si c’était l’un de ses bastions dans la région, la CGT a failli sombrer et disparaître du Port de Rouen, s’il n’y avait eu le courage de syndicalistes comme Jean-Louis, Fabrice, Thierry ainsi que tous les camarades qui les entourent. Quand on les voit ensemble, on ressent la solidarité entre eux.

La lutte sur le Port de Rouen demande à ces syndicalistes de l’abnégation et souvent le sacrifice de leur temps personnel, des soucis pendant leur temps de repos. La vie de famille en subit parfois les conséquences. Et pourtant, comme ils le disent : « Il faut être unis. » La direction pratique une politique anti-CGT, monte les salariés les uns contre les autres selon leur devise préférée : diviser pour mieux régner. Pour Fabrice, il faut « ouvrir les yeux des autres salariés pour des actions coordonnées ».
En effet, c’est le sentiment qui les anime. C’est tous ensemble qu’ils ont envie de mener la lutte. C’est tous ensemble qu’ils veulent défendre les acquis des uns et des autres, afin d’améliorer leur quotidien et empêcher de nouveaux reculs.


L e 4 février, à l’appel de l’International Dockworkers Council (IDC), les travailleurs CGT des Ports et Docks ont effectué une grève de 2 heures, en solidarité avec des camarades portugais. En effet, la situation dans les ports portugais, notamment celui de Lisbonne, alarme les travailleurs européens des Ports et Docks. La réforme portuaire au Portugal imposée en 2012 par la Banque Centrale Européenne, la Commission Européenne et le Fonds Monétaire International, afin que le gouvernement portugais obtienne une aide financière, conduit à des mesures dévastatrices en ce qui concerne les conditions de travail. Le patronat a notamment, à Lisbonne, créé un « second pool » (bureau de la main d’œuvre) afin de remplacer les travailleurs majoritairement syndiqués par des travailleurs précaires non formés et non syndiqués. Dans le même temps, le patronat a licencié 47 dockers dans le Port de Lisbonne, qui ont finalement été réintégrés suite à la mobilisation des dockers en Europe, en Amérique et en Afrique.

Les camarades portugais ont demandé aux employeurs de ne plus utiliser ce « second pool » et doivent informer les camarades de tous les ports européens des navires qui seraient éventuellement travaillés par les dockers du « second pool » afin de les pénaliser.

Quant au gouvernement portugais, sous couvert d’améliorer la compétitivité des ports, il souhaite instaurer des contrats de travail temporaires et favoriser les emplois intermittents en fonction des nécessités de chaque port.

Face à une telle politique, aujourd’hui dans les ports au Portugal et demain dans tous les ports en Europe, les dockers font la preuve que pour la combattre, il faut dépasser les frontières et se montrer prêts à défendre les conditions de travail de tous les dockers, quelle que soit leur nationalité.

Eric Jouen (CGT 76 – PCF Barentin)

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