22 mars 2014 : un million de manifestants à Madrid. Et maintenant ?

Ecrit par Lucha de Clases mardi 25 mars 2014


La marche de la dignité à Madrid le samedi 22 mars pour du « Pain, un toit et du travail » a été un événement politique colossal. Il a montré les mêmes caractéristiques massives d’euphorie et de combativité que nous avions vues dans les mobilisations des « indignés », des « marées », des grèves générales, etc. La manifestation du 22M a pu compter sur la participation de centaines de milliers de personnes ; probablement, près d’un million, venues de tous les coins du pays. Face à une démonstration de force d’une telle ampleur, que faire maintenant ?

Près d’un millier de bus sont arrivés à Madrid (600 rien que d’Andalousie, qui fut la composante régionale la plus importante de la manifestation, après Madrid) et de nombreux trains sont arrivés pleins de Galice, des Asturies et de Catalogne. Des milliers de personnes se sont aussi déplacées à travers tout le pays en voiture. Mais, sans aucun doute, la composante principale des participants vint des zones ouvrières de la ceinture industrielle de la Communauté de Madrid et des provinces proches.

Quoiqu’il en soit, ce fut une bonne initiative d’anticiper la manifestation centrale à Madrid avec la mise en marche de 6 colonnes de militants marchant depuis les zones périphériques du pays pour converger vers Madrid, alimentant l’ambiance, et faisant de la publicité pour la mobilisation et ses objectifs.

Le trait particulier de cette mobilisation est qu’elle ne fut ni convoquée ni organisée par les grands appareils, qu’elle n’a même pas été reprise par les moyens de communication bourgeois jusqu’à l’avant-veille, où elle fut mentionnée comme une information secondaire de peu d’importance.

Cette attitude des médias n’est pas anodine. A la différence des mobilisations de masse des années 2011-2012, où prédominaient – surtout parmi la jeunesse et dans des secteurs récemment éveillés à la lutte — certains éléments de naïveté et d’apolitisme qui étaient célébrés avec hypocrisie et condescendance par la presse bourgeoise « progressiste », la mobilisation du 22M fut organisée dans tous ses aspects par des groupes politiques et des mouvements sociaux liés à la gauche clairement anticapitaliste, de tailles et d’influence diverses. Ceci représente un danger pour la classe dominante.

Les « Plateformes pour les marches de la Dignité » qui organisèrent la marche à Madrid du 22 mai regroupaient des organisations syndicales comme le SAT, la CGT, Intersyndical, etc. ainsi que des secteurs de CCOO, des unions provinciales comme La Rioja. Elles comprenaient aussi des mouvements sociaux comme la Plateforme des victimes des hypothèques (PAH), les marées vertes et blanches, diverses organisations de voisins, et des mouvements et organisations politiques comme le Front civique et Izquierda Unida.

Une mobilisation de gauche, de classe et républicaine

Toute la rhétorique attardée et réactionnaire de l’ « antipolitique », du « ni gauche, ni droite », et de la « citoyenneté », a été défaite par ce mouvement. Toutes les organisations de gauche, sociale ou de classe, ont pu participer dans une atmosphère de pleine liberté et de respect en exposant leurs idées, et ont pu contribuer ainsi par leur participation au succès de la mobilisation, sans avoir à passer par le péage idéologique inquisiteur « anti-gauche » que nous vîmes dans certaines mobilisations du défunt mouvement du 15M — que certains secteurs essaient lamentablement de ressusciter.

Malheureusement, les organisations nationalistes de gauche de Catalogne, et du Pays basque, le BNG et le syndicat CIG dans le cas de la Galice, refusèrent de s’impliquer dans ce mouvement, ce qui fut une erreur. Pour que triomphe la cause des droits démocratiques nationaux dans ces zones, il faut gagner à sa cause l’appui et la sympathie de la majorité de la classe ouvrière et de tous les secteurs exploités du reste de l’Etat. Participer à la marche du 22M aurait contribué à cela. Quoi qu’il en soit, cela démontre les limites et les contradictions de ces groupes craignant d’être dilués dans le mouvement doté d’un contenu profondément unitaire et de classe, où ses bases auraient fraternisé avec les travailleurs et les autres secteurs populaires du reste de l’Etat.

Cependant, les « Plateformes pour les marches de la Dignité » ont effectivement assumé la défense des droits démocratique-nationaux de ces nationalités, ce qui s’est exprimé par la participation pendant l’évènement, à la fin de la manifestation du 22 mars, d’orateurs en langue catalane, basque et galicienne qui furent applaudis par des centaines de milliers de personnes sur place.

Il est apparu aussi clairement que la mobilisation du 22M a assimilé l’impact des conflits ouvriers des derniers mois, exprimés par la vague de grèves indéfinies dans des dizaines d’entreprises et par les explosions sociales locales comme celle de Gamonal, en assumant clairement un caractère de classe. Le cri « Vive la lutte de la classe ouvrière » a été scandé à intervalles par la foule.

Une caractéristique remarquable de la manifestation du 22 mars fut la mer de drapeaux républicains qui peuplaient la mobilisation. Même dans les années de la Transition – à cause de la politique néfaste des directions du PCE et du PSOE d’alors, quand ils embrassèrent la Monarchie et son drapeau – le républicanisme n’avait atteint l’extension massive qu’il a aujourd’hui ; le drapeau tricolore s’est transformé en un drapeau de lutte et un compagnon inséparable de toute mobilisation sociale, même la plus petite.

Une autre caractéristique importante fut le rôle révélateur d’Izquierda Unida dans la manifestation, qui refléta la grande implication de l’organisation dans tout l’Etat pour contribuer au succès de la Marche vers Madrid. De loin, IU fut l’organisation politique et sociale la plus visible et la plus présente de la manifestation, faisant preuve d’une importante force d’organisation.

Pour conclure, le mouvement du 22M s’est érigé comme l’héritier direct, et actuel noyau, des grandes mobilisations et mouvements sociaux des années 2011-2013, qu’ils ont dotées d’un contenu de classe indéniable et d’un profil politique clairement de gauche. C’est tout un processus extraordinaire d’évolution et de maturation.

Le rôle du SAT et de Diego Cañamero

Il faut reconnaître le rôle joué par le Syndicat Andalou des Travailleurs (SAT) et de son principal dirigeant, Diego Cañamero, dans l’articulation du mouvement des « Marches de la dignité ». Cela fut possible grâce à son rôle célèbre dans les luttes sociales en Andalousie, qui leur conféra une grande autorité dans les mouvements sociaux surgis dans tout l’Etat avec la crise ; mais aussi par ses liens avec la gauche organisée (comme le mouvement de Front civique ou Izquierda Unida) et ses secteurs nationalistes de gauches en Catalogne, au Pays basque et en Galice.

Ce rôle charnière du SAT et de Cañamero avec les différents courants et mouvements, et son autorité, ont été importants pour vaincre les appréhensions et suspicions internes dans un mouvement qui a été capable de regrouper 300 organisations différentes. Cañamero s’est battu sans répit pour l’unité du mouvement et il est un dirigeant naturel de la classe ouvrière d’une honnêteté incorruptible, doté aussi d’une grande capacité d’orateur. Il n’est pas anodin, alors, que Diego Cañamero, ait émergé comme la figure la plus remarquable et indiscutablement respectée de ce mouvement, et que ce fut lui qui clôtura le meeting de la fin de la manifestation.

Dans son discours d’hier, Cañemero a clairement identifié le mouvement du 22M avec la gauche, il a appelé à l’unité et à articuler un grand front politique, qu’il a nommé « front populaire ». Il a qualifié le gouvernement PP, de descendants de ceux qui firent le coup d’état militaire de 1936 et « qui ont laissé nos grands-parents dans les fossés avec une balle dans la nuque ». Il a à juste titre qualifié de sarcasme une démocratie qui condamne des millions au chômage, à la pauvreté, et au manque de logement, alors que les décisions fondamentales sont prises par une poignée de grands patrons et banquiers contre les intérêts de la majorité de la population. Il a proclamé que pour qu’il existe une véritable démocratie « l’économie doit être sous le contrôle du peuple ». Ces positions sont très proches de l’alternative que nous proposons en tant que marxistes sur la nécessité d’exproprier les grands banquiers, patrons et propriétaires terriens, sous le contrôle des travailleurs, et ainsi de planifier l’économie pour répondre aux nécessités sociales de l’immense majorité.

A la fin de la manifestation – comme l’on pouvait s’y attendre, et c’est courant – la police a organisé des troubles dans la rue via ses infiltrés encagoulés. Ils ont ainsi eu l’excuse pour attaquer les manifestants qui se trouvaient à l’arrière et arrêter une vingtaine d’activistes, et permettre au gouvernement et aux médias de remplir les écrans de télé d’images de violence pour amoindrir l’impact de la mobilisation de masses et tenter de la discréditer.

Les plaintes des portes-voix des syndicats de policiers sur les blessures et l’angoisse vécue par certains policiers impliqués dans la répression paraissent assez hypocrites. Ces mêmes personnes justifient la violence et les abus les plus brutaux contre des manifestants sans défense, et se taisent contre l’infiltration policière destinée à promouvoir ces incidents et la violence qui en découle.

Et maintenant ?

Comme nous le disions dans une déclaration antérieure, la mobilisation massive des Marches de la dignité à Madrid sera retenue comme une des grandes luttes sociales de l’année. Le 22 mars, nous avons montré notre force – et quelle force ! Il ne fait aucun doute que la classe dominante soit inquiète.

Rien ne fait plus peur à la classe dominante que de voir la classe ouvrière, la jeunesse, les voisins des quartiers et des petites villes, dans la rue, et organisés.

C’est pourquoi il s’agit à présent de se demander comment continuer la lutte. Ne laissons pas cette énorme force que nous avons accumulée se dissoudre et disparaître !

Lucha de Clases veut contribuer à ce débat avec les propositions suivantes :

* Organiser immédiatement dans nos villages, quartiers et villes des assemblées ouvertes des « Plateformes pour la Marche de la dignité » pour faire un bilan de la mobilisation et de la marche à Madrid du 22 mars.

* Donner une suite à ces Plateformes. Les convertir en organismes de front unique auxquels participent toutes les organisations et militants des mouvements sociaux, syndicaux et de gauche qui veulent s’y joindre. Son rôle devrait être de soutenir et d’organiser des mesures de solidarité avec toutes les luttes où qu’elles se fassent au niveau local, régional et national ; coordonner la protestation sociale contre les restrictions budgétaires ; soutenir les détenus et les réprimés dans les mobilisations, récolter de l’argent pour les grèves, etc. En définitive, les convertir en Plateformes d’Organisation ouvrière et populaire, à niveau local, provincial, des autonomies et national. Ce serait la meilleure manière de contribuer à en finir le plus tôt possible avec le gouvernement du Parti Populaire.

Le rôle de UGT (Union générale des travailleurs) et des CCOO (Commissions Ouvrières)

En réalité, le véritable soutien du gouvernement du PP n’est pas sa base sociale, assez limitée, et moins encore le soutien à sa politique ; mais bien l’absolue passivité des dirigeants syndicaux et du PSOE, qui sauf quelques plaintes verbales acceptent comme inévitables les attaques du gouvernement. En réalité ces dirigeants n’ont pas d’alternative à la politique du PP. En acceptant la prémisse fondamentale de la propriété privée des grands leviers de l’économie (l’industrie, la terre, les banques, le commerce), ils acceptent dès lors que l’économie soit subordonnée à l’obtention de bénéfices pour une minorité de parasites, et ils sont obligés d’accepter les conséquences de la crise capitaliste et que ce soient les travailleurs qui payent ladite crise.

Avec la force de la classe ouvrière mobilisée, luttant pour un programme clair de transformation sociale, il serait possible de soulever la majorité de la société pour faire tomber le gouvernement réactionnaire du PP et revenir sur toutes les attaques.

La responsabilité des plus grands dirigeants de l’UGT et des CCOO dans la paralysie des luttes de la classe ouvrière et sa dispersion est évidente. C’est un fait regrettable que l’autorité des syndicats soit au niveau le plus bas que l’on n’ait jamais connu.

Mais il existe un autre danger dans cette situation. C’est que la couche de militants les plus avancés déprécie le rôle des syndicats, et même les place dans le camp ennemi. Ce serait une grave erreur.

UGT et CCOO sont un patrimoine de la classe ouvrière espagnole. Elles furent créées par les travailleurs suite à d’énormes sacrifices. Elles sont un levier puissant pour organiser les travailleurs, pour les relier et les unir au-delà des différences régionales, nationales, de sexe, d’emploi et d’activité économique. Plus encore, les luttes les plus significatives que nous avons vues ces derniers mois dans différentes entreprises et secteurs (balayeurs de Madrid, Coca Cola, ALSA, enseignants, bus, métal, etc.) ont été portées par les sections syndicales de l’UGT et des CCOO, avec d’autres syndicats plus petits. Il ne s’agit pas de tourner le dos à l’UGT et aux CCOO, mais de les reconquérir pour la lutte des travailleurs. Il s’agit d’organiser des courants d’opposition parmi leur base militante qui propose une direction alternative aux directions les plus bureaucratiques et passives qu’ils ont en face.

C’est pourquoi ces Plateformes d’Organisation ouvrière et populaire peuvent jouer un rôle très important en accélérant ce travail, en s’impliquant dans les conflits ouvriers, en se proposant aux travailleurs et sections syndicales de l’UGT et des CCOO pour collaborer, organiser des campagnes de solidarité, etc. Cela forgerait des liens étroits avec la couche la plus active des syndicats et renforcerait la formation de courants d’oppositions combatifs en leur sein.

Quel programme :

Lucha de Clases se joint au mot d’ordre « Pain, toit et travail ». Mais la réalité c’est qu’aujourd’hui ce système capitaliste est incapable de satisfaire les demandes basiques pour l’ensemble de sa population, ni dans l’Etat espagnol, ni dans aucun des pays du monde. Telle est la vérité.

Il est impossible d’avancer d’un pas dans la résolution d’aucun de ces problèmes si la grande propriété capitaliste de l’industrie, de la terre, des banques et du commerce est laissée intacte.

2 millions de personnes ont besoin d’un logement en Espagne, mais 3 millions de logements sont vides aux mains des banques, immobiliers et promoteurs. De ce fait, la solution au problème du logement passe par l’expropriation de ces logements vides et leur vente ou leur location à ceux qui en ont besoin pour une hypothèque ou un loyer social qui ne dépasse pas, par exemple, 15 % des revenus familiaux ; vu que notre objectif n’est pas de faire du commerce avec la faim des familles – comme le font les banques et les grands patrons – sinon de satisfaire les nécessités sociales. Il est impossible de donner du travail à tout le monde sans répartir le travail entre tous. Mais, qui oblige les grandes et petites entreprises à réduire la journée de travail sans réduire les salaires pour que tout le monde travaille ? D’où sortir l’argent pour donner un revenu de base aux chômeurs sans prestations ?

Il s’agit de faire le lien entre les demandes les plus élémentaires en matière d’emploi, de salaire et de logement, avec la revendication plus générale de propriété collective, socialiste et gérée démocratiquement par les travailleurs eux-mêmes, des leviers fondamentaux de l’économie et de la richesse générée par le travail de la classe ouvrière.

Nous ne devons pas seulement prendre en compte les revendications économiques, il faut aussi poser les demandes politiques en faveur de la plus grande démocratie possible de la vie sociale. Entre autres, ces revendications devraient poser l’exclusion des fascistes et des réactionnaires de l’appareil d’Etat, l’union volontaire des peuples et des nationalités qui composent l’Etat espagnol, la suppression des privilèges dynastiques de la famille Bourbon et de la monarchie elle-même ; où l’établissement d’une république démocratique et fédérale qui sauvegarde la propriété commune des secteurs clefs de l’économie ; c’est-à-dire, une République socialiste. C’est pourquoi nous proposons :

* Ne PAS payer la dette.

* Empêcher les expulsions des habitations. Exproprier sans contrepartie financière les logements vides des banques et des promoteurs immobiliers pour un loyer social (15 % des revenus familiaux).

* Allocation chômage et revenu de base pour les chômeurs sans prestations sociales, égales au salaire minimum.

* Annuler la réforme du travail et toutes les lois réactionnaires du Parti Populaire.

* Répartir le travail, semaine de travail de 35 heures sans réduction salariale. Nationaliser sans indemnisation les entreprises qui ferment ou licencient des travailleurs.

* Non à l’emploi précaire. Poste fixe à partir de 15 jours.

* Augmentation salariale automatique avec la montée des prix. Salaire minimum à 1000 euros.

* Annuler les ajustements de salaires

* Nationaliser sans indemnisation, sauf pour les petits actionnaires et épargnants, les banques, les grandes entreprises, les monopoles et les propriétaires terriens, sous contrôle ouvrier.

* Purger les fascistes et les réactionnaires de l’appareil d’Etat : Police, Garde civile, armée, Justice, Administration centrale et ministères.

* Droit à l’autodétermination pour la Catalogne, le Pays basque et la Galice.

* Pour l’union volontaire des peuples ibériques. Pour une république socialiste et fédérale.« »

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