La grande grève des mineurs de 1948

Depuis plus de 60 ans, des mineurs se battent pour faire reconnaître l’injustice de leur licenciement. En 1948, ils avaient été près de 3 000 à être licenciés en représailles à la grande grève de la même année. Mais encore une fois, la justice n’est pas la même pour tous. Alors que Bernard Tapie a reçu 220 millions d’euros d’« indemnités » pour lesquels l’Etat ne fait pas appel, le gouvernement vient de former le 23 mai dernier un pourvoi en cassation contre le versement d’indemnités à 17 familles, pour un montant total de 520 000 euros !

La grève des mineurs de l’automne 1948 est l’un des grands épisodes du mouvement ouvrier français. Mais ce sont bien les vainqueurs qui écrivent l’histoire, et cette lutte est très peu connue. A l’époque, la France comptait plus de 300 000 mineurs, dans les grands bassins du nord, mais aussi dans le sud. En 1941, les mineurs avaient déjà mené une grève contre l’occupant nazi.

En 1947, de grandes grèves éclatent pour protester contre le rationnement et la dégradation des conditions de vie. Partant de la régie Renault de Boulogne-Billancourt en avril, elles s’étendent fortement après l’exclusion du PCF du gouvernement, pour culminer à l’automne. Plus de 27 millions de journées de travail seront perdues en 1947 (contre 374 000 en 1946). Dans le climat de guerre froide naissante, les capitalistes font tout pour détruire le mouvement syndical. Le ministre de l’Intérieur, Jules Moch (SFIO), sera le bras armé de cette offensive. Les commissaires de la république (créés à la Libération) se voient dotés de pouvoirs civils et militaires. Des troupes d’occupation en Allemagne sont rappelées. Des membres de la CGT font scission et créent la CGT-Force Ouvrière. L’OSS, précurseur de la CIA, était impliquée dans cette scission, pour « créer en France […] des syndicats non communistes afin d’affaiblir la CGT », comme l’expliquait Irving Brown, dirigeant du syndicat américain AFL-CIO et, parallèlement, agent de la CIA.

A l’époque, la Fédération nationale du sous-sol (FNSS) est l’une des plus importantes et influentes fédérations de la CGT. Jules Moch met tout en œuvre pour la réduire à néant. Dans ce climat tendu, où la vie quotidienne est de plus en plus dure, les décrets Lacoste de septembre 1948 mettent le feu aux poudres. Ils prévoient une baisse des rémunérations, le transfert de la gestion des accidents du travail et maladies des mains des sociétés de secours minières à la direction des houillères, et enfin la diminution de 10 % des effectifs de jour.

En 1950, Robert Lacoste, ministre de l’Industrie, expliquera très bien la situation : « De combien de millions de tonnes devra-t-on réduire notre extraction ? De combien faudra-t-il réduire les effectifs miniers ? Je ne veux pas avancer de chiffres. Je laisse le soin aux techniciens de le déterminer. En tout cas, nous en savons assez pour déclarer qu’il faut se résoudre à une réalisation progressive du Pool Charbon-Acier (appelé aussi plan Schuman) accompagné de mesures destinées à en amortir les incidences sociales dans les mines. Voici longtemps que j’ai prévenu les mineurs de l’éventualité du renversement de la situation dans nos mines, par suite de la concurrence du fuel et de l’abaissement des prix des charbons importés. »

Le 30 septembre, pour la première fois, la FNSS organise une consultation à bulletin secret dans tous les bassins miniers. Sur les 259 204 mineurs présents dans les puits et services de surface, au moment du vote, plus de 84,4 % des votants se prononcent pour la grève. 9,7 % se prononcent contre et 5,9 % s’abstiennent. Le 4 octobre, 340 000 mineurs sont en grève dans toute la France. C’est le début d’un mouvement qui va durer 56 jours.

Le 7 octobre, le mineur Jansek, de Merlebach, est assassiné à coups de crosse par les CRS, créés en 1944. Les forces de l’ordre occupent les bassins. Pour protester, la FNSS décide de suspendre pendant 24 heures les mesures de sécurité qui empêchaient les puits d’être noyés – et donc hors d’usage. Le gouvernement en profite pour intensifier la répression. Le 19 octobre, les CRS investissent les camps où sont logés les mineurs nord-africains travaillant en Lorraine. Ils saccagent les baraquements et conduisent les ouvriers de force à la mine. Des opérations similaires sont menées dans plusieurs bassins.

L’armée est envoyée dans les bassins. Les réunions sont interdites. Ce ne sont plus des images de grève, mais bien des images de guerre, d’une guerre de classes. En juin 1948, au congrès de la FNSS, Auguste Lecœur, président de la fédération régionale CGT des mineurs, déclare : « Si on considère tout cela, alors on comprendra que ce qui est à l’ordre du jour, ce n’est pas une lutte pour gérer les institutions du capitalisme d’Etat, mais que c’est la lutte contre ce capitalisme d’Etat […], c’est-à-dire contre l’exploitation capitaliste, conditions pour atteindre les objectifs tracés par notre congrès ».

Le 22 octobre, les 7 puits de Montceau-les-Mines sont réoccupés par les grévistes, qui font prisonnier une bonne centaine de CRS, dont un colonel et un commandant. Les prisonniers sont libérés dès le lendemain. Le conseil des ministres donne l’ordre aux forces de l’ordre de tirer. Il décide aussi l’expulsion des travailleurs immigrés qui manifestent – y compris des réfugiés espagnols antifascistes. Il rappelle des soldats et gendarmes réservistes. Le secrétaire de la FNSS, Victorin Duguet, est arrêté en décembre et condamné à 4 mois de prison. Le gouvernement ira même jusqu’à supprimer les allocations familiales aux mineurs en grève, avant de reculer face à la réaction de la population.

La presse capitaliste soutient la répression. Dans son édition du 21 octobre 1948, le journal conservateur L’époque déclare, sous la plume de Frédéric Vauthier : « M. Queille, M. Moch : bombardez les quartiers généraux ! Atomisez-les ! »

La grève est « limitée » aux mineurs, mais un mouvement de solidarité important se développe en France et à l’étranger. Les associations solidaires de la région parisienne vont chercher et accueillent les enfants des mineurs pendant la grève. Liberté, le journal du PCF du Nord-Pas-de-Calais, paye la moitié des amendes infligées aux mineurs grévistes. Les paysans apportent de la nourriture, les dockers bloquent l’arrivée de charbon étranger et les dockers américains refusent de charger le charbon. Des messages et dons de solidarité arrivent du monde entier. Au total, 300 millions de francs seront récoltés en soutien au mouvement ! L’industrie du film CGT réalise un film extraordinaire [1], tellement subversif et mobilisateur qu’il fut pratiquement impossible de le projeter, en 1948, sans que les gendarmes ne viennent saisir les bobines ! Les images d’enfants descendant vers la région parisienne pendant que les militaires montent au combat rappellent les heures sombres de la guerre. C’est dans ce contexte que naît le fameux slogan : « CRS = SS ». Aux yeux des mineurs, les CRS faisaient le même travail que les SS pendant la grève de 1941.

En tout, 60 000 hommes sont envoyés dans les bassins pour réprimer la grève. Ils feront 6 morts et des milliers de blessés. 3 000 mineurs sont arrêtés, dont 1 500 sont emprisonnés. 3 000 sont licenciés et une centaine de délégués syndicaux révoqués. Ces 3 000 licenciés ne retrouveront plus de travail dans la région. La vengeance et la répression iront jusqu’au bout. Le cas de Léon Léglise est parlant. Alors qu’il était passé de mineur à ouvrier de surface à cause d’une silicose, il est renvoyé dans les puits après la grève, en guise de punition. Il en mourra. Pour les mineurs, être licenciés n’était pas seulement perdre un salaire ; c’était aussi perdre son logement.

La grève prend fin le 28 novembre 1948. Les mineurs n’ont pas obtenu l’abrogation des décrets Lacoste. Mais comme le dit Achille Blondeau, membre du bureau national de la FNSS, « la corporation minière avait perdu une importante bataille, mais elle n’avait pas perdu la guerre et avait conservé suffisamment de force pour poursuivre la lutte ». En 1963, les grandes grèves des mineurs furent victorieuses ! Et c’est à 17 familles (7 mineurs et 10 veuves) de ces 3 000 mineurs licenciés que, 63 ans plus tard, le gouvernement refuse toujours de reconnaître qu’ils étaient dans leurs droits, et que la guerre que le gouvernement de l’époque a menée contre eux, en tirant à balles réelles, était bien une injustice.

 

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