Amiante et fibres céramiques : comment on empoisonne les travailleurs

Il y a des scandales qui ne sont pas seulement des scandales, mais plutôt des symptômes de cette gangrène qu’est le système capitaliste. Le scandale de l’amiante en fait partie.

L’amiante est une fibre minérale qui a des propriétés physico-chimiques remarquables : elle est très résistante, notamment aux fortes températures, et c’est pourquoi elle est utilisée pour l’isolation (flocage anti-incendie), la garniture d’embrayage et de freins pour l’automobile, et sous forme d’amiante ciment dans le BTP (tuyaux, couvertures etc).

Ses propriétés, la facilité d’extraction et de filage en ont fait un matériau très utile et à faible coût (cinq fois moins cher qu’une fibre minérale artificielle). Les principales mines se trouvent au Québec, en Afrique du Sud, en Australie et au Brésil. En 1962, la France était le 7e producteur mondial d’amiante, grâce à une mine en Corse.

Graves risques sanitaires

Cependant, les propriétés de l’amiante impliquent également de graves risques sanitaires : épaississement de la plèvre, lésions pleurales, cancers, etc. De nombreuses études et recherches ont dénoncé ces risques. Dès 1906, un rapport soulignait la forte mortalité des ouvriers des usines de tissage et de filage de l’amiante. En 1945, un tableau des maladies professionnelles liées à l’amiante est établi. En 1971, une réunion se tient à Londres, où des « patrons de l’amiante » prennent connaissance des études scientifiques prouvant sa nocivité. En 1978, le parlement européen souligne le caractère cancérigène de l’amiante. En 1982, le patronat décide de créer le Comité Permanent Amiante (CPA), où siègent aussi les syndicats. En 1986, les Etats-Unis demandent l’interdiction de l’amiante. S’appuyant sur un rapport du CPA, la France refuse. En 1991, l’Allemagne demande son interdiction en Europe, mais le CPA et le Lobby minier canadien font pression pour qu’il n’en soit rien (la France est alors le 1er importateur d’amiante). Il faudra attendre 1997 pour que soit enfin interdit l’usage de l’amiante, soit 91 ans après le premier rapport scientifique.

En France, on prévoit 3000 décès par an, jusqu’en 2025, à cause de l’amiante. Il a fallu attendre que l’amiante tue des profs de fac (à Jussieu) pour que le scandale éclate.

La fonderie Aubert et Duval

Pour prouver que la vie des salariés n’a pas beaucoup de valeur, aux yeux des capitalistes, citons le cas de la fonderie Aubert et Duval, aux Ancizes (Puy-de-Dôme). Les faits décrits par George Renoux (secrétaire CGT Aubert et Duval) sont édifiants. En 2003, un plan social s’abat sur la fonderie Aubert et Duval. Elle fabrique des aciers spéciaux, notamment pour l’aéronautique. Il est prévu de licencier 80 salariés sur les 1400 que compte la fonderie. Curieusement, les 80 salariés – dont George Renoux – sont quasiment tous à la CGT.

Dans le cadre de ce « plan social », une réunion d’information est organisée par la direction. Et là, stupeur : les salariés découvrent les risques qu’ils courent en travaillant. L’amiante est partout, dans l’entreprise – l’isolation des fours, des tuyaux, des ateliers, la couverture, et même la clôture du site – , mais les ouvriers n’avaient jamais été informés des risques encourus. Certains cadres étaient au courant, mais ils avaient pour consigne de minimiser l’affaire.

Lors de la réunion, les salariés apprennent que l’exposition à l’amiante peut permettre un départ anticipé en retraite à partir de 50 ans… à condition que les plaques pleurales soient reconnues « maladie professionnelle » ! Or seule l’exposition à l’amiante – ou aux Fibres Céramiques Réfractaires, dont nous reparlerons plus loin – entraîne des plaques pleurales…

Les maladies graves dues à l’amiante apparaissent parfois vingt ans après l’exposition, et l’espérance de vie après l’apparition de la maladie est très courte : un an, par exemple, pour un cancer de la plèvre. Le départ anticipé est donc la moindre des choses !

Au lendemain de cette réunion, les salariés se sont précipités chez des pneumologues. Résultat : 200 salariés présentaient un épaississement de la plèvre ou des plaques pleurales. Les salariés comprirent alors que leur patron les avait exposés, en toute connaissance de cause, à un risque mortel. Le travail était déjà très pénible, dans les fonderies. Les salariés évoluaient à proximité d’un four à 1000°, ou près du métal en fusion, et respiraient des poussières de métaux lourds. [1]

Un bras de fer s’est engagé entre la direction et les salariés, mais aussi entre les salariés et la Caisse Régionale d’Assurance Maladie, qui ne voulait pas reconnaître la maladie professionnelle. Une action en justice a été lancée. Entre temps, un premier salarié est décédé.

La tactique employée par les patrons et la Sécu est la suivante : ils font traîner les actions en justice le plus longtemps possible, et les décès se suivent pendant que les indemnisations restent bloquées. Ces gens poussent l’horreur jusqu’au bout : lorsque la justice reconnaît les salariés comme victimes, ils sont déjà 6 pieds sous terre !

Suivant une vieille ruse, les patrons font aussi du chantage à l’emploi. Ils disent que si les salariés ayant droit à la « retraite amiante » partent tous en même temps, l’entreprise ne pourra pas s’en remettre. Ils disent également préférer fermer le site que devoir le désamianter intégralement et d’un seul coup ! Résultat : les ouvriers travaillent toujours dans l’amiante, et le désamiantage ne se fait que peu à peu.

Les FCR : tout aussi dangereuses

Mais le plus fort, c’est qu’on remplace l’amiante par les FCR (Fibres Céramiques Réfractaires), qui sont aussi dangereuses que l’amiante : elles provoquent les mêmes maladies et entraînent les mêmes risques, à long terme. Malgré plusieurs études scientifiques sérieuses, malgré l’information faite auprès des services de l’Etat, ces FCR ne sont toujours pas interdites. Elles sont pourtant classées toxiques et cancérigènes depuis 1975, et, depuis 2001, l’Etat est régulièrement informé des risques encourus.

De 15 000 à 20 000 personnes sont actuellement exposées aux FCR, en France. Comme avec l’amiante, les patrons et l’Etat attendent les morts avant de réagir. Si on les laissait faire, il leur en faudrait sûrement des centaines. Et que pèsent 100 ou 200 morts face aux profits des grands groupes industriels ? Les FCR sont trois fois moins chères que d’autres fibres, tout aussi résistantes mais non toxiques.

Décidément, les profits sont tout pour le capitaliste. La santé, le bien-être, l’épanouissement des salariés est le cadet de ses soucis. L’exemple de l’amiante – et des FCR – a valeur d’argument contre le capitalisme. Ces scandales ne sont pas l’œuvre d’un ou deux « patrons voyous », mais bien de tout un système. Ils prouvent aussi que l’Etat n’est pas aussi « neutre » qu’on voudrait nous faire croire. Il est entre les mains de la classe dominante et joue le rôle de gardien du temple capitaliste.

Je tiens à remercier George Renoux pour ses explications sur le cas Aubert et Duval. Le combat qu’il mène avec les camarades des Ancizes n’est pas vain. La Riposte lutte et luttera pour que les salariés ouvrent les yeux et pour soutenir toutes les victimes de ce système à bout de souffle.

Sylvain Roch (PCF Moulins)

 

[1] Les salariés, chez Aubert et Duval, frôlaient l’esclavage. Les salaires étaient si bas que les ouvriers maintenaient une petite activité agricole pour pouvoir vivre, et le font encore aujourd’hui. Dans les années 60-70, des travailleurs d’origine maghrébine furent employés, car la main d’œuvre locale n’acceptait plus des salaires aussi faibles. D’ailleurs la direction parle aujourd’hui de faire venir des Polonais pour pouvoir maintenir des salaires indignes.

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